Sécurité de l'État: come-back du Péril rouge

Sécurité de l’État: come-back du Péril rouge

Fin août, le Conseil fédéral publie un rapport sur l’«extrémisme en Suisse» venant des services du département de Blocher. L’extrême gauche serait le «danger principal» croissant pour la sécurité intérieure. Ce rapport prépare le terrain de nouvelles mesures de police politique préventive, de fichage massif et d’écoutes téléphoniques d’«activistes».

Ces mesures s’inscriront dans le vent de restriction des libertés et de répression soufflant des USA, mais le rapport se fait européen, citant une résolution du Conseil de l’Europe de 2003 et ainsi résumée: «L’Assemblée conseille au gouvernement de contrer l’extrémisme en prenant des mesures législatives visant à limiter l’exercice de certains droits fondamentaux tels que la liberté d’opinion, la liberté de réunion et la liberté d’association…»

On vise les «violents». Mais attention: «Sont considérés comme portés à la violence les extrémistes qui, de par leur opinions politiques et leur façon de paraître en public, manifestent leur aptitude à faire usage de la contrainte physique, mais qui, pour des raisons stratégiques ou tactiques, ne font pas toujours preuve de militantisme…» Vous avez des opinions contraires «aux valeurs fondamentales de la démocratie et aux principes de l’ordre» tels que les conçoit la bourgeoisie helvétique, ça suffira pour être vu comme un extrémiste «porté à la violence», même si vous êtes partisan convaincu d’une action non-violente, même si votre «militantisme» est en sommeil. Carte blanche pour une chasse au sorcières de la plus belle eau mccarthyiste…

Au chapitre travaux pratiques, dans la foulée du rapport, le Conseil fédéral vient de décider de créer «un état-major supérieur de crise» qui s’emploiera à «imaginer les menaces et les scénarios possibles» en matière de sécurité intérieure et se préparera à «assumer un rôle prépondérant en période de crise».

Extrême droite: épiphénomène ponctuel…

Plongeons dans le rapport. Il minimise les dangers d’extrême droite: «Les activités des extrémistes de droite ne sont pour l’heure pas de nature à menacer de manière notable la sécurité intérieure de la Suisse», se limitant à «perturber ponctuellement […] la tranquillité, l’ordre et la sécurité publics.»

C’est donc un «épiphénomène», pour reprendre le terme du gouvernement genevois banalisant le fait que le nouveau chef de la police judiciaire, qu’il vient de nommer, a fait l’objet d’une sanction disciplinaire en 2002, pour avoir chanté des chants nazis à une soirée de brigade.

Le grand absent du rapport, au chapitre de la droite extrême est, bien sûr, son articulation avec l’UDC blochérienne, qui offre gîte et couvert «respectable» à des pro-fascistes avérés comme le député Schifferli à Genève, partisan d’Augusto Pinochet, et dont la propagande raciste, a atteint des sommets concernant les naturalisations. Ulrich Schlüer, porte-parole influent de l’UDC aux National, n’est-il pas responsable d’annonces dénonçant le «danger» de voir ici «Les Musulmans bientôt en majorité»!

A gauche: péril structurel!

«La notion d’extrémisme de gauche est générique: elle s’applique au communisme, au marxisme, au léninisme, à des pans du socialisme et à l’anarchisme» affirme par contre le rapport. Constat: «L’extrême gauche constitue actuellement un risque sérieux.»

Quant au «degré de cette menace» on lit: «le marxisme n’a pas été vaincu par la force militaire et ses protagonistes n’ont pas été jugés sur des bases de droit international public» contrairement au IIIe Reich. On déplore donc que «cette menace n’est plus estimée à sa juste valeur», que sa surveillance serait «devenue moins systématique» de la part d’«organes de prévention» s’étant – à tort– «concentrés sur l’extrême droite.»

Le rapport veut corriger le tir et ressusciter le climat de guerre froide, qui a vu la police politique helvétique ficher illégalement 600 000 personnes. Le péril rouge serait d’autant plus réel, que le mouvement contre la mondialisation est devenu – reconnaît le rapport – un thème fédérateur et que: «La récupération du discours antimondialiste par les extrémistes de gauche a permis à ces derniers de sortir de leur isolement…»

«Abus» de démocratie

En outre: «La gauche extrême et violente constitue un risque pour la sécurité intérieure de la Suisse qu’il ne faut pas sous-estimer, car elle parvient régulièrement à détourner des questions politiques à son profit et à les radicaliser. Pour ce faire, elle utilise les institutions de l’Etat à mauvais escient et profite des droits démocratiques.» Qu’à gauche de la gauche, on réussisse à empoigner des thèmes politiques et sociaux: privatisations, assurances sociales, fiscalité… à les radicaliser en les liant à une critique de fond du système et, comble de l’horreur, à «profiter des droits démocratiques» pour permettre aux gens de se défendre contre le rouleau compresseur néolibéral, voire pour faire élire des dissidents dans les «institutions de l’Etat»… Tout ça est «abus», usage de la démocratie à «mauvais escient»!

On passera sur les élucubrations policières concernant l’analyse du «milieu» d’extrême-gauche évalué à 2000 personnes. Signalons juste – comme échantillon – que dans cet effectif on compte «les quelques 300 squatteurs de la seule ville de Genève (appartenant au mouvement autonome-anarchiste et considérés comme des extrémistes).» L’occupation de logements vides, le squatt comme réponse à un besoin social, à la crise du logement, le désir de «vivre autrement» sont réduits à une manifestation de l’hydre anarcho-communiste. La dénonciation des spéculateurs immobiliers ne relève-t-elle d’ailleurs pas de cette «doctrine dualiste des bons et des méchants» caractérisant les extrémistes! Bref, guère de militant-e de mouvement social, de syndicaliste combatif, de démocrate conséquent, qui en s’appliquant la logique de ce rapport, ne se réveillera convaincu de menacer la sécurité de l’Etat. A moins de se réveiller en sursaut et de se rendre compte du danger de la dérive liberticide et antidémocratique dont ce rapport est symptômatique.

Les Galonnés montent au front

Autre symptôme du même mal du côté militaire: La «Rentrée automnale de la brigade d’Infanterie 2» qui organise un séminaire à Pully le 1er octobre, au thème général portant sur «La pacification des populations et des territoires». Le cadre «historique» sera apporté par un exposé initial sur «Conquête militaire et la gestion de la conquête selon Bugeaud, Galliéni et Lyautey» et dans la foulée de cette bouffée impérialiste et coloniale, une séance sera consacrée à la «Pacification au niveau national/régional», avec au menu «Sécurité et maintien de l’ordre en Suisse», avec participation d’un général de la gendarmerie française et de policiers gradés suisses qui apporteront leur vision concernant les «opérations» entourant le G8 de l’an dernier!

Pierre VANEK