Mobilisations contre le CPE: une lutte de privilégiés?

Mobilisations contre le CPE: une lutte de privilégiés ?

Semaine après semaine, les mobilisations déferlent sur la France. Le mouvement contre le contrat première embauche (CPE, fils légitime du contrat nouvelles embauches, CNE), a débuté il y a près de deux mois à l’Université de Rennes. Dans l’argumentation utilisée contre ces manifestations revient souvent, à droite, chez Dominique de Villepin comme dans les médias, qu’il n’y a là que réflexe de nantis cherchant à sauvegarder leurs privilèges. Par leur opposition, lycéens et lycéennes, étudiant-e-s et syndicalistes ne feraient au fond que rendre encore plus difficile l’accès à l’emploi aux «jeunes des banlieues». Qu’en est-il vraiment?

Comme le relève l’économiste Michel Husson1, cette rhétorique est un classique de l’arsenal néolibéral. On oppose ainsi les insiders installés dans le système aux outsiders qui en sont exclus. Cette phraséologie, au service d’une politique libérale qui est justement à la source du mal qu’elle prétend combattre, postule en réalité que le salut ne peut venir que d’un nivellement généralisé par le bas. C’est ainsi que le néolibéralisme s’attaque aux salarié-e-s lorsqu’il ne peut mener une offensive frontale: en menant une politique de dégradations périphériques touchant tour à tour les jeunes, les seniors, les retraité-e-s, les précaires, les personnes en difficultés sociales, etc. Ensuite, on s’appuie sur la situation ainsi créée pour réclamer une réforme supplémentaire, censée rétablir l’équité… à un niveau inférieur.

C’est exactement la logique qui est à l’œuvre dans le CPE (mais aussi dans le CNE et dans toute la «loi sur l’égalité des chances», avec son apprentissage à 14 ans et le travail de nuit dès 15 ans). Il est donc essentiel, dans une situation de ce genre, d’avancer des revendications unifiantes, brisant la progression asymétrique des «sacrifices». Dans ce sens, nos camarades de la Ligue communiste révolutionnaire ont avancé «six mesures d’urgence pour un emploi stable et un salaire garanti» dont voici les grandes lignes:

1. Allocation pour la jeunesse

Plus de 700 000 étudiants et des dizaines de milliers de lycéens sont obligés de travailler pour financer leurs études et obtenir les moyens d’un minimum d’autonomie. Les jeunes qui travaillent sont corvéables à merci: conditions de travail lamentables, horaires flexibles, salaires de misère, etc. Des milliers ne trouvent aucun boulot parce qu’ils sont noirs ou beurs. 900 000 jeunes se retrouvent exclus du système scolaire et sans emploi. Ils n’ont même pas le droit de toucher le RMI, réservé aux plus de 25 ans. Du coup, 20% des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté. Cette société refuse aux jeunes un droit qui devrait être fondamental: l’autonomie. Allocation d’autonomie de 800 euros par mois pour les jeunes!

2. Un CDI pour toutes et tous

Depuis des années, patronat et gouvernement n’ont cessé d’inventer des contrats précaires: TUC, SIVP, CES, CDD… Mais ces contrats n’ont pas fait baisser le chômage, ni pour les jeunes ni pour les autres. En revanche, cela a permis aux patrons de payer moins cher et de précariser de plus en plus les salariés. (…) L’emploi est un droit pour tous, pas une opportunité économique. Tous les contrats précaires et les temps partiels imposés pour les femmes doivent être supprimés. Un seul contrat de travail pour tous, le CDI, y compris pour les jeunes!

3. Interdiction des licenciements

La première réponse au chômage est de combattre les licenciements: il y a eu 700 000 licenciements individuels et collectifs pour l’année 2005. Dans les grands groupes industriels et commerciaux, la loi des actionnaires entraîne suppressions d’emplois, de filiales d’établissement, pour grossir les montants des dividendes et le niveau de l’action. Interdiction des licenciements. Garantie du maintien du contrat de travail tout au long de la vie professionnelle!

4. Droit à la formation

La formation est un droit. Un droit tout au long de la scolarité, évidemment, mais aussi tout au long de la vie professionnelle. Aujourd’hui, les patrons veulent jouer sur les deux tableaux: d’un côté, exploiter les apprentis et les stagiaires en les payant peu ou pas du tout lorsqu’ils travaillent; de l’autre, obliger les salariés à suivre les formations, même celles que leur entreprise leur demande, en dehors du temps de travail. La formation est un droit, elle doit continuer, pour les salariés, à être partie intégrante du temps de travail et rémunérée comme telle par le patronat!

5. Des emplois pour le service public

La société manque de centaines de milliers d’emplois dans les services publics pour satisfaire les besoins sociaux de santé, d’enseignement et de transport, notamment. Dans la santé, les syndicats demandent 300 000 embauches, alors que le gouvernement supprime des lits et des hôpitaux entiers. Dans l’Education nationale, 90 000 postes supplémentaires sont nécessaires. 300 000 embauches pour la santé, 90 000 pour l’Education nationale!

6. Stopper la ségrégation sociale

Sous prétexte de répondre à la révolte des jeunes des quartiers de novembre 2005, le gouvernement a mis en place le CPE et l’apprentissage à 14 ans. C’est évidemment ajouter la misère à la misère. Les vraies questions, dans les quartiers, pour les jeunes, c’est d’en finir avec une scolarité faite de filières poubelles, de discriminations au faciès, de ségrégation sociale entre établissements scolaires. C’est aussi dénoncer le racisme patronal du refus de stages ou de CV parce que Noir ou Beur, ou habitant un quartier mal vu. Arrêt des filières poubelles, des discriminations au faciès et de la ségrégation sociale!

Daniel SÜRI, avec Rouge no 2152 du 31.3.06

1 Modèle libéral, modèle réduit, Politis no 896 du 6.4.2006 (http://hussonet.free.fr/modredui.pdf)