Libéralisation des services: l'OMC relance le processus

Libéralisation des services: l’OMC relance le processus

Du 7 au 25 février prochain, des
discussions auront lieu en catimini au
siège de l’OMC à Genève sur l’Accord
général sur le commerce des services.
Nous nous sommes entretenus avec
Jacques-Chai Chomthongdi, chercheur
associé à l’ONG Focus On Global South,
basée à Bangkok en Thaïlande. Jacques-
Chai est actuellement à Genève et
travaille sur les enjeux relatifs à l’OMC.

L’accord général sur le commerce des services est
un des plus décriés des accords nés du Cycle de
l’Uruguay. En quoi l’AGCS est-il si dangereux?

L’aspect important de l’AGCS c’est qu’il couvre un vaste
spectre de sujets, y compris des services vitaux comme la
santé et l’enseignement. De plus, en réalité, les services
publics seront également attaqués par l’AGCS, même si les
pays développés s’efforcent de démentir cette affirmation.
Ceci signifie qu’il y a aura une pression accrue à la privatisation,
la dérégulation et la libéralisation des services
publics. L’accès aux services (eau, électricité, etc.) dépendra
de la situation économique des individus, plutôt que de
répondre à leur besoin d’êtres humains. Au nom de l’«efficience
», on est en train de mettre le marché au centre,
comme mécanisme d’allocation des ressources et des services.
Pourtant, les expériences aux quatre coins du monde
démontrent que ce sont les multinationales qui contrôlent
le marché et s’en servent pour maximiser leurs profits.
L’AGCS est donc un instrument pour aider ces multinationales
à accaparer l’un des secteurs économiques les plus
sensibles et profitables. Comme résultats, du côté des fournisseurs
de service on va au devant d’une réduction de
l’emploi dans le secteur public. Du côté des usagères et des
usagers, comme des consomatrices et des consommateurs,
un grand nombre de gens auront des difficultés
accrues et certains risquent d’être privé d’accès à une eau
potable propre et de qualité, comme à d’autres services. Il
est important de se rendre compte que ce scénario se produit
en parallèle, à la fois au Sud et au Nord.

En vertu de l’article XIX de l’accord, des
négociations successives en vue d’élever
progressivement le niveau de libéralisation
devaient être engagées au 1erjanvier 2000.
Finalement les choses ont traîné…

Il y a deux raisons principales à cette situation.
Premièrement, le secteur des services est devenu, au cours
de ces dernières années, plus important qu’il ne l’a jamais
été. Au niveau mondial, c’est le secteur économique au taux
de croissance le plus rapide et il emploie un très grand
nombre de travailleurs-euses. Ainsi, les enjeux sont bien
plus élevés aujourd’hui que lors de l’Uruguay Round.
Deuxièmement, les négociations dans le cadre de l’AGCS
ont été liées aux négociations concernant d’autres secteurs,
notamment l’agriculture. Comme les négociations dans le domaine agricole ont avancé lentement, c’est le cas aussi de l’AGCS. Nombre de pays en voie de développement n’ont par exemple pas soumis leurs «offres» initiales du fait que les pays du Nord ne voulaient pas réduire leur subventions agricoles. D’un autre côté, des pays du Nord, comme la Suisse et les pays de l’Union européenne, se plaignent toujours que, prise globalement, l’«offre» initiale en matière de services de la part des pays en voie de développement est de qualité médiocre. Néanmoins, lors du Conseil général de l’OMC, à Genève en juillet dernier, il y a eu quelques compromis dans le domaine de l’agriculture. Ainsi, nombre de courtiers espèrent maintenant une accélération des négociations à propos des services.

Du 7 au 25 février prochain, des discussions sur l’AGCS auront lieu au sein de l’OMC à Genève. Quels en seront les enjeux?

Cette rencontre est importante en ce sens qu’elle donnera le ton en matière de négociations en ce qui concerne les services, pour toute l’année jusqu’au sommet ministériel à Hong Kong. Les pays développés tentent d’imposer au pays en voie de développement une date butoir en mai 2005 pour qu’ils soumettent leurs «offres» et que ceux qui l’ont déjà fait en «améliorent la qualité». Le résultat des négociations en février nous dira si la date butoir de mai est réaliste ou pas. L’Inde, par exemple, a adopté une position offensive, comparativement à nombre d’autres pays en voie de développement, du fait notamment de sa compétitivité dans certains secteurs, comme l’informatique par exemple. D’un autre côté, le Brésil, par exemple, qui soutient en pointe la libéralisation marchande dans l’agriculture, prend une position très défensive en matière de services. Le risque c’est que cette négociation sur les services divise les pays en voie de développement et réduise encore leur force collective. Les négociations du mois en cours nous indiqueront si les choses risquent de se passer ainsi et à quel degré.

De plus en plus de collectivités publiques se
proclament «Zone hors AGCS». Quelles sont
concrètement leurs marges de manœuvres?

Personnellement, je suis d’avis que cette campagne
est excellente, du fait qu’elle contribue à élever le
niveau de conscience du public sur cette question. En
même temps, elle envoie un message fort aux autorités
et aux négociateurs sur ce thème. L’instruction
publique est un domaine crucial pour cette campagne.
Cependant, nous devons aussi suivre de manière
précise ce qui se passera à l’OMC à Genève ces
temps.

Il est évident que sans mobilisation publique et sans
l’attention des médias, à Genève en juillet dernier, les
tenants de la libéralisation économique auraient eu
un boulevard devant eux. Ainsi, Genève devient un
lieu stratégiquement très important, plus important
qu’auparavant car des décisions plus cruciales y
seront prises.

Entretien réalisé par Erik GROBET