Logement social en France: on achève bien les… ghettos

Logement social en France: on achève bien les… ghettos

Que les signaux d’alarme du démantèlement social clignotent ici ou ailleurs, il serait irresponsable de les ignorer. Les ravages du néolibéralisme mondialisé menacent partout. Certaines Etats prenant les devant, l’offensive est désynchronisées mais pas pour autant isolée ni passagère. En ce qui concerne la «crise du logement», la bourgeoisie Française innove en détruisant, délabrant et vidant des centaines de milliers d’habitations indispensables. Nous abordons ce problème qui a des degrés directs menace aussi la Suisse. Il montre l’importance pour les habitants de se réapproprier collectivement de leurs logements et leurs quartiers et résistent à aux manœuvre de confiscation de ce bien commun, que se soit en les détruisant, en les rénovant pour en augmenter le prix du loyer, en en aliénant l’affectation, ou en en construisant de nouveaux inaccessibles à ceux qui en ont le plus besoins mais ne peuvent se les payer.

«Ce n’est pas en explosant la barre qu’on va régler le problème de la délinquance. On ne résoudra rien si on ne fait pas disparaître le chômage»1

Encore 700 logements, construits il y a à peine 40 ans, qui sont détruits au Nord de Paris2. Comment mettre fin à ce gâchis alors que les prix des loyers, le nombre de sans abris et de logements manquants et vacants ne cessent d’augmenter en France, comme d’ailleurs partout en Europe?

Ces tours et ces barres qu’on implose impunément étaient construits pour servir durablement. Or comme aucun défaut majeur ne les affecte, leur destruction-plus coûteuse qu’une réhabilitation – constitue un énorme gaspillage de matériaux, de travail et d’énergie.

Mais les effets désastreux de ces «massacres à la dynamite» ne se limitent pas à cela. Les habitants délogés devront se réfugier plus loin encore des villes ou se retrouveront dans la rue puisque le déficit de logements sociaux est criant et ceux détruits tarderont à être reconstruits ou ne le seront jamais. Dans le meilleur des cas on peut craindre que les délogés ne puissent payer le prix surfait de location ou d’achat.

Ce qui inquiète c’est l’apparente impuissance de la population face à la déprédation d’un bien commun de première nécessité, sa soumission aux diktats du capital, sa crédulité dans des promesses illusoires, son manque de réactions et de résistances, sa confiance dans des «décideurs» qui ne décident que pour eux-mêmes. C’est que la campagne de désinformation est savamment orchestrée. Le prétexte à la destruction massive est «argumenté» par des faits isolés montrés comme constituant la règle et des jugements de valeur présentés comme incontournables: un ascenseur en panne chronique, une toiture qui fuit, une barre mal intégrée dans le paysage urbain, des cages d’escalier délabrées… À cette distorsion des faits vient s’ajouter la culpabilisation des habitants eux-mêmes: le vandalisme dans les immeubles, l’insécurité dans l’immeuble ou le quartier, la violence et la peur qui y règne… Enfin, le message est édulcoré par une propagande lénifiante: il faut «donner un nouveau visage aux cités», «en finir avec les cages à lapin», «construire des villes nouvelles», «s’inventer un nouvel avenir»…

Certes l’architecture «verticaliste» et l’urbanisme «concentrationnaire» conduisant à l’entassement des salariés dans des barres, des blocs et des tours d’habitation était aberrante3. Mais ce n’est pas en aplatissant les immeubles que ses effets néfastes seront supprimés, bien au contraire. La cause du dit «malaise des banlieues» est à rechercher avant tout dans l’explosion du chômage, de la précarité, de l’exclusion, de la marginalisation, du mépris et de la suspicion de l’autre. Voilà les maux qui rongent les habitants. Quand à ceux qui rongent les immeubles c’est le manque d’entretien chronique, la faillite – au sens propre et figuré – des services publics pour l’habitat social et l’incapacité des architectes à mettre en œuvre des procédés de rénovation innovants, performants et durables. Faute de vouloir agir sur ces facteurs de ruine sociale et architecturale, le gouvernement s’acharne à étouffer ses échecs dans le vacarme des explosions et sous des montages de gravats.

Mais, lois du marché obligent, ce gâchis n’est pas perdu pour le capital, bien au contraire. Le but des destructions n’est autre que la réappropriation privée du sol, ressource indispensable au lancement de nouvelles opérations immobilières. Comme toute marchandise jetée après avoir dégagé du profit, le bâtiment n’échappe pas à la règle du capitalisme productivisme: les vendre ou les raser pour en revendre de nouveaux. La pénurie chronique de logements ne peut que faire monter les enchères: «Dans une [société capitaliste] la crise du logement n’est pas un hasard, c’est une institution nécessaire; elle ne peut être éliminée […] que si l’ordre social tout entier dont elle découle est transformé de fond en comble »4. Quand la pénurie de logements par le blocage de nouveaux chantiers ne suffit plus, reste la démolition ce qui a été construit.

Ainsi, sur leurs décombres, de nouvelles opérations immobilières pourront se faire procurant aux entrepreneurs d’abondantes plus values prises aux ouvriers qu’elles exploitent, aux fabricants de matériaux, les juteux bénéfices de leurs ventes, aux distributeurs d’essence, diesel et d’électricité de substantielles ristournes et aux architectes des retombées pécuniaires et publicitaires. Quand aux gérances et agences, elles n’hésiteront pas à monnayer au prix fort les loyers et la vente des nouveaux logements pimpants neufs aux plus offrants, laissant les démunis devant la porte. Peu leur importe que ces profits privés dilapident les fonds publics: il faut savoir que la démolition des immeubles coûte aussi chère si ce n’est plus que leur réhabilitation, entre 25000 et 35000 CHF par logement5.

À qui donc profite le crime? Il suffit de décoder cette boutade: «Il y a désormais deux sortes de logements sociaux: ceux que l’on démolit et ceux qui sont mis en vente»6. Comment l’Etat bourgeois s’y prend-il pour multiplier ces démolitions? Il suffit de lire les grands titres de la presse: «Gilles de Robien veut vendre 40000 HLM chaque année»7. Et pour ce faire: «D’ici à 2008, [le gouvernement] ambitionne de démolir quelque 200000 logements dans 750 quartiers»8. Le projet ne date pas d’hier: «Nous nous engageons à détruire et reconstruire 50000 logements sociaux par an pendant dix ans». Détruire 7.2% du parc HLM en 10 ans, voilà ce qu’a décidé – sans débat public – la droite française9.

La question escamotée est que comme plus de la moitié des habitants de HLM ne veulent pas devenir propriétaires, le 30% faute de moyens financiers suffisants10, il faudra soit les en forcer en rasant leur logis soit s’en débarrasser en les en mettant à la rue ou en les marginalisant davantage encore dans de nouveaux ghettos plus éloignés et isolés encore.

Cette évaluation serait-elle catastrophiste? Il suffit de lire les statistiques relatives à la France, qui compte 3,6 millions de logements HLM:

  • De 1,5 à 2 millions de personnes vivent dans des logements hors norme ou insalubres.
  • Le déficit actuel de logements est estimé entre 400000 et 600000 unités11.
  • Quand aux prix, ils flambent. Ils ont augmenté de 50% en six ans alors que le chômage ne cesse de s’accroître – 0.8% en mai – et les loyers absorbent le 40% des ressources des familles pauvres12.
  • Des millions de personnes sans moyens doivent habiter dans des taudis, des quartiers dangereux, éloignés de leurs proches, leurs voisins et leurs lieux de travail, de formation, de loisirs. Trop coûteux, les transports publics ou individuels ne peuvent compenser cet éloignement imposé, cause de marginalisation sociale.
  • Et ironie amère, 130000 logements HLM sont vides et ce nombre a doublé en 10 ans!13
  • Ceci alors qu’on compte «1.6 millions de demandeurs de logements sociaux, la plupart de condition très modeste»14.

Pour les bâtiments d’habitation le capitalisme n’en est même plus à l’obsolescence programmée des marchandises industrielles, leur destruction est de fait une obsolescence provoquée. Prétendre que ces immeubles, construits pour durer au moins un siècle, seraient obsolètes et irrécupérables est faux, voici quelques solutions courantes de rénovation durable et pour la plupart éprouvées.

  • Que les toitures plates coulent et doivent souvent être réparées, rien de plus naturel. Il suffit de les recouvrir d’une couverture à faible pente pour les mettre définitivement hors d’eau.
  • Que les appartements sous toits plats surchauffent en été, c’est l’évidence même. La toiture ventilée mentionnée préviendra toute surchauffe.
  • Quand à l’effet de serre provoqué par les vitrages exposés au soleil, la pose de protections solaires les protégera efficacement car «Il est possible de garantir le confort d’été sans recourir à la climatisation»!15
  • Que les ascenseurs soit insuffisants en nombre ou peu fiables ne justifie aucunement la démolition de l’immeuble. Il suffit de monter en façade de nouvelles cages d’appoint ou de secours en cas de pannes.
  • Que les appartements soient insalubres, on équipera chaque cuisine de hottes d’extraction de l’air humide et vicié et chaque fenêtres de chambre à coucher d’une prise d’air frais.
  • Que les surfaces habitables soient insuffisantes, le vitrage des balcons et loggias – le plus souvent inutilisables – fera l’affaire. Faute de balcons d’origine, la construction de structures appliquées en façade restera toujours possible.
  • Enfin, que les immeubles consomment trop d’énergie de chauffage, rien n’interdit de réduire les pertes en isolant les parois, en doublant les vitrages ou en vitrant les balcons. Une réduction de 30% des consommations des HLM construits avant 1975 est parfaitement possible à des coûts ne dépassant pas 1100 € par appartement16.

Mais l’énergie de chauffage et de production d’eau chaude n’est pas la seule en jeu; la production des matériaux, leur transport et leur mise en œuvre en sont fort gourmands. Or «en modernisant les vieux bâtiments, on peut en moyenne économiser les trois quarts de l’énergie et des matériaux»17.

On le voit, les solutions techniques ne manquent pas; les rénovations des monuments historiques et bâtiments résidentiels et de prestige sont là pour en démontrer la faisabilité. Mais pour que ces chantiers soient menés à bien par les architectes, ingénieurs et autres entrepreneurs, il manque un acteur indispensable: l’assemblée des habitants premiers concernés. Dépossédés de leur logis, privés de tout pouvoir de décision sur leur devenir, appauvris par les percepteurs de loyers, manipulés par les gérances publiques ou privées, leur pouvoir de décision doit être reconquis. Il en va de l’appropriation et la gestion collective des moyens d’habiter. Et tant pis pour les prétentions des élus sociaux-libéraux-démocrates-communistes qui ont bradé leurs principes: «Quant à la classe ouvrière, qu’elle n’agisse pas en faveur de l’amélioration du logement, c’est pure incurie de sa part»!18

François ISELIN

  1. Déclaration d’un jeune habitant de La Courneuve quelques jours avant la destruction de son immeuble, «La démolition, nouveau ‘remède miracle’ à la déprime des cités ghettos», Le Monde, 9.6.00.
  2. Le Monde 25.6.04 et Le Temps 24.6.04.
  3. Voir: «Espace contre ciment», in Espèce humaine et croûte terrestre, Amadeo Bordiga, Payot, 1978.
  4. Friedrich Engels, La question du logement, Ed. Sociales, 1957, p. 49.
  5. «La démolition, nouveau ‘remède miracle’ à la déprime des cités ghettos», Le Monde, 9.6.00.
  6. Témoignage d’un locataire anonyme, Le Monde 25.3.04.
  7. Le Monde 25.3.04.
  8. «Le gouvernement prévoit la démolition de 40000 logements par an», Le Monde 19.6.03.
  9. «Alternance 2002», publié par Le Monde, 5.4.02
  10. Le Monde, 25.3.04
  11. Le Monde, 1.7.04
  12. «Logement: les prix flambent, la pénurie s’aggrave», Le Monde, 1.7.04.
  13. Libération, 6.7.04.
  14. «Le gouvernement prévoit la démolition de 40000 logements par an», Le Monde 19.6.03.
  15. La revue durable, mars 04.
  16. «Rénover les logements sociaux relève du bon sens», La revue durable, mars 04.
  17. Ernst U. von Weizsäcker et all., Facteur 4, Ed. Terre vivante.
  18. C. Naine, La question du logement à Lausanne, Parti socialiste lausannois, 1913.