En marge de l’affaire des caricatures

En marge de l’affaire des caricatures

Soulignant que la liberté d’expression concerne
aussi les sujets religieux et rappelant que l’interdit musulman de représentation
de Mahomet correspond à celui de la figuration de Dieu dans les Dix
commandements, René Cruse poursuit:

Essayons d’approcher la racine
du mythe originel des croyances monothéistes.
Les mahométans comme les chrétiens et comme les juifs se réfèrent
toujours au personnage mythique d’Abraham, désigné dans
la Bible comme «le père des croyants». La lecture du Coran,
du Nouveau Testament et de la Thora nous l’atteste en abondance.

En conséquence,
les trois religions monothéistes ont un tronc
culturel commun: Abraham, dont je n’ai pas à redécrire
ici l’histoire archiconnue des gens moyennement cultivés. Est-ce à dire
qu’il faille prendre ces textes fondateurs au premier degré au
point de les sacraliser pour en faire une prétendue révélation
divine?

L’histoire qui découle de cette origine commune s’est
par la suite divisée en trois branches: judaïsme, christianisme,
et islamisme.

N’insistons pas sur les conflits d’influence qui s’en
sont suivis, disons simplement qu’au-delà de leurs spécificités
culturelles, artistiques ou sociales, ces monothéismes se sont révélés
extrêmement belligènes, entre eux et en dehors d’eux.

La
question qui se pose, suite à la récente controverse, est
de savoir si tout discours critique à l’égard des phénomènes
religieux ne va pas être taxé de caricatural, d’offensant,
de blasphématoire, au même titre que l’image maudite. Autrement
dit l’expression contraire à la foi ne va-t-elle pas tomber sous
le Fourches Caudines du blasphème? Bref, du totalitarisme?

Nous avons
peine, surtout après le siècle des Lumières, à considérer
ces choses comme non négociables, parce que dites sacrées.

Si
l’on rétorque aux non-croyants que ces textes ont valeur d’ancienneté immuable
et que, de plus, ils sont considérés comme inviolables et tabous
par des milliards d’humains, il convient de répéter inlassablement
que l’ancienneté des mythes et leur partage universel n’en
constituent pas nécessairement et de facto une Vérité à croire.

Bien
sûr «la foi, le sacré, la transcendance sont par nature
non solubles dans l’humour» comme dit le dessinateur Hermann, dans Le
Courrier
(4.2.2006).

Et pourtant, quand j’entends un représentant
islamique scandalisé par
l’affaire des caricatures, au point de se sentir personnellement humilié,
hurler dans un média qu’il est un «pacifique et un homme
de dialogue», je suis porté à me demander si sa foi ne
vacille pas, si la religion en général et la sienne en particulier
ne sont pas plus fragiles qu’il n’y paraît.

Il y a assez de
réelles victimes sur terre, pour que les porteurs d’idées,
somme toute très contestables, ne jouent pas les victimes indignées
au point de susciter, même à leur insu, des vindictes et des incendies
d’ambassade.

René CRUSE