Les vrais modèles… Femme exilée-femme engagée

Les vrais modèles… Femme exilée-femme engagée

Créé grâce à l’opiniâtreté d’Alba Viotto, immigrée italienne, militante infatigable d’Amnesty International, le Prix «Femme exilée – femme engagée», décerné pour la 4e fois en 2005, est de plus en plus suivi par les médias et reconnu en Suisse romande. Il a pour but de rendre un hommage public au courage et à la dignité de femmes exilées qui, non seulement, ont réussi à s’adapter, mais encore à exercer leur solidarité en Suisse. Alba Viotto et le comité du Prix organisent une cérémonie marquante et une conférence de presse. Chaque année le Prix «femme exilée – femme engagée» publie une brochure avec les portraits et les brèves biographies des lauréates*.

Ce rendez-vous donne à ces femmes l’occasion de s’exprimer par elles-mêmes, de sortir de l’ombre, de faire connaître leur histoire d’exil et les difficultés qu’elles rencontrent en Suisse. Par ce biais, le public suisse prend conscience de la réalité des requérantes d’asile et des immigrées, et découvre la richesse de leur apport. Il peut aussi se rendre compte de l’ignorance délibérée des diplômes, des compétences professionnelles et de l’expérience des exilées. Elles sont souvent des universitaires, ayant fait preuve d’activités hors du commun dans leur pays. Ainsi, en 2001, le Prix femme exilée a distingué Marcienne Mujawaha, ministre des affaires sociales au Burundi, ici toujours chômeuse. Cette année, on peut signaler Perpétue Nshimiramana, ex-ambassadrice du Burundi auprès des Nations Unies à Genève, qui n’utilise ses connaissances que bénévolement auprès des œuvres d’entraide. Et Nicoleta Gangioveanu, ingénieure en Roumanie, obligée en Suisse de rester au foyer pour s’occuper de son fils handicapé. Ce mépris de leur savoir est non seulement source d’humiliation pour les exilées, mais représente aussi un appauvrissement stupide de la part de la Suisse.

Luz Marina,
témoignage et poésie

Luz Marina Escobar Torres vit à Vevey. C’était une militante des droits humains en Colombie, tout en exerçant son travail d’assistante sociale auprès des personnes en situation d’extrême précarité. Après l’assassinat de son mari par un escadron de la mort, menacée à son tour, elle a pris le chemin de l’exil avec ses deux fils. L’arrivée au CERA de Vallorbe, puis dans une petite ville du canton de Vaud, a été une expérience très dure, humiliante, mais elle s’est accrochée de toutes ses forces pour apprendre le français et a créé spontanément un groupe de soutien mutuel avec d’autres femmes exilées: Nosotras nos necesitamos (nous avons besoin les unes des autres).

Maintenant, elle livre son témoignage dans les écoles et les associations, à la demande de l’OSAR ou du HCR. Ses deux fils poursuivent brillamment leurs études. Son poème «ce qu’on cherche, ce qu’on trouve» a été interprété par l’actrice chilienne Betty Moran, lors de la cérémonie de remise du Prix 2005 et a provoqué une grande émotion dans l’assemblée.

Eva, victorieuse contre le DDPS

Eva Guenat-Minaya vit à Bienne. Au cours de la cérémonie, elle a évoqué son passé de «petite fille quechua, parcourant pieds nus les hauts plateaux de la Cordillère des Andes». C’est en 1980 qu’elle a fui le Pérou, sa terrible guerre civile et la misère qui s’en suit. Avant de s’établir en Suisse, elle a parcouru le monde, sac au dos, attirée par la diversité des cultures culinaires. Elle a décidé de se former en cuisine et a trouvé avec joie une place d’aide dans l’Ecole fédérale de sport de Macolin. En fait, elle est tombée dans un milieu professionnel raciste et sexiste. Comme elle le dit elle-même: «la société occidentale considère les femmes originaires de pays en voie de développement comme illettrées, corvéables à merci, peu combatives, de mœurs légères, incapables de s’engager dans une fonction à responsabilités». Mobbée et harcelée sexuellement, puis licenciée abusivement, Eva s’est battue de façon exemplaire contre le Département de la défense (DDPS).

Soutenue par le syndicat Unia et un bon avocat, elle a été déboutée dans un premier temps, mais elle est revenue à la charge et, grâce à une expertise de la commission spécialisée de la Leg, on a pu prouver qu’elle n’avait été licenciée que parce qu’elle s’était plainte du harcèlement dont elle était victime. Fin janvier 2003, soit 6 ans après les premiers faits, la Commission fédérale de recours en matière de personnel fédéral lui a rendu justice. L’Office fédéral de la défense a dû lui payer 22 mois de salaire, des intérêts et une indemnité, soit une somme de 100000 francs! La ténacité et le courage dont a fait preuve cette aide de cuisine immigrée qui a osé se battre contre les plus hautes instances du pays, et sa victoire, constitue un modèle fort pour toutes les femmes abusées.

Femmes actives,
pour un statut légal

L’initiatrice du Prix «Femme exilée – femme engagée» a toujours voulu privilégier l’engagement collectif. Elle était particulièrement heureuse cette année d’honorer les Femmes actives du Collectif des travailleuses et travailleurs sans statut légal. Ce groupe comporte quatorze femmes, originaires en majorité d’Amérique du Sud, qui vivent, travaillent et militent à Genève depuis parfois de nombreuses années, mais dans la clandestinité. Elles font partie des milliers de travailleuses de l’ombre, majoritairement actives dans l’économie domestique et l’hôtellerie.

Il y a trois ans, elles ont vaincu leur peur et ont décidé de s’unir pour apparaître publiquement et faire avancer la cause de la reconnaissance des sans-papiers.

Elles collaborent avec des syndicats, avec des associations et le Collectif féministe du 14 juin, elles participent régulièrement à une émission de radio (Radio-Zones), elles témoignent lors de journées d’études et de réflexions.

Grâce à elles, entre autres, le canton de Genève avance dans la reconnaissance des droits des personnes sans statut légal.

Maryelle BUDRY

* En vente à F-Information, 67 rue de la Servette, et à la librairie L’Inédite, 15 rue Saint-Joseph, Carouge.