Charte mondiale des femmes pour l'humanité

Charte mondiale des femmes pour l’humanité

Le 10 décembre dernier, à Kigali
(Rwanda), les déléguées de la Marche
mondiale des femmes ont adopté la
Charte mondiale des femmes pour
l’humanité. En 2005, la MMF organisera
un relais de cette Charte dans le monde
entier. Elle transposera son contenu dans
les carrés d’un patchworkqui se formera
au fur et à mesure des étapes.
Le lancement mondial du relais aura lieu
le 8 mars 2005 à São Paulo au Brésil.
Il se prolongera jusqu’au 17 octobre et
passera par 53 pays, pour s’achever le
17 octobre 2005, à Ouagadougou, au
Burkina Faso. (réd.)

Nous, les femmes, marchons depuis longtemps pour
dénoncer et exiger la fin de l’oppression que nous vivons
en tant que femmes. (…) De nos luttes féministes, de
celles qu’ont menées nos aïeules sur tous les continents,
sont nés de nouveaux espaces de liberté, pour nousmêmes,
pour nos filles, pour nos fils et pour toutes les
petites filles et tous les petits garçons, qui, après nous,
fouleront ce sol.

Nous bâtissons un monde où la diversité est un atout et
où tant l’individualité que la collectivité sont sources de
richesse, où les échanges fleurissent sans contraintes,
où les paroles, les chants et les rêves bourgeonnent. Ce
monde considère la personne humaine comme une des
richesses les plus précieuses. Il y règne l’égalité, la
liberté, la solidarité, la justice et la paix. Ce monde, nous
avons la force de le créer.

Nous formons plus de la moitié de l’humanité. Nous
donnons la vie, travaillons, aimons, créons, militons,
nous distrayons. Nous assurons actuellement la majorité
des tâches essentielles à la vie et à la continuité de
cette humanité. Pourtant, notre place dans la société
reste sous-évaluée.

La Marche mondiale des femmes, dont nous faisons
partie, identifie le patriarcat comme le système d’oppression
des femmes et le capitalisme comme le système
d’exploitation d’une immense majorité de femmes
et d’hommes par une minorité.

Ces systèmes se renforcent mutuellement. Ils s’enracinent
et se conjuguent avec le racisme, le sexisme, la
misogynie, la xénophobie, l’homophobie, le colonialisme,
l’impérialisme, l’esclavagisme, le travail forcé. Ils
font le lit des fondamentalismes et intégrismes qui
empêchent les femmes et les hommes d’être libres. Ils
génèrent la pauvreté, l’exclusion, violent les droits des
êtres humains, particulièrement ceux des femmes, et
mettent l’humanité et la planète en péril.

Nous proposons de construire un autre monde où l’exploitation,
l’oppression, l’intolérance et les exclusions
n’existent plus, où l’intégrité, la diversité, les droits et
libertés de toutes et de tous sont respectés.

Cette Charte se fonde sur les valeurs d’égalité, de liberté,
de solidarité, de justice et de paix.

Egalité

  1. Tous les êtres humains et tous les peuples sont égaux
    dans tous les domaines et dans toutes les sociétés. Ils
    ont un accès égal aux richesses, à la terre, à un emploi
    digne, aux moyens de production, à un logement salubre,
    à une éducation,de qualité à la formation professionnelle,
    à la justice, à une alimentation saine, nutritive
    et suffisante, aux services de santé physique et mentale,
    à la sécurité pendant la vieillesse, à un environnement
    sain, à la propriété, aux fonctions représentatives,
    politiques et décisionnelles, à l’énergie, à l’eau potable,
    à l’air pur, aux moyens de transport, aux techniques, à
    l’information, aux moyens de communication, aux loisirs,
    à la culture, au repos, à la technologie, aux retombées
    scientifiques.
  2. Aucune condition humaine ou condition de vie ne
    peut justifier la discrimination.
  3. Aucune coutume, tradition, religion, idéologie,
    aucun système économique, ni politique ne justifie
    l’infériorisation de quiconque et n’autorise des
    actes qui remettent en cause la dignité et l’intégrité
    physique et psychologique.
  4. Les femmes sont des citoyennes à part entière
    avant d’être des conjointes, des compagnes, des
    épouses, des mères, des travailleuses.
  5. L’ensemble des tâches non rémunérées, dites féminines,
    qui assurent la vie et la continuité de la
    société (travaux domestiques, éducation, soin aux
    enfants et aux proches) sont des activités économiques
    qui créent de la richesse et qui doivent être
    valorisées et partagées.
  6. Les échanges commerciaux entre les pays sont
    équitables et ne portent pas préjudice au développement
    des peuples.
  7. Chaque personne a accès à un travail justement
    rémunéré, effectué dans des conditions sécuritaires
    et salubres, permettant de vivre dignement.

Liberté

  1. Tous les êtres humains vivent libres de toute violence.
    Aucun être humain n’appartient à un autre.
    Aucune personne ne peut être tenue en esclavage,
    forcée au mariage, subir le travail forcé, être objet
    de trafic, d’exploitation sexuelle.
  2. Chaque personne jouit de libertés collectives et
    individuelles qui garantissent sa dignité notamment:
    liberté de pensée, de conscience, de
    croyance, de religion; d’expression, d’opinion; de
    vivre librement sa sexualité de façon responsable et
    de choisir la personne avec qui partager sa vie; de
    voter, d’être élue, de participer à la vie politique; de
    s’associer, se réunir, se syndiquer, manifester;
    d’élire son lieu de vie, sa nationalité, de choisir son
    statut civil; de suivre les études de son choix, de
    choisir sa profession et de l’exercer; de se déplacer; de disposer de sa personne et de ses biens; d’utiliser
    la langue de communication de son choix dans
    le respect des langues minoritaires et des choix collectifs
    concernant la langue d’usage et de travail; de
    s’informer, de se cultiver, d’échanger, d’accéder aux
    technologies de l’information.
  3. Les libertés s’exercent dans la tolérance, le respect
    de l’opinion de chacune et de chacun et des cadres
    démocratiques et participatifs. Elles entraînent des
    responsabilités et des devoirs envers la communauté.
  4. Les femmes prennent librement les décisions qui
    concernent leur corps, leur sexualité et leur fécondité.
    Elles choisissent d’avoir ou non des enfants.
  5. La démocratie s’exerce s’il y a liberté et égalité.

Solidarité

  1. La solidarité internationale est promue entre les personnes
    et les peuples sans aucun type de manipulation
    ni influence.
  2. Tous les êtres humains sont interdépendants. Ils
    partagent le devoir et la volonté de vivre ensemble,
    de construire une société généreuse, juste et égalitaire,
    basée sur les droits humains exempte d’oppression,
    d’exclusions, de discriminations, d’intolérance
    et de violences.
  3. Les ressources naturelles, les biens et les services
    nécessaires à la vie de toutes et de tous sont des biens
    et des services publics de qualité auxquels chaque
    personne a accès de manière égalitaire et équitable.
  4. Les ressources naturelles sont administrées par les
    peuples vivant dans les territoires où elles sont
    situées dans le respect de l’environnement et avec
    le souci de leur préservation et de leur durabilité.
  5. L’économie d’une société est au service de celles et
    de ceux qui la composent. Elle est tournée vers la
    production et l’échange de richesses utiles socialement,
    qui sont réparties entre toutes et tous, qui
    assurent en priorité la satisfaction des besoins de la
    collectivité, qui éliminent la pauvreté et qui assurent
    un équilibre entre l’intérêt général et les intérêts
    individuels. Elle assure la souveraineté alimentaire.
    Elle s’oppose à la recherche exclusive du profit sans
    satisfaction sociale et à l’accumulation privée des
    moyens de production, des richesses, du capital,
    des terres, des prises de décision entre les mains
    de quelques groupes ou de quelques personnes.
  6. La contribution de chacune et de chacun à la société
    est reconnue et entraîne l’ouverture de droits
    sociaux, quelle que soit la fonction qu’ils y occupent.
  7. Les manipulations génétiques sont contrôlées. Il n’y
    a pas de brevet sur le vivant ni sur le génome
    humain. Le clonage humain est interdit.

Justice

  1. Tous les êtres humains,indépendamment de leur pays
    d’origine, de leur nationalité et de leur lieu de résidence,
    sont considérés comme des citoyennes et des citoyens
    à part entière jouissant de droits humains (droits
    sociaux, économiques, politiques, civils, culturels,
    sexuels, reproductifs, environnementaux) d’une
    manière égalitaire et équitable réellement démocratique.
  2. La justice sociale est basée sur une redistribution
    équitable des richesses qui élimine la pauvreté,
    limite la richesse, et assure la satisfaction des
    besoins essentiels à la vie et qui vise l’amélioration
    du bien-être de toutes et de tous.
  3. L’intégrité physique et morale de toutes et de tous est
    garantie. La torture, les traitements humiliants et
    dégradants sont interdits. Les agressions sexuelles, les
    viols, les mutilations génitales féminines, les violences
    spécifiques à l’égard des femmes et le trafic sexuel et
    la traite des êtres humains sont considérés comme des
    crimes contre la personne et contre l’humanité.
  4. Un système judiciaire accessible, égalitaire, efficace
    et indépendant est instauré.
  5. Chaque personne jouit d’une protection sociale qui
    lui garantit l’accès à l’alimentation, aux soins, au
    logement salubre, à l’éducation, à l’information, à la
    sécurité durant la vieillesse. Elle a accès à des revenus
    suffisants pour vivre dignement.
  6. Les services de santé et sociaux sont publics, accessibles,
    de qualité, gratuits et ce, pour tous les traitement,
    toutes les pandémies, particulièrement
    pour le VIH.

Paix

  1. Tous les êtres humains vivent dans un monde de
    paix. La paix résulte notamment: de l’égalité entre
    les sexes, de l’égalité sociale, économique, politique,
    juridique et culturelle du respect des droits, de
    l’éradication de la pauvreté qui assurent à toutes et
    tous une vie digne, exempte de violence, où chacune
    et chacun disposent d’un travail et de ressources
    suffisantes pour se nourrir, se loger, se vêtir,
    s’instruire, être protégé pendant sa vieillesse, avoir
    accès aux soins
  2. La tolérance, le dialogue, le respect de la diversité
    sont des garants de la paix.
  3. Toutes les formes de domination, d’exploitation et
    d’exclusion de la part d’une personne sur une autre,
    d’un groupe sur un autre, d’une minorité sur une
    majorité, d’une majorité sur une minorité, d’une
    nation sur une autre sont exclues.
  4. Tous les êtres humains ont le droit de vivre dans un
    monde sans guerre et sans conflit armé sans occupation
    étrangère ni base militaire. Nul n’a le droit de
    vie ou de mort sur les personnes et sur les peuples.
  5. Aucune coutume, aucune tradition, aucune idéologie,
    aucune religion, aucun système économique ni
    politique, ne justifient les violences.
  6. Les conflits armés ou non entre les pays, les communautés
    ou les peuples sont résolus par la négociation
    qui permet d’arriver à des solutions pacifiques,
    justes et équitables et ce, au niveau national,
    régional et international.

Appel

Cette Charte mondiale des femmes pour l’humanité
appelle les femmes et les hommes et tous les peuples et
groupes opprimés du monde à proclamer individuellement
et collectivement leur pouvoir à transformer le
monde et à modifier radicalement les rapports qui les
unissent pour développer des relations basées sur l’égalité,
la paix, la liberté, la solidarité, la justice.

Elle appelle tous les mouvements sociaux et toutes les
forces de la société à agir pour que les valeurs défendues
dans cette Charte soient effectivement mises en
œuvre et pour que les pouvoirs politiques prennent les
mesures nécessaires à leur application.

Elle invite à l’action pour changer le monde. Il y a
urgence!

Aucun élément de cette Charte ne peut être interprété ni
utilisé pour énoncer des opinions ou pour mener des
activités contraires à l’esprit de cette Charte. Les valeurs
qui y sont défendues forment un tout. Elles sont égales
en importance, interdépendantes, indivisibles; la place
qu’elles occupent dans la Charte est interchangeable.

Qu’est-ce que la Marche
mondiale des femmes?

La Marche mondiale des femmes est un mouvement
composé de groupes de femmes de diverses origines
ethniques, culturelles, religieuses, politiques, de classe,
d’âge, d’orientation sexuelle. Au lieu de nous séparer,
cette diversité nous unit dans une solidarité plus globale.
En 2000, nous avons, en tant que Marche mondiale des
femmes, écrit une plate-forme politique contenant 17
revendications concrètes afin d’éliminer la pauvreté
dans le monde, réaliser le partage des richesses, éradiquer
la violence à l’égard des femmes et obtenir le respect
de leur intégrité physique et morale. Nous avons
transmis ces revendications aux responsables du Fonds
monétaire international, de la Banque mondiale, de
l’ONU. Nous n’avons reçu aucune réponse concrète.
Nous avons aussi transmis ces revendications aux élus
et élues et, aux dirigeants et dirigeantes de nos pays.

Depuis lors, nous continuons à défendre nos revendications
sans relâche. Nous proposons des alternatives
pour construire un autre monde. Nous sommes actives
au sein des mouvements sociaux du monde et de nos
sociétés. Nous approfondissons la réflexion sur la place
qu’occupent et que doivent occuper les femmes dans le
monde.

Par cette charte mondiale des femmes pour l’humanité
et par les actions à venir nous réaffirmons qu’un autre
monde est possible, un monde rempli d’espoir, de vie,
où il fait bon vivre et nous déclarons notre amour à ce
monde, à sa diversité et à sa beauté.