Barcelone: plus de 300 000: que s’est-il passé le 16 mars?

Barcelone

Plus de 300 000: que s’est-il passé le 16 mars?


Les récentes mobilisations de Barcelone des 15 et 16 mars contre le Conseil de l’Europe ont constitué un succès politique indiscutable. Sans aucun doute, il y aura un avant et un après pour le mouvement contre la mondialisation capitaliste dans l’Etat espagnol.


Josep-Maria ANTENTAS*



Au niveau international, les mobilisations de Barcelone ont été marquées par la dynamique de développement du mouvement depuis le 11 septembre. Si Bruxelles a été la première épreuve du feu pour le mouvement, remportée avec succès, le 2e Forum Social Mondial de Porto Alegre a permis de démontrer son bon état de santé, sans l’ombre d’un doute, et ceci en dépit du tournant réactionnaire de la politique mondiale, imposé par Bush depuis le 11 septembre. (…)

Contexte espagnol

Au sein de l’Etat espagnol, les mobilisations de Barcelone doivent être replacées dans le contexte d’une renaissance de la mobilisation sociale, bien que partielle et inégale, et d’une poussée du mécontentement social face aux politiques du gouvernement du PP (Parti Populaire), et aussi de la CiU (Converjencia y Union) en Catalogne.



Parmi les nombreux fronts ouverts durant ces derniers mois, on se limitera à citer:

  1. Les mobilisations étudiantes contre la Loi Organique des Universités (LOU) (novembre 2001).
  2. Les mobilisations massives contre le Plan Hydrologique National (PHN). 200000 personnes dans les rues de Barcelone, le dimanche 10 mars, à la veille du Sommet européen.
  3. La mobilisation des immigrant-e-s Sans Papiers, dont le catalyseur a été l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les Etrangers, au début 2001.
  4. Le développement de luttes syndicales, dont certaines ont eu un impact social important, même si la tendance générale est toujours marquée par une certaine passivité du monde du travail.
  5. Le rôle croissant du mouvement «contre la mondialisation», qui n’a cessé de monter en puissance, dans toute le pays, depuis les mobilisations de Barcelone contre la Banque Mondiale des 24-25 juin 2001.


Toutes ces luttes ont développé une dynamique particulière, bien qu’elles aient aussi quelques points communs. En termes généraux, on peut affirmer qu’elles ont été dynamisées par des campagnes (ou plate-formes, dans certains cas) larges et unitaires, avec des revendications combatives et mobilisatrices, qui ont regroupé un large spectre social. Mais dans presque tous les cas, il y a eu un élément de conflit entre les secteurs les plus combatifs et mobilisateurs d’une part, et les organisations politiques parlementaires (PSOE, majorité de IU, ICV…) et les grands syndicats (CCOO, UGT) d’autre part, qui ont parfois monté leurs propres plate-formes en concurrence avec les campagnes unitaires, comme cela a été le cas dans les mobilisations contre la Loi Organique des Universités (LOU) ou celles des Sans Papiers. (…)

Le mouvement «contre la mondialisation»

Manifs de Barcelone en chiffres


9 mars. Reclaim the Streets avec 3000 personnes.


10 mars. Manifestation contre le Plan Hydrologique National avec 200000 personnes.



13 mars. Manifestation syndicale de la CES avec 100000 personnes.



15 mars. Journée d’action directe décentralisée



16 mars, matin: 6000 participant-e-s au Forum des alternatives.



16 mars, après-midi. Grande manifestation de la Campagne contre l’Europe du Capital et la Guerre, précédée symboliquement par une rangée de «militant-e-s anonymes»: 250000 personnes (selon la police), 300000 (selon la presse), 500000 (selon les organisateurs/trices). Les deux tronçon séparés du Forum Social de Barcelone (gauche parlementaire et syndicats), qui s’est dissout avant de défiler, et de la Plateforme Catalane (nationaliste), 5000 personnes, ont fait pâle figure.



16 mars, soir. Concert final avec Manu Chao suivi par 50000 personnes.

Dans la période après Seattle, de nombreux événements ont marqué le développement du mouvement «anti-mondialisation» en Catalogne et dans l’Etat espagnol. Revenons sur les trois plus importants:

  1. La consultation sociale pour l’abolition de la dette extérieure, organisée par le Réseau Citoyen pour l’abolition de la dette extérieure (RCADE), le 12 mars 2000. Réalisé le même jour que les élections générales, cette consultation a recueilli 1250000 voix (la moitié en Catalogne).
  2. La création du Mouvement de Résistance Globale (MRG) en Catalogne, avant l’été 2000. Il s’agit d’un réseau de coordination diffus entre collectifs et personnes, orienté vers un travail de base, avec la vocation d’intervenir dans les luttes contre la globalisation capitaliste. En réalité, la préparation de la mobilisation de Prague en septembre 2000, représente la véritable lutte fondatrice du mouvement «anti-globalisation» dans l’Etat espagnol.
  3. La campagne 2001 contre la Banque Mondiale, à Barcelone, où devait se tenir la Conférence de la BM sur l’économie du développement, les 25-27 juin, avant d’être annulée, sans pour autant que la protestation le soit aussi. Rappelons que la police avait infiltré la manif pour provoquer des affrontements et justifier une répression brutale à la fin, ce qui a pu être prouvé. Barcelone 2001 a marqué une transformation du profil du mouvement, ainsi qu’un élargissement et une diversification de sa base sociale, favorisant la convergence de nombreuses organisations sociales, bien au-delà de la nouvelle génération militante.]

Campagne contre l’Europe du capital et la guerre


Le début de la campagne contre l’Europe du capital et la guerre a été lente et complexe. (…) Le mouvement a été relativement paralysé, durant plusieurs mois, par des divergences stratégiques quant à la forme d’organisation qu’il fallait adopter. Finalement, un accord est intervenu pour une campagne unitaire, inspirée par celle réalisée contre la Banque Mondiale, dont le lancement n’a pas pu être fait avant début 2002.



La campagne a été réalisée par plus de 100 organisations de natures différentes (réseaux informels, plateformes locales, partis, syndicats, ONGs), ainsi que par de nombreuses personnes à titre individuel1. La participation d’une bonne partie mouvement autonome a été forte, au moins pour certaines activités de la campagne, alors qu’au moment de la mobilisation contre la BM, une partie de celui-ci avait pris ses distances pour construire une petite plateforme dénommée «Barcelone Tremble». [Comme pour la campagne contre la BM, la mobilisation a reposé sur des assemblées et des commissions de travail ouvertes, notamment à des militant-e-s agissant à titre individuel, et non sur un cartel d’organisations.]



En revanche, les grandes confédérations syndicales – CCOO et UGT – et les partis parlementaires catalans – ICV (ex-communistes reconvertis en Verts), ERC (nationalistes), PS et majorité d’IU – ne se sont pas associés à la campagne. Avec l’appui de quelques ONGs, elles se sont retrouvées autour d’une plateforme distincte, le Forum Social de Barcelone (FSB), utilisée pour faire une concurrence médiatique à la Campagne contre l’Europe du Capital et la Guerre. En dépit de cela, le FSB s’est vu obligé d’appuyer la manifestation du 16 mars, convoquée par la Campagne, dès lors qu’il devenait évident qu’elle représentait un événement incontournable.

  1. MRG (entouré de la RCADE – Réseau contre la dette), lCollectif de soutien à la rébellion zapatiste, ATTAC, Assemblée des travailleurs contre la mondialisation (avec des militant-e-s de la CGT, de l’Intersyndicale Alternative de Catalogen et de secteurs critiques des CCOO), Marche Mondiale des Femmes et Courrant Rojos dans Izquierda Unida en Catalogne.

* Extrait d’un article à paraître dans Inprecor. Titre, intertitres, coupures et traduction de la rédaction. Les phrases entre crochets résument certains passages du texte original, dont la version intégrale en espagnol est disponible sur notre site.

Josep-Maria Antentas est membre de l’organisation de gauche alternative Batzac et du Movimiento de Resistencia Global en Catalogne. Nous avons déjà eu l’occasion de publier une analyse de sa part sur les mobilisations contre Davos en janvier 2001 (XXX). Rappelons que Josep fait l’objet d’une interdiction d’entrer en Suisse totalement arbitraire.

Journée d´action décentralisée du 15 mars

La nécessité d’organiser une journée de désobéissance civile et de protestation «non conventionnelle» était évidente pour les protagonistes de la Campagne. En même temps, la possibilité de réaliser une tentative de siège du Sommet officiel, dans le style «classique» de Seattle, paraissait impossible, compte tenu du dispositif policier sans précédent. C’est pourquoi, il a été décidé d’appeler à une journée d’actions décentralisées en différents points de la ville.



La journée d’action décentralisée a permis de réadapter la stratégie de l’action directe non violente au nouveau contexte d’augmentation de la répression et des dispositifs policiers durant les sommets, tout en maintenant l’importance de l’action directe comme forme stratégique de mobilisation. En tout, plus de 30 actions ont été réalisées, parmi lesquelles l’«expédition chasse-lobbies», à laquelle plus de 1000 personnes ont pris part (un parcours des sièges de divers lobbies et multinationales du centre ville); la tentative d’occupation de quelques sièges de la Telefónica (compagnie privatisée de téléphone) par leurs travailleurs; plusieurs manifs à bicyclette dans la ville; une manifestation contre les aliments transgéniques et, finalement, un cirque «alternatif» avec une audience de plus de 5000 personnes.

Le Movimiento de Resistencia Global (MRG)

C’est avec la mobilisation contre le FMI et la BM à Prague, en septembre 2000, que le MRG est devenu un point de référence du mouvement «anti-globalisation»] Le MRG ne doit pas tant son importance à ce qu’il a réellement reprépsenté au niveau de l’organisation, mais au fait qu’il ait été l’une des principales expressions des processus actuels de radicalisation d’une frange importante de la jeunesse en Catalogne et dans l’Etat espagnol. Il marque l’irruption d’une nouvelle génération militante, qui se caractérise par une idéologique anticapitaliste de base, par la volonté de contrôler l’activité politique depuis en bas, en s’organisant en réseaux horizontaux peu formalisés sur le plan organisationnel, de même que par la recherche de formes de mobilisations «non conventionnelles», centrées sur différentes formes d’action directe non violente.



Durant la seconde moitié des années 90, la conjoncture a été favorable à la renaissance d’un mouvement jeune fort, déconnecté des mouvements animés par les générations militantes antérieures et la gauche politique, ceci en raison de deux facteurs. D’abord, l’affaiblissement des structures et des réseaux militants des différents mouvements surgis dans les années 70 et 80, ainsi que le tournant à droite des principaux syndicats. D’autre part, la crise de la gauche politique, lié au blocage et à l’impasse de projets comme Izquierda Unida, au virage à droite d’autres comme l’ICV en Catalogne, de même qu’à l’explosion des principales organisations de la gauche révolutionnaire dans la première moitié des années 90.



La vague actuelle de radicalisation de la jeunesse contre la mondialisation capitaliste a été précédée par une première vague autour du mouvement okupa (squatter), de fin 1996 à 1999, dans un climat de démobilisation sociale général. Cependant, la radicalisation actuelle s’appuie en partie sur le développement antérieur du mouvement autonome, tout en dépassant largement ses limites et en intégrant un spectre beaucoup plus large et diversifié de jeunes. Il se produit dans un climat de renaissance des luttes et de convergence de secteurs sociaux et de générations différentes à l’occasion de campagnes unitaires comme celle de Barcelone contre le Sommet des Chefs d’Etat.