Allemagne: percée électorale à gauche

Allemagne: percée électorale à gauche

Jusqu’au dimanche 18 septembre, il n’y avait que les sondages, maintenant il s’agit d’un fait: le Parti de Gauche, c’est-à-dire l’ex-PDS soutenu par la WASG (Alternative pour l’Emploi et la Justice Sociale) est devenu une force politique parlementaire avec 8,7% des voix, plus forte que les Verts qui ont obtenu 8,1 % (contre 8,6% en 2002). Il n’est pas exagéré de parler d’un petit tremblement de terre politique.

En 2002, le PDS n’avait obtenu que 4% des voix et n’avait pas réussi à dépasser la barre des 5%; depuis lors, ce parti n’était plus présent au Bundestag qu’avec deux députées par mandat direct. En fait, le PDS était bien parti pour devenir un parti «de l’Est», avec une base électorale en érosion, à cause de sa participation gouvernementale à Berlin et en Mecklenburg-Poméranie Antérieure, comme partenaire junior du SPD, portant la co-responsabilité de l’application de la politique d’austérité anti-sociale de la social-démocratie, devenue néolibérale.

Percée du nouveau «Parti de Gauche», recul du SPD et des Verts

Après le succès de la WASG dans les élections régionales de Rhénanie-Westphalie en mai (2,2% des voix contre 0,9% au PDS) et la démarche d’Oskar Lafontaine proposant l’unité et joignant les rangs du WASG, la possibilité d’une percée électorale devenait envisageable. Le tout devait se faire à toute allure à cause de l’initiative du chancelier Gerhard Schröder (SPD) qui avait posé la «question de confiance» tout en organisant sa propre «défaite» au Parlement pour arriver aux élections anticipées du 18 septembre. Cette fuite en avant, qui devait couper court à la mobilisation sociale, à la critique au sein du SPD lui-même, et à la création d’une nouvelle force politique à gauche, se solde par une défaite des partis gouvernementaux. C’est bel et bien la dynamique unitaire, à gauche du SPD et des Verts (Grünen), qui a changé le rapport de force politique.

Le SPD et le CDU/CSU (conservateurs chrétiens) avaient chacun obtenu 38,5% des voix en 2002. Le SPD tombe à 34,3% des voix et le CDU/CSU à 35,2%. Peu de temps avant les élections, dans les sondages sur les intentions de votes, la chute du SPD avait été plus dramatique encore. Il se trouvait même au-dessous des 30%, et le Parti de Gauche arrivait jusqu’à 11%. Mais pendant les toutes dernières semaines avant les élections, la direction du SPD avait réussi à créer une polarisation contre le CDU/CSU et les libéraux du FDP, en faisant croire encore une fois que, tout en se battant pour les «réformes nécessaires de l’Etat providence», il serait le parti de l’équité sociale, tandis que le CDU/CSU et le FDP seraient les partis de l’injustice sociale et de la brutalité contre les petites gens. Vu la politique réelle du gouvernement SPD/Vert, c’était vraiment un chef-d’oeuvre de démagogie!

Un vote utile contre le néolibéralisme

Comme Oskar Lafontaine et Gregor Gysi, les candidats en pointe du Parti de Gauche l’avaient annoncé et répété dans la dernière phase de la bataille électorale, le vote à gauche du cartel néolibéral des partis établis a aussi été un «vote utile» en barrant la voie à un gouvernement «noir-jaune» mené par Angela Merkel et formé par les conservateurs chrétiens et les libéraux. Le SPD et les Verts, à eux seuls, n’y seraient par parvenus. Ce fait indique que l’échiquier politique connaît un changement durable en Allemagne. Par ailleurs les 9,8% du FDP, qui propose les mesures néolibérales les plus féroces, montrent aussi une autre polarisation, à droite cette fois-ci, au détriment des “grands partis”.

Pour le moment, le futur du prochain gouvernement n’est absolument pas clair. Ni «noirs-jaunes» ni «roses-verts» ne jouissent d’une majorité au Bundestag. Tous les partis établis excluent une alliance avec le Parti de Gauche, dont les représentant-e-s excluent par ailleurs toute collaboration gouvernementale au niveau fédéral avec les partis responsables de la politique néolibérale. Gerhard Schröder, au soir du dimanche 18 septembre, a pris tout le monde par surprise en affirmant qu’il resterait chef du gouvernement. Avec qui? Le chef du FDP, Guido Westerwelle, pour sa part, a exclu de co-gouverner avec le SPD et les Verts. Le CDU/CSU a commencé à négocier avec les Verts pour former éventuellement un gouvernement avec eux et le FDP. On aura tout vu! Il reste quand même que le plus probable est une «grande coalition» du CDU/CSU et du SPD, mais alors Schröder ne pourrait pas rester chancelier…

La percée électorale du Parti de Gauche marque une date historique pour le mouvement ouvrier en Allemagne. Pour le salariat et les exclu-e-s, il s’agit de la possibilité de reconquérir une indépendance de classe au niveau politique. Pour cela, il faudra une démarche d’opposition ferme qui rompe avec toute logique de co-gouvernement et de co-responsabilité, en encourageant les mobilisations extra-parlementaires et en développant une stratégie anticapitaliste. Car le nouveau parti de gauche, à créer par un processus de fusion entre le Parti de Gauche et la WASG, doit à tout prix éviter le chemin de l’adaptation qui ne pourrait être qu’un chemin de la déception et de l’échec.

Manuel KELLNER*

*Journaliste à la SoZ – Sozialistische Zeitung .