Partenariat homosexuel: les rhétoriques du refus
Partenariat homosexuel: les rhétoriques du refus
Le 18 juin 2004, le parlement fédéral a adopté le partenariat enregistré entre personnes de même sexe (PEPS) par 112 voix pour, 51 contre et 16 abstentions au Conseil national et par 33 votes pour, 5 contre et 4 abstentions au Conseil des Etats. Le partenariat suisse se distingue du PACS français par son caractère exclusivement gay et lesbien. LUnion Démocratique fédérale a annoncé le lancement dun référendum et est soutenue par une frange ultra-conservatrice des partis de droite, qui a déjà aiguisé ses arguments au cours des débats des chambres en vue dune votation référendaire. Tenus en décembre 2003 et en juin 2004, les débats parlementaires donnent quelques éclairages sur les fronts du refus et leurs rhétoriques homophobes.
Le coût est largument favori de lUDC zurichoise pour justifier le renvoi du PEPS en commission, au début des débats du Conseil national; coût repris dans largumentation du sénateur PDC valaisan Simon Epiney pour justifier un renvoi similaire par le Conseil des Etats. Objection clé: une population aussi infime (environ 8000 couples stables, dont un tiers, essentiellement lesbiens, avec enfants), il est inutile de créer une institution lourde et bureaucratique qui contreviendrait même au fameux «Personal Stop» fédéral, puisque la justice serait systématiquement sollicitée en cas de dissolution. En lieu et place, un système de contrats individuels régis par le Code Civil et quelques agencements ponctuels des lois sur la prévoyance professionnelle et sur les successions sont proposés. Ici, lattaque conservatrice consiste à dire que le PEPS est une politique publique trop ambitieuse, alors que lhomosexualité est un choix individuel/privé.
Contagion de lhomosexualité
La propagation de lhomosexualité est un autre thème de choix pour les cinq députés évangélistes qui se sont succédés à la tribune du Conseil national. Se basant sur les dogmes chrétiens, ils voient dans le PEPS une légitimation des formes de vie «contre nature» qui aura pour effet de déstabiliser lidentité sexuelle des jeunes. Dautre part, en raison de linstabilité des couples homosexuels et de la diminution des repères entre homosexualité et hétérosexualité, le PEPS va provoquer une augmentation de lépidémie du Sida. Selon les évangélistes, le PEPS ne sinscrit pas dans la justice divine et contrevient aux règles de préservation du pays, et «ce sera au peuple de corriger lhystérie de la discrimination qui a saisit le parlement», senflamme le député bernois Christian Waber à la clôture des débats du Conseil national. Le populisme actuel fait bon ménage avec le droit canonique dhier pour justifier le maintien de la discrimination de lhomosexualité.
Mariage dévalorisé
Lidée que le PEPS dévalorise linstitution du mariage est une rhétorique voisine, plus subtile, adoptée par plusieurs députés PDC valaisans. Elle opère une synthèse entre le dogme chrétien, la politique des caisses vides et la peur de lautre. Le PEPS dévaluerait le mariage parce quil serait proche légalement de celui-ci; de surcroît, il opérerait une véritable promotion de lhomosexualité en brouillant les frontières avec lhétérosexualité. «Tolérer lhomosexualité, ce nest pas la légaliser»; par contre, la légaliser grâce au PEPS, cest «promouvoir lhomosexualité, la hisser au rang de modèle à suivre», selon le député valaisan Maurice Chevrier. Dautres intervenants du PDC se chargent pour leur part de clamer que le partenariat autorise le conjoint étranger à résider en Suisse et quil ouvre la porte à la revendication de ladoption. Alors que tous jurent quil ny a que des discriminations mineures en Suisse, le PEPS enclencherait un mécanisme dangereux pour les fondements de la société helvétique.
«PEPS blanc» et xénophobie
Le danger des «PEPS blancs» est une préoccupation partagée par les députés UDC, PDC et évangélistes. Elle crée un lien entre lhomophobie et la xénophobie, en défendant que le PEPS aura pour effet daccroître la surpopulation étrangère et de produire une perte de maîtrise de la politique migratoire. Cette thématique est plus sensible en Suisse allemande et se rallie explicitement aux positions de lUDC zurichoise. La fibre conservatrice romande sexprime de façon moins passionnelle sur ce thème: en effet, les sirènes de l«Ueberfremdung» sont directement contredites par largument de coûts trop élevés pour des bénéficiaires trop restreints.
Quand lenfant paraît
Lamalgame entre PEPS et adoption est par contre savamment entretenu par plusieurs député-e-s PDC suisses romand-es, et plus encore par les médias, en marge des débats parlementaires. Leur refus du PEPS se fonde sur largumentation que son acceptation provoquerait des revendications en vue de laccès des homosexuel-les à ladoption et à la procréation médicalement assistée (PMA), comme le montre la tendance dans les pays voisins. Cette attaque a pour effet de masquer plusieurs réalités du PEPS, pourtant marqué par une défense minutieuse de la famille traditionnelle. Dabord, ladoption et la PMA sont explicitement interdites par la loi fédérale et par un ensemble dautres dispositions qui ont été modifiées afin de verrouiller un droit familial discriminatoire. De même, la proposition dautoriser ladoption de lenfant du/de la partenaire a été balayée lors du plénum du Conseil national.
Dans ces débats, ladoption et le bien-être de lenfant se transforment en fer de lance dune homophobie à peine masquée par quelques messages de compassion pour les familles homoparentales. Cette stratégie vise à déplacer le débat vers lémotionnel en valorisant le modèle mythique de la famille traditionnelle: à travers la protection de lenfant, on agite le lien supposé entre perversion et homosexualité. Les enjeux concrets du PEPS et sa portée réelle soit la reconnaissance des couples du même sexe, de leurs droits et de leurs devoirs, comme cest le cas des couples hétérosexuels mais aussi laffirmation dune citoyenneté pleine et entière des gays et des lesbiennes se trouvent ainsi menacés.
Thierry DELESSERT