Bologne: néolibéralisme & Université

Bologne: néolibéralisme & Université

La Déclaration de Bologne a été signée par 29 ministres européens, en juin 1999. Elle prévoit que la structure des enseignements universitaires soit uniformisée dans toute l’Europe à l’horizon 2009: bachelors en 3 ans, sanctionnés par un premier diplôme; masters en 2 ans, accessibles aux détenteurs-trices de bachelors; système de crédits capitalisables et reconnus, en principe, par les autres universités (ECTS). Une telle uniformisation est sensé faciliter la comparabilité des prestations, la mise en concurrence des institutions, et donc la mobilité des nouveaux étudiant-e-s/consommateurs.

Il s’agit en réalité de rendre l’Europe plus compétitive sur le marché mondial de l’éducation supérieure, dont des pans entiers intéressent directement le secteur privé. Comme le dit l’ancien ministre français de l’éducation, le socialiste Claude Allègre, il faut éviter que quelques grandes marques US comme «Harvard.edu» ne monopolisent le marché international de la formation universitaire. Les maîtres mots de la réforme sont dès lors énoncés: harmonisation des cursus, renforcement de la compétition et choix d’indicateurs permettant la comparaison entre établissements, sélection des étudiant-e-s et course à la qualité, autonomie de gestion des hautes écoles et recherche de financements privés.

Au nom de la concurrence

Le recteur de l’Université catholique de Louvain, Marcel J. Crochet, par ailleurs représentant de la Belgique au Conseil scientifique de l’OTAN (1988-1993) et chaud partisan d’une collaboration étroite entreprises-universités, va droit au but: la «mise en œuvre [de Bologne] (…) oblige les universités à s’évaluer, à se comparer, à ajuster leurs programmes, à nouer des alliances. (…) Seul un nombre limité d’institutions survivront en tant que grandes universités de recherche, où s’inscriront en maîtrise les meilleurs étudiants et où seront recrutés les meilleurs professeurs. Les universités prennent conscience de la concurrence; dans certains pays, de l’aveu même de leurs dirigeants, elles se voient obligées de répondre aux ‘exigences du marché’ pour être bien classées» (discours de rentrée du 15 septembre 2003).

L’étude d’Avenir suisse «Université suisse: une proposition pour se profiler sur la scène internationale» fait une série de propositions dans le même sens (Zurich, 2004, en allemand). D’emblée, le ton est donné: «Un système de Hautes Ecoles soumis à la concurrence et aux mécanismes du marché bénéficie de meilleurs retours sur ses activités (« rankings », renommée, afflux, index de citations, etc.)». La Commissaire européenne de la culture et de l’éducation, Viviane Reding, dit la même chose autrement: «Si les universités ne s’ouvrent pas [au secteur privé], elles seront sous-financées et donc incapables de résister» (Le Monde, 28 novembre 2003).

Autonomie et libéralisation

Dans ce sens, «l’autonomie des Hautes Ecoles doit être renforcée et les établissements doivent être exposés au marché international de l’éducation et de la formation». Avenir Suisse suggère ainsi de distinguer trois types d’établissements, selon qu’ils auront une vocation internationale (EPF), européenne (Haute-Ecole de Saint-Gall) ou nationale (Université de Lucerne).

Dans ce cadre, il plaide pour une sélection rapide des étudiant-e-s en fonction des objectifs de l’établissement, par l’examen de leurs dossiers de candidature, par des tests d’entrée éliminatoires, voire par le renforcement des exigences en 1ère année, «une variante un peu plus chère, mais qui amène à des résultats similaires». L’augmentation des taxes d’études est aussi présentée comme doublement nécessaire: pour sélectionner les candidat-e-s les plus «motivés» et suppléer au financement insuffisant des établissements, notamment par les pouvoirs publics.

Le meilleur des mondes de l’éducation

Récemment, la Société de financement internationale (SFI), une filiale de la Banque mondiale, présentait la grande multinationale NIIT, qui dispose de 2342 centres de formation en informatique dans 27 pays, notamment du Sud, comme un modèle de la nouvelle culture éducative à promouvoir. De quoi rêver…

Selon l’un de ses dirigeants, «l’entreprise voit le business de la formation comme un business manufacturier. L’étudiant en est la matière première, et le processus de formation est bien défini, certifié sous le label ISO 9001, Les instructeurs sont l’équivalent des conducteurs de machines. A la fin du processus, on obtient un produit fini, un étudiant diplômé. (…) Les classes sont considérées comme une usine, chacune ayant son rôle et sa programmation (…) Les universités traditionnelles sont fortement dépendantes de la personnalité de leur personnel, l’instructeur y joue un rôle majeur dans la réalisation du produit. NIIT a essayé de réduire ce rôle (…) via la transformation du processus de formation en un produit» (cité par B. Pestieau et M. Botenga, Etudes Marxistes, 56, 2001).

Jean BATOU