Irak: voitures piégées et «zone verte»

Irak: voitures piégées et «zone verte»

Aujourd’hui, ce sont les voitures piégées qui dirigent l’Irak. Dans un article de juin 2005, intitulé «Pourquoi les voitures piégées sont reines en Irak», James Dunnigan signalait que les voitures piégées avaient supplanté les bombes déposées au bord des routes (qui «sont plus souvent découvertes ou désactivées avec des appareils électroniques») comme «armes les plus efficaces» des insurgés sunnites et d’Al Zarqawi.

La récente «croissance explosive» des propriétaires de voitures en Irak, ajoutait Dunnigan, a rendu «plus facile, pour les voitures piégées, de se dissimuler simplement dans le trafic». Quelque 500 voitures piégées (un total qui inclut les bombes et les véhicules interceptés par les autorités) ont tué ou blessé plus de 9000 personnes, avec 143 attaques au véhicule piégé en mai 2005 seulement.1

Cité interdite…

Dans ce royaume de la voiture piégée, les occupants se sont retranchés presque complètement dans leur propre cité interdite, la «Zone Verte». Rien à voir avec le high-tech de la City de Londres, dont les sensors font office de snipers, mais une enclave totalement moyenâgeuse, cernée de murailles de béton, défendue par des tanks Abrams M1 et des hélicoptères puissamment armés, ainsi que par un corps exotique de mercenaires privés (dont des Gurkhas indiens, des commandos de l’ex-Rhodésie, des vétérans du SAS britannique et des paramilitaires colombiens amnistiés). Cet ancien Xanadu de la classe dominante baasiste, cette «Zone Verte» de dix kilomètres carrés, est maintenant un parc d’exposition surréel de l’American way of life:

«Des femmes en shorts et T-shirts font leur jogging sur de larges avenues et le Pizza Inn fait de mirobolantes affaires sur le parking de l’ambassade US, lourdement fortifiée. Près du bazar de la ‘Zone Verte’, des enfants irakiens fourguent des DVD pornos aux soldats. Scheik Fouad Rashid, l’imam de la mosquée locale, appointé par les Américains, vêtu comme une nonne, teint ses cheveux en blond platine et prétend que Marie, mère de Jésus, lui est apparue en vision (d’où son accoutrement). Chaque nuit, les résidents peuvent écouter un karaoké, jouer au badminton ou fréquenter l’un des quelques bars interlopes, y compris un speakeasy accessible sur invitation et géré par la CIA.»2

…et mort omniprésente

Hors de la «Zone Verte», bien sûr, c’est la «Zone Rouge», où les Irakiens du commun peuvent être taillés en pièces par surprise et au hasard par des voitures piégées, ou mitraillés par des hélicoptères US. Évidemment, les riches Irakiens et les membres du nouveau gouvernement revendiquent bruyamment leur admission au sein de la «Zone Verte» sécurisée, ce qui n’a pas empêché les officiels US de dire à Newsweek, l’an dernier, que «vouloir se débarrasser des Américains relevait de la ‘fantaisie’». Des milliards ont été investis dans la «Zone Verte», ainsi que dans une douzaine d’autres enclaves américaines, officiellement désignées comme des «Camps durables». Et même des Irakiens de premier plan ont été contraints de rechercher leur propre sécurité hors des murs de cette Amérique exclusive et éphémère.

Une population qui a subi la police secrète de Saddam, les sanctions de l’ONU et les missiles de croisière US, se cache pour survivre aux véhicules piégés qui hantent les quartiers chiites, à la recherche d’épouvantables martyrs. Pour les raisons les plus égoïstes qui soient, espérons que Bagdad ne soit pas la métaphore de notre futur collectif.

Mike DAVIS*

* Cet extrait est tiré d’un projet d’article de l’auteur, encore inédit, sur l’histoire des voitures piégées. Notre traduction.

1 James Dunnigan, «Why Car Bomb is King in Iraq», 26 juin 2005, www.strategypage.com.

2 Scott Johnson, «Lost in the Green Zone», Newsweek, 20 septembre 2005.