Eau minérale: Nestlé au-dessus des lois

Eau minérale: Nestlé au-dessus des lois

Depuis les débuts de ses opérations dans le Parc
des eaux dans la municipalité de São Lourenço,
Nestlé collectionne une longue liste d’activités illicites.
Pratiques dénoncées par le Mouvement des Amis
du Circuit des Eaux minérales (Macam). Parmi les infractions
reprochées à la transnationale suisse on trouve,
entre autres: l’exploitation sans autorisation du puitsPrimavera; la déminéralisation de l’eau – une activité
pourtant interdite par la loi au Brésil –, la construction
d’une fabrique sans l’autorisation nécessaire et sans
études sur les conséquences qu’elle pourrait avoir sur
l’environnement.

«Le parc des Eaux1abrite la plus grande variété des eaux
minérales de la planète
», explique Francisco Villela, activiste
du Mouvement. «Ces eaux ont toujours eu un usage
médicinal et leur transformation chimique compromet leur
potentiel curatif
». Au Brésil, l’eau minérale est considérée
comme un minérai et le droit de l’exploiter doit être
concédé par le Département National de Production minérale
(DNPM), sous la direction du Ministère des Mines et
de l’Energie, un organe qui est également responsable en
matière de droit et de réglementation de production.

Paulino Soares de Souza, professeur honoraire de Droit
Civil à l’Université fédérale Fluminense, et avocat de
Macam, observe que même si une entreprise obtient une
concession pour exploiter une source déterminée –
comme c’est le cas de Nestlé – le DNPM doit autoriser le
forage et l’exploitation de chaque puits. Mais le fait est
qu’une telle autorisation n’a pas été accordée à la multinationale
suisse, ce qui n’a pas empêché cette dernière de
commencer ses activités dans la région depuis septembre
1996, année pendant laquelle elle a effectué son premier
forage avec comme premier objectif d’analyser la composition
de l’eau.

Manœuvres

Selon Pedro Paulo Aina, responsable, depuis 2001,
d’une action civile contre Nestlé, les résultats de l’analyse
ont révélé que l’eau avait une haute composition en
fer, teneur qui empêchait sa mise en bouteille et sa commercialisation
immédiate.

Par la suite, l’entreprise suisse a demandé au DNPM
l’autorisation de déminéraliser l’eau, pratique interdite
par le code des Eaux minérales. Même après avoir vu sa
demande rejetée plus d’une fois, Nestlé a commencé à
retirer les minéraux présents dans cette eau et a procédé
à sa commercialisation comme une eau commune, avec
seulement une composante plus forte en sels minéraux2.

La transnationale a transformé cette eau en une eau
«non minérale» et elle a réussi à obtenir le droit de la
commercialiser au moyen d’une autorisation de
l’Agence de Vigilance Sanitaire (Anvisa), organe du
Ministère de la Santé qui contrôle la commercialisation
des aliments.

En 1999, la transnationale a bénéficié d’une manœuvre
supplémentaire, cette fois-ci au sein du DNPM. En
paraissant être produite avec le consentement du DNPM
de l’époque, toutes les analyses et les enregistrements
réalisés sur les propriétés de l’eau du puits Primavera
ont été remises en question. Soudainement, l’eau n’a
plus été considérée comme minérale. Pourtant le DNPM
n’était pas en mesure d’en autoriser l’exploitation.

Action civile

Mais tous les appuis dont a bénéficié la transnationale
suisse pour continuer à produire et a commercialiser
cette eau sous l’étiquettePure lifen’ont pas suffit à
réduire au silence l’action civile en cours. Pedro Paulo
Alina a demandé la cessation de l’exploitation et la protection
du puitsPrimavera.

Par ailleurs, il a exigé le paiement d’une indemnité équivalente
au bénéfice obtenu grâce à la commercialisation
de cette eau par Nestlé, depuis le début de sa production,
et ceci jusqu’à la fin effective de l’extraction. En
effet, en partant du principe que la conduite de Nestlé
est illégale, le profit qu’elle en dégage l’est tout autant.

Cette action civile a fini par obtenir gain de cause en première
instance, devant la municipalité de São Lourenço,
mais l’entreprise suisse a fait recours et a obtenu gain
de cause dix jours plus tard. La partie plaignante s’est
insurgée et, plus d’un an après, l’affaire s’est répétée à
São Lourenço. Mais, une fois encore, Nestlé en est sortie
gagnante: un juge de Brasilia a interféré en son nom,
lui concédant le droit de maintenir ses activités dans la
ville jusqu’en octobre 2004.

Depuis que le délai est échu, le DNPM ne s’est pas
encore manifesté, note Paulino Soares de Souza.
L’entreprise continue à exploiter et à commercialiser illégalement
l’eau de source de São Lourenço.

Malhonnêteté

Pour Francisco Villela, l’attitude «honteuse» du DNPM a
permis à Nestlé de mener ses actions illicites durant toutes
ces années. «Il suffit de constater que, durant ces
huit dernières années, toutes les irrégularités signalées
n’ont pas interrompu les activités de Nestlé dans le puits
Primavera. L’entreprise a, en effet, toujours réussi à
contourner les problèmes, en connivence avec le
DNPM, et les organes étatiques et municipaux
», assure
l’activiste.

«A l’époque de Fernando Henrique Cardoso, tout était
fait de manière éhontée. Le DNPM est allé même jusqu’à
dire que l’eau n’était pas minérale, offrant une protection
aberrante à Nestlé. Quand Lula est arrivé au pouvoir, on
a cru au changement, mais les promesses ne se sont
pas réalisées. Nestlé est associée au gouvernement
fédéral dans le programme Faim Zéro
», complète
Souza.

En 2003, après l’élection de Luiz Inacio Lula Silva, le
DNPM a entamé un audit interne conduit par la procureure
fédérale Monica Almeida Horda. Il semblerait, que
celle-ci, tout en soulignant le caractère illégal de l’action
de Nestlé à São Lourenço, ait considéré que le document
établi par l’ancien procureur a été fait «de manière
désastreuse» et que les procédures n’ont pas été suivies
«de façon régulière.»

A la fin de l’audit, la procureure a demandé, d’une part,
l’instauration de processus administratifs disciplinaires
pour tirer au clair les responsabilités des serviteurs [de
l’Etat, ndt] qui ont élaboré les documents permettant
l’exploitation illégale de l’eau minérale par Nestlé.
D’autre part, elle a sollicité l’interdiction immédiate de
l’exploitation du puits Primavera.

Les reporters du Brasil de Fatoont eu un échange avec
Monica Almeida Horta qui les a informés que le Barreau
Général de l’Union (AGU) interdit aux procureur-e-s
d’accorder des interviews. La direction du DNPM a aussi
été contactée, par le biais de son attachée de presse,
mais elle ne s’est pas manifestée jusqu’ici.

Dafne MELO*

* Membre de la rédaction de Brasil de Fato. Tiré de l’édition du 20-
26 janvier 2005 de cet hebdomadaire de gauche indépendant.
Traduit du brésilien par Isabelle Paccaud.

  1. Le Parc des eaux de São Lourenço au Brésil est un parc naturel
    aquatique qui dispose d’une source à 150 mètres de profondeur
    (note de la traductrice, désormais ndt).
  2. En effet, pour produire Pur Life, Nestlé déminéralise l’eau pour
    ensuite la reminéraliser et pour la vendre au Brésil et dans des
    pays tiers en tant qu’eau commune. (ndt).