Suisse-Israël : collaboration dans la guerre globale

Suisse-Israël : collaboration dans la guerre globale

La visite en Suisse d’une délégation de hauts responsables de l’armée de l’air israélienne, il y a quelques jours, constitue le point culminant de la «re-normalisation» des rapports entre la Suisse et Israël. Alors que l’armée de l’air suédoise vient de refuser de participer à des manœuvres aériennes internationales en raison de la participation de l’armée de l’air israélienne, l’armée de l’Etat dépositaire des Conventions de Genève leur déroule un tapis rouge.

C’est avec un profil bas que s’est déroulée, entre le 15 et le 17 mai, la visite en Suisse d’une délégation militaire israélienne emmenée par le général Eliezer Shekdi, commandant en chef de l’armée de l’air.1 Cette visite décrédibilise gravement l’engagement proclamé de la Suisse en faveur du respect des droits humains et pour l’application du droit international humanitaire et, en particulier, pour une solution du conflit au Proche-Orient pacifique et basée sur le droit.

Conventions de Genève bafouées

L’armée de l’air israélienne est l’instrument directement responsable de très graves violations de la quatrième Convention de Genève. Il suffira de mentionner la poursuite des assassinats extra-judiciaires (drones, hélicoptères, F-16), les destructions d’infrastructures civiles (parfois co-financés par la coopération au développement suisse) ou encore les raids meurtriers sur les camps de réfugiés (dans la bande de Gaza, à Jénine, au Liban, …).

Il y a quelques semaines, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a indiqué que le lundi 6 mars 2006 était un jour triste pour les enfants de Gaza, après le massacre de cinq enfants tués lors de raids de l’aviation israélienne.

Alors que l’armée de l’air suédoise vient de renoncer, il y a trois semaines, à participer à un exercice conjoint en Italie en raison de la présence de l’armée de l’air israélienne2, il est choquant de constater que la collaboration militaire de la Suisse donne une légitimité à une armée de l’air responsable de graves crimes de guerre.

Mais la portée de ce renouveau dans la collaboration militaire concerne aussi d’autres aspects:

Premièrement, la participation de l’industrie des armements suisse à des projets communs avec l’industrie militaire israélienne et européenne. Cela est démontré par la visite de la délégation israélienne chez Pilatus à Stans, où Suisses et Israéliens travaillent sur les drones, avions sans pilote que Pilatus entend développer ultérieurement aussi avec le consortium de «défense» aérienne européen EADS.

Deuxièmement, la participation, derrière une neutralité apparente, de la Suisse à la guerre globale et permanente «contre le terrorisme». (voir le communiqué du DDPS en note 1). On comprend les enjeux pour l’armée de l’air israélienne, y compris son intérêt pour la collaboration avec son homologue suisse en lisant une interview avec le général Shekdi publié le 16 mai.3

L’Iran dans le collimateur?

Il aurait été intéressant de connaître les raisons de l’intérêt spécifique du général pour les «opérations» et les «aérodromes militaires» suisses (cf. note 1): l’aviation israélienne se prépare-t-elle à évoluer sur des territoires montagneux? Au Kurdistan iranien, par exemple?

Il est très inquiétant de constater qu’au lieu de soutenir activement le désarmement et le règlement pacifique des conflits, le département de la défense helvétique semble avoir déjà choisi son camp dans la prétendue «guerre globale contre le terrorisme». Tout ceci est très inquiétant aussi pour les Israéliens. Comment peuvent-ils penser garantir le droit d’exister avec une machinerie de mort?

Israël joue un rôle de premier plan dans la stratégie des Etats-Unis et de ses alliés dans la lutte pour la domination globale. Mais le soutien à Israël de la droite fondamentaliste chrétienne aux Etats-Unis joue un rôle important.

Lors d’une conférence à Genève au mois de décembre, Michel Warshawski a fait part de ses inquiétudes à ce sujet avec une métaphore très poignante, citée de mémoire: «Dans cette prétendue guerre globale des civilisations, l’Occident a mis Israël en première ligne. C’est l’aviation israélienne qui risque de frapper en premier les sites nucléaires iraniens. A ce moment il y aura très fort à craindre qu’Israël ne se transforme très rapidement de bélier (de l’Occident pour enfoncer les défenses des ennemis Orientaux) en bouc émissaire…»

Tobias SCHNEBLI

  1. Communiqué du DDPS du 15 mai 2006 concernant cette visite. Celle-ci a comporté: «(…)un grand nombre d’entretiens, de présentations et de rapports concernant notamment les thèmes suivants: opérations des Forces aériennes suisses, système de drones de reconnaissance 95 (ADS 95), FLORAKO et simulateur de vol F/A-18. Ce programme sera complété par une rencontre avec le commandant de corps Christophe Keckeis, chef de l’Armée, ainsi que par la visite d’un aérodrome militaire et d’une station radar. Pour sa part, la délégation israélienne présentera un rapport sur les Forces aériennes de son pays ainsi que sur la lutte contre des objectifs terroristes.»
  2. Jerusalem Post du 26.04.06: «Sweden has decided to withdraw from an international air force exercise to be held in Italy next month after learning that units from the Israeli air force will participate, a Swedish government spokesman said Wednesday.»
  3. Extrait de l’interview d’Eliezer Shekdi sur www.armees.com: «L’armée de l’air dont j’assume le commandement est (…) sur le point de devenir l’élément central de la force de frappe stratégique d’Israël. C’est là une véritable révolution, tant en terme de structures que de mentalités. Cette dernière se mène au jour le jour grâce, notamment, à d’étroites collaborations avec nos homologues de pays amis. Nos équipages participent ainsi de manière régulière à de multiples entraînements de vols de longues distances – en Turquie, en Italie, en Roumanie, au Canada, aux Etats-Unis et en de bien d’autres endroits encore –, ouvrant la voie à une coopération potentielle dans le cadre d’une coalition internationale agissant face à un ennemi commun.»