Des pages sombres d'une histoire qui se poursuit!

Des pages sombres d’une histoire qui se poursuit!

Le 13 décembre 2002, au Conseil national, la grande majorité des parlementaires de l’Union démocratique du centre (UDC), Christophe Blocher en tête, se sont prononcés contre l’adoption de la nouvelle Loi fédérale sur l’annulation des jugements pénaux prononcés contre les personnes qui, à l’époque du nazisme, ont aidé des victimes des persécutions à fuir. Une année après, Christophe Blocher est élu au Conseil fédéral et prend la direction du Département fédéral de justice et police (DFJP). Il renforce immédiatement les mesures prévues contre le droit d’asile et son parti prend la tête d’une campagne haineuse à l’égard des étrangers, en particulier des sans-papiers. Dans un «Rapport sur la migration illégale» du 23 juin 2004, le DFJP va jusqu’à conclure que «la criminalité des étrangers menace directement la sécurité de la population suisse et étrangère»!

Campagnes sur l’insécurité et xénophobie constituent le fond de commerce électoral de l’UDC. Durant l’année 2004, les actes de violence racistes se sont multipliés. Les condamnations et les renvois de personnes sans-papiers, les renvois forcés de requérant-e-s d’asile débouté-e-s sont en forte augmentation. A Fribourg, une institutrice, Madeleine Parrat, ainsi qu’un député socialiste, Bernard Bavaud sont condamnés pénalement pour avoir offert l’hospitalité à des sans-papiers. Refusant de payer l’amende qui leur a été infligée, ils feront de la prison. Bernard Bavaud est le cousin germain de Maurice Bavaud qui, avant la Deuxième guerre mondiale, se rendit en Allemagne pour préparer un attentat contre Hitler et fut décapité après l’échec de sa tentative.

59 ans après, 44 décisions de réhabilitation!

Le 2 mars 2004 la Commission de réhabilitation de l’Assemblée fédérale (CReha) annule le jugement pénal du Tribunal territorial I du 11 juillet 1945. Ce tribunal militaire avait condamné disciplinairement Aimée Stauffer-Stitelmann à une peine de 15 jours d’arrêts de rigueur pour avoir aidé au franchissement clandestin, près de Genève, de la frontière franco-suisse par des résistants et des enfants juifs cherchant refuge en Suisse pour échapper à la barbarie nazie. Aimée Stitelmann était ainsi la première personne à obtenir sa réhabilitation, suite à une condamnation pour un délit d’humanité, réhabilitation obtenue cinquante neuf ans après! Suivront quarante trois autres décisions d’annulation de jugements pénaux, tous rendus par la justice militaire, condamnant pour des actes d’humanité, élémentaires et courageux, des femmes et des hommes qui avaient soustrait aux persécutions et à la mort d’autres femmes et d’autres hommes fuyant le fascisme et ses camps de concentration. Comme Marcel Fert, ressortissant français, condamné le 15 octobre 1942, à deux mois d’emprisonnement pour avoir aidé sept fugitifs juifs à entrer en Suisse en les conduisant avec un bateau de pêche jusqu’aux eaux territoriales suisses, puis en leur laissant le bateau à partir de la frontière. Ou encore Joseph Charlet, également ressortissant français, condamné à 45 jours d’emprisonnement, ce même 15 octobre 1942, par le même tribunal, pour avoir aidé un groupe de 10 fugitifs juifs, dont une famille avec trois enfants, à passer la frontière suisse.

Aimée Stitelmann a été la seule condamnée encore en vie à pouvoir demander sa réhabilitation. Quelques membres de familles de personnes condamnées, décédées au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ont également entrepris cette démarche, au nom de leur proche. Ainsi, Denise Wittwer, veuve d’Ernest Wittwer, a demandé la réhabilitation de feu son époux, condamné le 31 mai 1944 par le Tribunal territorial I à 60 jours d’emprisonnement pour avoir fait passer la frontière suisse à deux enfants juifs dans la nuit du 26 au 27 mai 1944. Lisa Daniel, veuve de Siegbert Daniel, a demandé la réhabilitation de feu son mari qui avait conduit quatre réfugiés, entrés illégalement en Suisse, de Bienne à Zurich, et condamné à 5 jours d’arrêt, le 20 avril 1944, par le Commandant de l’arrondissement territorial II.

C’est la Fondation Paul Grüninger qui a déposé la très grande majorité des demandes de réhabilitation sur la base de dossiers qu’elle a constitués. Rappelons que Paul Grüninger fut ce commandant de police de Saint-Gall qui sauva plusieurs centaines de réfugié-e-s, dont de nombreux juifs, de la persécution et de la mort, contrevenant aux lois et directives du Conseil fédéral sur la fermeture des frontières dans les années 1938-1939. Licencié par le gouvernement saint-gallois, il fut condamné en 1940 pour abus de pouvoir et faux en écriture. Jusqu’à sa mort, en 1972, Paul Grüninger vécut dans la pauvreté. Sa réhabilitation n’est intervenue que plus de vingt ans après son décès.

Face à une politique et des lois iniques, la désobéissance civique!

Dans son communiqué du 1 juin 2004, la CReha reconnaît que «les faits invoqués par les tribunaux à l’encontre des personnes condamnées étaient les suivants: violation des dispositions de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers, violation des arrêtés du Conseil fédéral du 13 décembre 1940 et du 25 septembre 1942 relatifs à la fermeture partielle de la frontière, falsification des pièces d’identité ou de laissez-passer ainsi qu’utilisation abusive de ces documents et enfin violation des devoirs de service. Il est établi que ces actes ont été commis dans la plupart des cas pour des motifs humanitaires (…)».La CReha a annulé tous les jugements pénaux prononcés à l’époque de ces faits. C’est reconnaître qu’il existe des impératifs humains et moraux, supérieurs aux lois, qui peuvent et doivent fonder l’action individuelle et collective contre des politiques illégitimes, inscrites parfois dans une législation. Des actes de courage et de désobéissance civique, plus que jamais nécessaire aujourd’hui, dans une société trop souvent sans colère, où la résignation et le fatalisme conduisent à de nouvelles formes de barbarie.

Jean-Michel DOLIVO