Discrimination à l'embauche: ces invisibles visas pour l'emploi

Discrimination à l’embauche: ces invisibles visas pour l’emploi

Le cas de Séverine, cette femme noire qui s’est vue refuser une embauche dans un EMS à cause de la couleur de sa peau (voir solidaritéS no 61), a crûment mis en évidence une des formes de ségrégation sur le marché de l’emploi. Mais ce n’est pas la seule. Une étude, menée dans le cadre du Programme national de recherche Formation et Emploi démontre que les immigré-e-s de certains pays sont systématiquement désavantagés dans leur recherche d’emploi.1 La règle non écrite de la préférence nationale s’applique couramment dans les entreprises de ce pays.

Dans le résumé de leur étude, les auteur-e-s n’y vont pas par quatre chemins: «Il ne fait pas bon être Turc ou Yougoslave albanophone en Suisse à la recherche d’une emploi, même si on a un permis C. Mis en concurrence avec un jeune Helvète sorti de la même école au bénéfice d’un CFC identique, les candidats immigrés ont moins de chance de décrocher un emploi. 24% pour les Yougoslaves albanophones en Suisse romande sont ainsi discriminés, 30% des Turcs en Suisse alémanique et même 59% des Yougoslaves albanophones dans cette partie du pays. Ces taux sont nettement plus élevés que ceux observés dans d’autres pays européens, notamment l’Allemagne. A compétences égales, ayant effectué toute leur scolarité en Suisse, les jeunes d’origine immigrée provenant des pays hors Union européenne sont clairement mis de côté». Une pratique qui trouve un écho largement positif dans la population, si l’on en croit une récente enquête Univox. A l’affirmation «Lorsqu’un Suisse et un étranger, présentant les mêmes qualifications, se portent candidats pour un poste de travail, il faudrait accorder la priorité au Suisse», 60 % des personnes interrogées souscrivent à cette assertion, contre 29 % qui s’y opposent.2

Le «testing» virtuel
de l’enquête

Dans ses actions de mise en évidence des discriminations raciales, SOS-racisme France a fait connaître la méthode dite du «testing», qui consiste, par exemple, à envoyer trois couples, l’un blanc et «normal» (dirait Coluche), l’autre noir et le troisième d’apparence maghrébine vérifier le tri au faciès effectué aux entrées des discothèques et des boîtes de nuit. Il n’était évidemment, matériellement, pas possible de reprendre cette modalité en ce qui concerne l’embauche. L’observation s’est donc faite en s’inspirant d’une méthode de recherche semi-expérimentale mise au point par l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Ce «test des pratiques effectives» consiste à répondre à d’authentiques offres d’emploi parue dans la presse en présentant des dossiers de candidature fictifs, dans lesquels qualifications, expérience, sexe, âge et autres critères «d’employabilité» sont identiques. Seul le pays d’origine (mais pas la scolarité) diffère. On peut dès lors se trouver devant deux cas de figure significatifs: soit l’employeur invite l’une des postulant.e.s, mais pas l’autre, à un entretien d’embauche, soit il convoque les deux candidat.e.s, mais ne prend contact avec le deuxième que lorsque le premier a refusé l’emploi. Dans le premier cas, la différence entre les réponses favorables au candidat suisse et celles au candidat d’origine immigrée donne le taux de discrimination net. Dans le deuxième cas, le même calcul donne un taux de «comportement différent». Le taux de discrimination net ajouté au taux de comportement différent donne le taux maximal de discrimination. Pour réduire l’effet du hasard, un seuil critique est fixé, au-delà duquel il est fondé de parler de discrimination.

Des résultats accablants

Les auteur-e-s notent ainsi: «on considère que les Portugais ne souffrent pas de discrimination nette à l’embauche en Suisse romande, puisque leur taux de discrimination est inférieur au seuil critique. Par contre les Turcs et les Yougoslaves albanophones connaissent des taux élevés de discrimination dans leur recherche d’emploi, respectivement de 30 %, de 24 % en Suisse romande et de 59 % en Suisse alémanique.

Le premier résultat majeur de l’étude est donc le constat qu’une discrimination massive, bien que variable d’un groupe à l’autre, frappe les jeunes issus des migrations extra-communautaires, handicapant ainsi considérablement leur accès à l’emploi, même lorsqu’ils sont porteurs des mêmes qualifications linguistiques, scolaire et professionnelles que leurs contemporains Suisses». Et si l’on prend en considération le taux maximal de discrimination, l’avantage relatif des Portugais diminue, puisqu’il connaissent un important taux de comportement différent. Souvent convoqué-e-s, plus rarement engagé-e-s, ils sont en quelque sorte un «deuxième choix», et leur taux maximal de discrimination s’élève finalement à 42,4 %, contre 60,9 % pour les Yougoslaves albanophones en Suisse romande (69,9 % en Suisse alémanique) et 52,2 % pour les Turcs.

Pire qu’en Allemagne…

En comparaison internationale, le tableau n’est pas plus reluisant pour l’Eden helvétique: «Le taux minimal de discrimination des Turcs, le seul groupe testé également dans un autre pays européen, est deux fois plus élevé en Suisse qu’en Allemagne et les conditions défavorables d’accès à l’emploi pour les jeunes Yougoslaves albanophones n’ont pas d’égal dans d’autres pays européens». Les mécanismes répressifs «à la Schengen» vont évidemment accroître cette discrimination des «secondos» d’origine extra-communautaire, la légitimer même. Une raison supplémentaire pour rejeter cet accord.

Le grand mérite de cette enquête est donc de mettre à jour la réalité de la discrimination frappant avant tout, mais pas seulement, les jeunes originaires des pays extra-communautaires, en dépit de leur scolarisation réussie en Suisse. En reproduisant à un haut niveau ce qui se passe aussi dans l’Union européenne, la Suisse démontre que la marginalisation des «secondos» sur le marché du travail n’est pas – comme le «bon sens» le prétend -, l’effet prioritaire de difficultés scolaires ou linguistiques, mais bien le résultat de pratiques discriminatoires à l’embauche. Seul bémol, mais il est de taille, l’enquête ne nous dit rien sur le sort spécifique réservé aux «secondas». Difficile pourtant d’imaginer que leur situation soit en tous points comparable à celle des hommes.

Daniel SÜRI

  1. Rosita FIBBI, Bülent KAYA, Etienne PIGUET, Nomen est omen: Quand s’appeler Pierre, Afrim ou Mehmet fait la différence. Rapport de synthèse. Berne/Aarau, 2003.
  2. Cité par U. Raymann, Meinungen und Einstellugen gegenüber Ausländerinnen und Ausländer in der Schweiz, Zürich, 2003.