Loi sur la prostitution: quels buts? quels moyens?

Loi sur la prostitution: quels buts? quels moyens?

Suite à un postulat de Béatrice Bois (PS) sur le commerce du sexe dans le canton de Neuchâtel, le Conseil d’Etat soumet un rapport au Grand Conseil à l’appui d’un projet de loi sur la prostitution et la pornographie qui sera traité au Parlement les 28-29 juin prochains. Faut-il une loi cantonale? et si oui, dans quel but?

Parce que cette question mérite réflexion, Solidarités a organisé, début juin, une table ronde autour de ce projet de loi cantonale. Sandra Spagnol, déléguée à la politique familiale et à l’égalité, animait la discussion entre le public et les quatre invité-e-s, Marianne Ebel (députée Solidarités), Marianne Schweizer (travailleuse sociale à l’aspasie/Association de solidarité avec les personnes travaillant dans les métiers du sexe), Olivier Guéniat (chef de la police de sûreté/NE) et Thomas Facchinetti, (délégué aux étrangers/NE).

Protégée par la liberté économique…

En Suisse la prostitution est une activité licite, dont l’exercice est protégé par la liberté économique (sic!). Rien ne peut donc empêcher d’acheter un tel service… Activité licite, à condition de n’être pas contrainte… Mais «liberté» et «absence de contrainte» n’ont guère de sens. Comment peut-on en effet distinguer prostitution libre et prostitution forcée, quand on sait que 80% des personnes qui se prostituent ont subi des maltraitances durant leur enfance (abus sexuel, viol, inceste), que la majorité des personnes prostituées, aujourd’hui adultes, sont entrées dans la prostitution à la pré-adolescence ou à l’adolescence, quand ce n’est pas dans l’enfance.

Dans le canton, comme au niveau mondial, l’essor spectaculaire des industries du sexe, provoqué par la mondialisation capitaliste1, contribue partout à banaliser la marchandisation des êtres humains. Vendues par leur famille, kidnappées, ou rêvant tout simplement d’une nouvelle vie dans un pays occidental, environ quatre millions de femmes et d’enfants basculent chaque année dans l’enfer de la traite à des fins de prostitution. Il n’est pas rare qu’une femme décide de quitter sa famille, son pays, sur la base d’une promesse d’un travail (vente/ménage, etc), et qu’elle aboutisse en réalité dans un salon de massage.

Une loi cantonale?

A Neuchâtel aussi cet enfer-là existe, Olivier Guéniat le confirme et pour lui, c’est bien là qu’une loi cantonale prendrait tout son sens: «La police doit pouvoir vérifier que les filles qui exercent la prostitution n’y sont pas poussées; or, pour l’instant, notre boîte à outil est vide». Sans minimiser cet aspect de contrôle, Marianne Ebel a insisté, quant à elle, sur le fait que vouloir n’aborder cette réalité que par un contrôle accru est notoirement insuffisant et très problématique.

Que se passera-t-il quand la police trouvera des femmes sans permis valable? Pourra-t-on se contenter de regretter que c’est là un point qui relève de la loi fédérale sur l’immigration et que l’expulsion est la règle? Certainement pas! C’est pourquoi PopVertSol déposera un amendement au projet de loi neuchâtelois, reprenant sur ce point un article inscrit dans la loi vaudoise: «s’il s’agit d’une personne étrangère, sans permis ou sans papier, le Conseil d’Etat sollicite à son attention une autorisation de séjour auprès de la Confédération ou, si elle le souhaite, lui accorde une aide au départ».

Marianne Schweizer a, quant à elle, dénoncé l’amalgame trop souvent fait entre pornographie, traite des êtres humains et prostitution. Pour la plupart des prostituées, le travail du sexe est un moyen de survie, et pour beaucoup «la galère»! Donc, une loi, pour être valable, devra selon elle prévenir, protéger et soutenir «celles pour qui c’est la galère». Permettre aux travailleuses et travailleurs du sexe de vivre décemment, lutter contre l’exclusion, la stigmatisation, les abus, passe aussi par une reconnaissance et un soutien des associations indépendantes, dont le but est de venir en aide aux personnes exerçant la prostitution. Un amendement allant dans ce sens sera défendu par PopVertSol devant le Parlement.

Un commerce mondial florissant

Marianne Ebel a rappelé que le Conseil d’Etat admet, dans son rapport, qu’au niveau mondial, les profits de la seule traite des femmes à des fins de prostitution rapportent aujourd’hui plus que le trafic des armes à feu ou que le commerce de la drogue. Une arme ne peut être vendue qu’une fois, tandis qu’une femme peut l’être plusieurs fois.

Or, le canton de Neuchâtel est un maillon, certes petit, de ce marché mondial de la prostitution: «Quand on voit le nombre de cabarets et de salons de massages qui se trouvent sur notre territoire, on mesure le nombre de clients qui ont des moyens financiers, qui dépensent sur place ou lors de voyages lointains et qui provoquent un déplacement organisé de la prostitution, du Sud vers le Nord et de l’Est vers l’Ouest où se trouvent les clients». Voilà l’une des raisons qui fondent un autre amendement que Solidarités défendra au Grand Conseil: l’Etat doit soutenir «des actions de prévention dans les pays de recrutement des personnes exposées, en qualité de victime, à la traite des êtres humains ou à l’encouragement à la prostitution».

Thomas Facchinetti a, quant à lui, insisté sur les actions de prévention et d’information que son service organise avec succès depuis un certain temps déjà, et qui seront ainsi ancrées dans la loi. Un travail important, que Solidarités soutient, mais là encore une lecture attentive du texte met en évidence que les objectifs énoncés à l’article premier ne trouvent qu’une concrétisation très partielle dans les différents chapitres de cette loi. La «boîte à outil» dont a besoin la police est remplie, mais les mesures de prévention et de protection des victimes, et les moyens concrets pour aider les femmes prises au piège de la prostitution et qui souhaiteraient en sortir sont notoirement insuffisants. Afin de compléter cette loi, PopVertSol demandera de ce fait le renvoi en commission.

Henri VUILLIOMENET

  1. Richard Poulin, La mondialisation des industries du sexe. Prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, Éditions l’Interligne, collection «Amarres», 2004.