Canicule estivale ou vie de chien?

Canicule estivale ou vie de chien?

Il y a un an à peine, en quelques semaines de canicule1, des dizaines de milliers de personnes mourraient en Europe, dont 14800 en France2: «une surmortalité jamais atteinte depuis 50 ans», «une catastrophe sanitaire majeure dont il existe peu d’équivalents depuis l’apparition de la médecine moderne»3. Cette crise sanitaire sans précédents a été attribuée à la fatalité d’une vague de chaleur surprenant l’imprévisible météo. En réalité, les causes sont tout autres, et rien n’a été fait depuis…

Les responsables de la santé publique ont certes reconnu que l’effet de serre – bien prévisible celui-ci – et la dégradation des services publics de secours y étaient pour quelque chose, mais ces facteurs ne pouvaient expliquer l’ampleur de l’hécatombe. Il aura fallu attendre une année pour découvrir les causes réelles du drame dans quelques articles restés confidentiels4, commentant une enquête rigoureuse5. Bien que restreinte – cette étude ne concerne que les 452 décès enregistrés dans Paris intra muros entre le 1er et le 31 août derniers, soit 3% des Français-es décédés – et rébarbative pour les lecteurs que les données statistiques rebutent, elle a le mérite de rétablir la vérité des faits et de susciter une réflexion critique sur les moyens de «prévention» illusoires proposés par les pouvoirs politiques et économiques dominants.

Changer la vie

Comme il n’y a pas de solutions aux problèmes mal posés ou truqués, on ne s’étonnera pas que «les leçons de la catastrophe de 2003 n’aient pas été retenues»; depuis lors, «rien n’a été fait», comme le constate le Dr Pelloux, le premier à avoir déclenché l’alerte6. Rien n’a été fait, parce que ce n’est pas en un an et en confiant cette tâche aux mécanismes du marché, que les dégâts du «progrès» auraient pu être réparés. En effet, il ne s’agit plus de multiplier les appareils de surveillance télémétriques, de produire des millions de climatiseurs, de lancer de nouveaux satellites d’observation météorologiques.

La solution est à chercher dans «le changement radical de nos modes de production, de consommation et de vie [qui ne sont] plus un sujet de colloque mais une nécessité vitale»7. Comme «le constat est de nature socio-économique plus que médicale», l’étude conclut indirectement à l’urgence de rétablir les conditions élémentaires de vie des personnes âgées: conditions de logement, de confort physiologique, de sécurité, de convivialité. Mais venons-en aux résultats de l’enquête.

Logements inadéquats

Parmi les 452 victimes, dont la moitié avaient plus de 80 ans, les 92% ont été retrouvés mortes dans leur logement, dont:

  • 41% n’avaient qu’une seule pièce;
  • et la surface de cette pièce était inférieure à 10 m2 dans 12% des cas;
  • les 17% de ces logements étaient qualifiés d’«insalubres»;
  • plus grave, 54% d’entre eux étaient situés dans les deux derniers étages;
  • et le tiers de leurs occupant-e-s vivaient «sous les toits dans une pièce éclairée et ventilée par un vasistas», un petit vantail mobile pouvant s’ouvrir dans une porte ou une fenêtre;
  • la plupart des victimes plus ou moins âgées occupaient donc des chambres de bonnes, difficiles d’accès et surchauffées sous leurs toits brûlants;
  • et dans nombre de ces mortelles étuves régnaient des températures étouffantes comprises entre 36 et 40 °C, comme le révèlent les procès-verbaux des secouristes.

Isolement des habitant-e-s

Ces prisonniers de leur taudis, des femmes dans 56,2% des cas, étaient isolés et privés de visite:

  • 88% des victimes vivaient seules dans un isolement social qui a constitué la principale cause de leur décès;
  • le quart d’entre elles n’avaient plus aucun lien humain, familial, amical ou social avec le monde extérieur;
  • et 15% refusaient toute aide extérieure.

Ainsi, ces personnes sont mortes dans l’indifférence, et l’alerte a été lancée par:

  • des ami-e-s et voisin-e-s (dans 4 cas sur 10);
  • un membre de la famille (dans 1 cas sur 4);
  • des travailleurs-euses sociaux (dans 1 cas sur 5);
  • ou un gardien-ne d’immeuble (dans 1 cas sur 7).

Absence de secours

Les victimes sont mortes après une longue agonie. En effet, leur corps sans vie a été découvert parce que:

  • elles étaient absentes à une visite;
  • leur téléphone ne répondait plus;
  • «une odeur nauséabonde [a été signalée] dans l’immeuble» (1 fois sur 10).

Plus dramatique encore… nombre de ces personnes auraient pu être secourues:

  • Dans 1 cas sur 5, les symptômes étaient suffisants pour qu’une alerte ait pu être lancée. En effet les personnes présentaient:
  • des manifestations avérées d’asthénie, d’état de faiblesse ou de dépression, dans 76% des cas;
  • une perte d’appétit ou un début de déshydratation dans 21% des cas.

Or, ces signes avant-coureurs n’ont entraîné ni inquiétude, ni mobilisation: «nous avons été frappés par la fréquence des symptômes prémonitoires dont le caractère spécifique, voire banal, n’a pas retenu l’attention des observateurs», s’indignent les auteurs de l’enquête.

Rigueur scientifique bafouée

Mais cette indifférence face à la souffrance et à la mort s’est manifesté tout autant par le laxisme des médecins appelés à certifier les causes de la mort:

  • dans 90% des cas elle a été attribuée à une défaillance cardio-vasculaire, «diagnostic de facilité ne reposant sur aucun argument clinique et ce d’autant que deux corps sur trois étaient en état d’altération importante et de putréfaction»;
  • de plus, parmi les antécédents médicaux, il a été relevé que les affections cardio-respiratoires ne concernaient que 26% des victimes…

Il faudra que les 15000 victimes en France fassent l’objet d’enquêtes semblables. On y découvrirait qu’il y a bien d’autres mouroirs dans les banlieues que les taudis de la «ville lumière». Mais il faudra aussi mesurer les effets à long terme sur la morbidité et la mortalité de la canicule de l’été dernier, non seulement brûlante mais aussi exceptionnellement polluée par des concentrations durables d’ozone et de dioxyde d’azote, dont on estime qu’elles ont été responsables de 3 à 4% de la surmortalité8, ceci sans parler de leurs effets calamiteux sur les animaux d’élevage, la faune terrestre et aquatique, la flore, la forêt, les ressources en eau…

La faute au pétrole

Comme nous l’avions écrit «à chaud»9, c’est en amont des risques climatiques qu’il faut agir. La généralisation de l’usage de combustibles fossiles est la cause de deux facteurs de mort: la surchauffe par l’émission de gaz à effet de serre et la pollution par l’émission de gaz et de particules toxiques et cancérogènes: le «80 à 90% des cancers sont dus à la dégradation de l’environnement»10. Pourtant, les conséquences mortelles de la consommation d’énergie fossile engendrent… leur accroissement. En effet, la production de froid et de la force nécessaire aux pompes d’irrigation a accru les besoins énergétiques de la France de 10% en 2003 par rapport à l’année précédente11.

La prévention des victimes de canicules ne pourra se résoudre par la vente de climatiseurs dévoreurs d’énergie, dont les fuites de gaz HCL sont un désastre pour l’atmosphère12. Pour cela, il faut mettre fin aux scandales séculaires du logement et de la ville. Ce n’est pas en rasant des immeubles d’habitation que les populations seront mieux logées mais en les entretenant, en les rénovant et en les adaptant aux nouvelles contraintes énergétiques et climatiques, que cela plaise ou non aux spéculateurs, bétonneurs et autres architectes en mal de juteux profits. Des solutions de conditionnement climatique naturel gratuit existent depuis la nuit des temps…

Malheureusement, pour les victimes du productivisme marchand, la gratuité se vend mal. Il en est de même des petits gestes gratuits qui animent les relations sociales entre voisins de palier, d’immeuble ou de quartier. Comme le temps de résister, de militer et d’aider ses semblables, c’est de l’argent perdu, il nous faudra être très nombreuses et très nombreux à perdre beaucoup de temps et beaucoup d’argent si nous voulons gagner la bataille de la survie de l’humanité sur cette Planète!

François ISELIN

  1. «Canicula»: principale étoile de la constellation du Grand Chien. C’est ainsi que fut désignée la période de l’année la plus chaude (du 22 juillet au 23 août), car elle correspond à celle où cette étoile se lève et se couche avec le soleil.
  2. Le Monde, 29 septembre 2003.
  3. Le Monde, 10 septembre 2003.
  4. «Retour sur la canicule et l’isolement urbain», Le Monde, 25-26 avril 2004; «L’isolement, facteur mortel numéro 1», Le quotidien du Médecin, 16 mars 2004; «Enquête sur une canicule», Médecine et Hygiène, vol. 62, 2004.
  5. Enquête de l’Institut médico-légal de Paris, menée par les docteur·e·s Dominique Lacomte et Dominique Penaster, communiquée devant l’Académie nationale de médecine, le 15 mars dernier.
  6. «Le spectre de la canicule refait surface, la France s’inquiète», Le Courrier, 6 mai 2004.
  7. Le Monde, 19 décembre 2003.
  8. Le Monde, 20 septembre 2003.
  9. «Le soleil surchauffe parce qu’il a été sous-exploité», solidaritéS n°31, 25 août 2003.
  10. Le Monde, 14 février 2004.
  11. Le Monde, 9 août 2003.
  12. Le Courrier, 7 août 2003.