Fin des quotas…La guerre du textile est ouverte

Fin des quotas…La guerre du textile est ouverte

2005 n’est, de loin pas, une année anodine en ce qui concerne l’OMC… L’institution, basée à Genève, qui a redonné un second
souffle aux accords du GATT de 1948, fête en effet ses dix ans… L’occasion, donc, de faire le tour, en plusieurs
articles, des enjeux actuels liés à l’OMC. Le premier
article de cette série traite des conséquences de la fin de l’Accord Multifibre. (Réd.)

L’industrie du textile, l’un des secteurs les plus mondialisés, est en train de vivre une profonde mutation, dont le coût social sera gigantesque. La libéralisation totale des importations et exportations des produits textiles, dès le 1er janvier 2005, va engendrer une vaste restructuration planétaire brutale, dont les travailleuses et les travailleurs seront les premières victimes et les multinationales du secteur les grands bénéficiares.

L’Accord multifibres (AMF) a été mis en place en 1974 pour protéger les industries des pays riches contre la «concurrence» des bas salaires dans les pays en développement. Sont alors instaurés des quotas d’exportation sur 140 catégories de vêtements et textiles des pays producteurs vers les USA et l’UE. Les accords de Marrakech, qui concluent le cycle de l’Uruguay et instaurent l’OMC, prévoient une libéralisation échelonnée du marché international du textile. L’accord sur le textile et les vêtements (ATV) prévoit ainsi un démantèlement des quotas en quatre phase: 16% en 1995, 33% en 1998, 51% en 2002 et 100% en 2005.

Une guerre Sud-Sud?

La Chine, grâce à sa matière première, sa main-d’œuvre qualifiée et exploitée et les investissements étrangers massifs dans son économie en pleine expansion, sera la grande gagnante de la libéralisation totale du marché des textiles, qui représente 6% des échanges mondiaux, soit 340 milliards de dollars. Parmi les perdants, on trouve le Bangladesh, où près d’un million d’emplois sur les deux millions que représente le secteur sont menacés, le Cambodge, qui pourrait perdre jusqu’à 40% de son industrie textile, l’Amérique centrale et les Caraïbes, ou 500000 emplois sont menacés, la République dominicaine, Madagascar et l’Ile Maurice. Selon Neil Kearney, président de la Fédération internationale des syndicats du textile, ce seraient près de 30 millions d’emplois qui seraient menacés…

Evoquer, comme certains le font en voyant la Chine rafler la mise, une guerre Sud-Sud, c’est oublier que la source même de ces transferts d’investissements se trouve dans la logique du libre-échange prônée par les principales puissances capitalistes et que les vrais gagnants sont les multinationales du textiles, qui profitent des sous-enchères successives de pays producteurs aux abois. Les maquiladoras en Amérique centrale ont d’ailleurs vu le jour pour servir les intérêts de ces entreprises, qui cherchaient à exploiter les quotas disponibles de la région, la production en Asie étant saturée. Avec la fin du système des quotas, ce jeu cynique va pouvoir se jouer au grand jour. Et il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat en économie pour imaginer où vont migrer les investissements quand on sait que le salaire mensuel moyen dans le secteur est de 120 dollars au Guatemala, de 70 au Nicaragua et entre 12 et 36 en Chine…

Le dumping social a commencé

Pour tenter de faire face à la «concurrence chinoise», de nombreux pays producteurs sont en train démanteler leurs législations du travail. Ainsi, les Philippines ont indiqué que la loi sur le salaire minimum ne s’appliquerait plus au secteur de la confection et le Bangladesh a augmenté le nombre d’heures supplémentaires autorisées et assoupli les entraves au travail de nuit des femmes. Une fois de plus, ce sont les femmes qui subiront le plus fortement les conséquences des politiques néolibérales. Très largement majoritaires dans la main d’œuvre de ce secteur, elles devront faire face, au mieux, à une dégradation de leurs conditions de travail, au pire, à la perte de leur emploi. Les syndicats et de nombreuses ONG plaident pour la mise en place de codes de conduites avec les multinationales. Si ce type de mesures valent mieux que rien, elles n’en demeurent pas moins un emplâtre sur une jambe de bois. Aucune avancée majeure de la cause des travailleuses et des travailleurs n’a jamais été offerte par les patrons, toutes ont été gagnées par la lutte. C’est donc, toujours et encore, le système néolibéral des échanges qu’il s’agit d’attaquer de front. n

Erik GROBET