Entretien avec l'ADC Lausanne: vers des indemnités au mérite

Entretien avec l´ADC Lausanne: vers des indemnités au mérite


Dans quelle mesure peut-on dire que la révision de l’assurance-chômage (LACI), votée ce printemps par les Chambres fédérales, qui dégradera encore davantage les droits des chômeuses et chômeurs, s’inscrit dans la ligne des révisions qui se sont succédées depuis 1995?


Nanda Il faut rappeler que le recul le plus grave ces dernières années, ce sont les programmes d’occupation, aujourd’hui nommés emplois temporaires subventionnés (ETS), qui ne sont plus considérés comme un véritable travail . Dans ces emplois, le-la chômeur-euse ne touche pas de véritable salaire et est obligé de travailler sur la base d’un revenu correspondant à ses indemnités. L’indemnité de chômage est fixée à 70 ou 80% du gain assuré; dans un ETS le-la chômeur/euse est ainsi obligé-e de travailler à 100%, s’il-elle est entièrement apte au placement, tout en percevant des indemnités correspondant à 70 ou 80% de son salaire. Cela crée une sorte de marché du travail parallèle! Ainsi très souvent un-e chômeur/euse, en ETS dans l’administration, sera rémunéré-e moins que un-e salarié-e effectuant le même travail que lui-elle. C’est un véritable dumping salarial!



Alain La nouvelle révision va encore accentuer cette pression à la baisse sur les salaires, notamment parce qu’elle déploiera ses effets dans une période où la Confédération a mis en place des contrats de prestations conclus avec les instances cantonales d’application de la LACI: ces contrats définissent un système de bonus – malus, selon les résultats obtenus par les Offices régionaux de placement (ORP) sur une année. Ceux-ci sont évalués principalement sur la base du nombre de chômeurs/euses que l’ORP réussi à faire sortir du système de l’assurance-chômage. La pers-pective des mandats de prestation est purement quantitative, par contre, ils ne prennent pas du tout en compte le qualitatif, à savoir en particulier le type d’emploi trouvé, sa stabilité, son niveau de qualification, de salaires. La question à se poser est alors de savoir si l’on est toujours dans le cadre d’une assu-rance sociale, ou si le but recherché n’est pas tout simplement de placer les chômeurs/euses à n’importe quel prix. Ne va-t-on pas bientôt payer les placeurs et placeuses dans les ORP au mérite, à savoir en fonction du nombre de chômeurs/euses qu’ils-elles contribuent à faire sortir chaque année des prestations de l’assurance-chômage?



Selon l’ADC, peut-on dire que les différentes révisions de la LACI sont parallèles à la politique de précarisation de l’emploi menée par les employeurs?



Nanda Sans aucun doute, d’abord parce que le-la chômeur/euse est obligé-e d’accepter n’importe quel travail à n’importe quel prix, du moment que l’assurance-chômage compense la différence entre leur salaire et le montant de leur ancien revenu (système du gain intermédiaire). S’il-elle refuse, il-elle risque en effet très souvent une pénalité de un, voire deux mois de suspension du versement des indemnités. Les chômeurs-euses constituent ainsi pour les patrons une «armée de réserve», amenée à travailler même pour des salaires très bas. De plus, compte tenu des contrats de prestation mis en place avec les ORP, on en arrivera bientôt à des indemnités de chômage au mérite: il faudra être une chômeuse ou un chômeur méritant-e pour y avoir droit, c’est à dire accepter n’importe quel travail, à n’importe quelle condition, en pliant l’échine vis-à-vis de l’employeur.



Alain C’est la même logique qui est en œuvre dans l’assurance-chômage et dans les entreprises, la logique d’imposer une exploitation accrue des salarié-e-s, qu’ils-elles soient en emploi ou sans emploi. Cette politique se cache sans doute derrière d’autres termes, mais le résultat est identique.



Pourquoi faut-il combattre en particulier cette prochaine révision de la LACI ? Le lancement d’un référendum est-il utile et nécessaire pour s’y opposer?



Nanda Les conséquences de cette révision sont graves : si l’on tient compte du fait que l’on a un délai-cadre de deux ans et que le droit aux indemnités a été réduit à une année et demi, durant cette période, le-la chômeur-euse devra de toute façon effectuer, pendant six mois, un ETS: il lui restera alors une année de droit aux indemnités. Or, durant cette année-là, il-elle devrait travailler pour ouvrir un nouveau droit au chômage! Le droit social que représente le fait d’être assuré contre le risque de perdre son emploi est ainsi purement et simplement vidé de son contenu.



Alain Les pressions exercées sur les personnes qui tombent au chômage seront de surcroît démultipliées. De plus l’unique objectif, avoué par le Seco, de cette révision est de faire des économies sur les dos des chômeurs-euses. Ce qui est choquant, c’est l’absence d’une opposition ferme de l’Union syndicale suisse et de nombreuses fédérations syndicales par rapport à cet objectif explicite!



Nanda La question du lancement du référendum est difficile à trancher: dans un sens, on n’a guère le choix de ne pas le lancer ! Mais en même temps le risque existe d’un échec en votation populaire, ce qui peut conduire à des ordonnances et directives d’application particulièrement dures pour les chômeurs-euses. Il me semble que le référendum n’est pas la seule arme à utiliser pour lutter contre cette révision. L’assurance-chômage se dégrade depuis des années et les effets de la révision annoncée ne sont pas simples à expliquer très largement, dans leurs diverses facettes. Au moment du référendum contre l’AFU qui diminuait le montant des indemnités de chômage, l’explication était plus facile. L’arrêté attaqué réduisait ces indemnités et ce n’était pas acceptable ! En plus se pose la question des forces et des moyens financiers limités dont nous disposons…



Propos recueillis par Jean-Michel DOLIVO



ADC – Association de défense des chômeuses et chômeurs



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