Projet de budget 2006: le paquet ficelé de 1998... en pire!

Projet de budget 2006: le paquet ficelé de 1998… en pire!

En 1998, les partis gouvernementaux, réunis autour de la «table ronde», avaient concocté une série de mesures très durement antisociales dans le but, prétendaient-ils, de juguler les déficits de plus de 450 millions en moyenne que la droite creusait chaque année depuis le début des années 1990.

Ces mesures, connues sous le nom de «paquet ficelé» et présentées sous la forme d’un projet de loi constitutionnelle, s’attaquaient violemment et essentiellement aux handicapé-e-s, aux bénéficiaires de l’aide sociale et bien entendu à la fonction publique qui subissait depuis plusieurs années déjà, blocage des salaires, baisse des effectifs et dégradation des conditions de travail. A l’opposé, les grandes entreprises, comme l’UBS et le Crédit Suisse par exemple, n’étaient appelées qu’à s’acquitter de la somme dérisoire de 2000 francs par année. Il en était de même des très grosses fortunes.

Ce paquet ficelé fut balayé en votation populaire. Malgré cela, les finances publiques ont connu une forte amélioration durant la législature 1997-2001, marquée par la courte majorité «alternative» au Grand Conseil et par la présence de Micheline Calmy-Rey aux finances. C’en était trop pour la droite dont la politique est axée sur le «moins d’Etat» et sur le démantèlement social. L’initiative libérale de baisse d’impôts de 12% fut la réponse de la droite qui a réussi un coup double: faire des cadeaux énormes aux plus riches du canton et priver l’Etat social des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission. C’est ainsi que les millionnaires en revenus imposables ont bénéficié d’un cadeau fiscal dépassant en moyenne annuelle les 100 000 francs, tandis que la majorité des contribuables n’ont même pas eu de quoi compenser la hausse des primes d’assurance-maladie, tout en subissant la dégradation des prestations sanitaires, éducatives et sociales.

C’est ainsi que l’Etat, privé aujourd’hui de plus de 500 millions de recettes annuelles, a vu ses déficits et sa dette plonger de nouveau vers des profondeurs abyssales. La droite pouvait donc jubiler et repartir à l’assaut de l’Etat social.

On s’attaque à nouveau
aux mêmes…

C’est donc au prétexte de devoir redresser les finances de l’Etat que la droite, s’appuyant sur un populisme savamment et efficacement entretenu contre la fonction publique d’une part et contre les «abus» que permettrait le filet social genevois d’autre part, a repris ses attaques contre le statut, les effectifs et les salaires du personnel et contre les prestations sociales genevoises.

A peine l’encre du NON, opposé en votations populaires aux lois antisociales le 24 avril dernier, séchée que le Conseil d’Etat revient à la charge dans un projet de budget 2006 s’attaquant, plus durement encore que dans le paquet ficelé, aux chômeurs-euses, aux bénéficiaire de l’aide sociale et à la fonction publique. Les grandes entreprises qui réalisent des milliards de bénéfices et qui suppriment des emplois ainsi que les multimillionnaires sont pour leur part totalement exonérés de tout effort. Malgré la violence des mesures antisociales du projet du Conseil d’Etat, la majorité de droite s’apprête à très fortement les aggraver.

Le Conseil d’Etat a violé la loi

La loi sur la gestion administrative et financière (LGAF) impose au Conseil d’Etat de déposer son projet de budget au plus tard le 15 septembre. Ce n’est donc pas un hasard si ce n’est que le 11 octobre, en violation de cette loi, que le projet de budget 2006 a été déposé. En examinant de près le détail des mesures proposées, on comprend aisément que l’objectif de la majorité de droite au Conseil d’Etat et au Grand Conseil était de favoriser la droite aux élections cantonales du 9 octobre, en cachant à la population la violence des mesures qui la frappent à travers le projet de budget, dont notamment:

  • Contre les chômeurs-euses: Actuellement, les emplois temporaires cantonaux sont rémunérés dans une fourchette 3300-4500 francs. Le projet de loi du Conseil d’Etat substitue au plancher de 3300 francs le 80% de la dernière indemnité fédérale de chômage. L’économie escomptée est de 12,3 millions, soit une réduction moyenne de plus de 6000 francs par année pour chacune des 2000 personnes concernés.
  • Contre les handicapé-e-s: Le projet de loi du Conseil d’Etat, reprend celui rejeté par le peuple, à une forte majorité, en avril dernier. Il vise à aligner les prestations complémentaires AI sur celles de l’AVS. L’économie attendue est de 22 millions, soit une réduction moyenne de l’ordre de 3600 francs par année pour chacune des personnes concernées.
  • Contre les retraité-e-s et les assuré-e-s maladie: Le projet de budget du Conseil d’Etat comporte des modifications des déductions fiscales en supprimant les déductions supplémentaires pour les rentes AVS (72,5 millions de «recettes», soit une forte ponction sur les revenus des retraités) et en limitant la déduction des primes d’assurances maladie à hauteur de la prime cantonale moyenne (38,3 millions de «recettes», soit un alourdissement considérable supplémentaire de la facture maladie pour de nombreux assurés). A ces mesures s’ajoute l’alignement de l’aide sociale sur les normes CSIAS, soit une réduction sensible du montant alloué aux bénéficiaires de l’aide sociale.
  • Contre la fonction publique: Le personnel de l’Etat et du secteur subventionné a bien entendu «bénéficié» de toutes les «attentions» du Conseil d’Etat.

Sur le plan salarial:

  • Le blocage des annuités représente, par exemple, une perte salariale annuelle de 1252 francs en classe 4, de 1723 francs en classe 13 et de 2345 francs en classe 20. Cette mesure se prolonge dans le temps et porte atteinte aux conditions de retraite.
  • Le blocage de la prime de fidélité occasionne une perte salariale supplémentaire annuelle de l’ordre de 250 francs en classe 4, de 360 francs en classe 13 et de 500 francs en classe 20.
  • La limitation à 0,4% de l’indexation des salaires (l’indice de renchérissement sera probablement de 1,6%) représente une perte salariale, se prolongeant dans le temps et dans la retraite, de l’ordre de 720 francs en classe 4, de 1050 francs en classe 13 et de 1200 francs en classe 20. Les retraité-e-s sont également touchés par cette mesure.
  • La suppression de la participation de l’Etat à la prime d’assurance maladie représente une diminution du salaire annuel de 360 francs, non seulement pour les actifs-ves mais également pour les retraité-e-s.
  • Le personnel ainsi que les retraité-e-s subissent également les mesures fiscales susmentionnées.

Sur le plan des effectifs:

  • Le Conseil d’Etat continue de procéder à une «réduction technique linéaire» de 32,4 millions en maintenant vacants plusieurs centaines de postes.
  • Une réduction linéaire supplémentaire de 0,4% des postes est appliquée à tous les départements ainsi qu’au secteur subventionné, ce qui se traduit par la suppression de plus de 100 postes à laquelle s’ajoute une réduction «départementale» de 0,4% des postes, soit 100 autres postes qui seraient laissés à l’appréciation des départements en vue de leur éventuelle utilisation.

Le cumul des mesures, concernant les effectifs, destinées à être reconduites plusieurs fois, représente chaque année près de 600 postes, soit l’équivalent de 750 emplois, avec pour conséquences une aggravation du chômage et une forte dégradation des prestations à la population et des conditions de travail du personnel.

Quelle riposte?

La majorité de droite issue des dernières élections cantonales est encore plus antisociale que la précédente. Elle fera tout pour accentuer et accélérer le processus de démantèlement social. La population et les travailleurs-euses, qu’ils soient du public ou du privé, ne sont de loin pas démunis face cette politique. Nombreux sont les exemples, à Genève et ailleurs, qui montrent que même face à des parlements et à des gouvernements fortement marqués à droite, la population et les travailleurs ont réussi à s’opposer à leur politique de régression sociale.

C’est à travers une forte mobilisation et dans l’exercice des droits populaires et syndicaux que la population et les travailleurs-euses pourront faire échec au processus en cours.

C’est en s’opposant massivement par référendum aux lois antisociales et en mettant en place des moyens de lutte syndicale à la hauteurs des défis que la riposte a les meilleurs chances de réussir.

Souhail MOUHANNA