«Frein aux dépenses»: légendes et vérité





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«Frein aux dépenses»: légendes et vérités

Il n’est pas inutile, en cette période estivale, de lire les publications du Parti socialiste neuchâtelois. Dans Le Point (juin 2006), François Cuche (vice-président du PSN) traite de fiscalité: «Donner des moyens à l’Etat, c’est aussi assurer les rentrées fiscales. Donc revoir certains éléments de notre fiscalité; tout d’abord le rendement de l’impôt, car il est évident qu’il est perfectible. Mais aussi valoriser la fiscalité, par exemple en réintroduisant l’impôt sur les successions. En termes d’urgence, il serait aussi souhaitable que la taxe foncière soit à nouveau perçue et finalement il faudrait trouver le financement d’une véritable politique d’insertion et de réinsertion sociale et professionnelle».

Il est clair que, sans nouvelles recettes, les prochains budgets seront pires qu’en 2005/20061. Or une réforme fiscale doit avoir une majorité de 69 élu-e-s au Grand Conseil (la gauche en a 58). Et la droite dit refuser tout impôt non conforme à ses ukases.

Le Libelle bleu (juin 2006) révèle que «depuis le printemps 2006, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, il y a un vrai capitaine au gouvernail des finances cantonales»2. Il prétend que le vote de juin 2005 sur le frein aux dépenses «sanctionne la politique des partis bourgeois qui se sont montrés incapables de gérer les deniers publics de manière économe, laissant au contraire les déficits se creuser comme jamais». Et, sur les finances cantonales, plagiant le chef gaulois Abraracourcix, «c’est comme si le ciel nous était tombé sur la tête». Or, les déficits des dernières années ne sont pas «naturels»: ils découlent des cadeaux fiscaux votés par la droite à la majorité simple.

Le procès-verbal du Grand Conseil (22-23.2.2005) dément que le «frein aux dépenses» soit une victoire de la gauche. Ce mécanisme proposé par le Conseil d’Etat (à majorité de droite) a été défendu par les porte-parole radical Roland Debély3 et libéral Rolf Graber. Le PSN s’est rallié à un «compromis». Pour preuve de nos dires, un entretien prémonitoire (février 2005). Auquel s’ajoute un texte d’un socialiste parfois invoqué par le PSN…

Hans-Peter RENK

  1. Dès 2008, l’excédent de charges admis sera de 2% (mieux que le traité de Maastricht!)
  2. Visionner Les révoltés du Bounty serait un exercice utile à la direction du PSN…
  3. Grâce à l’élection tacite d’avril 2005, M.Debély siège au Conseil d’Etat.


Le consensus côté revers (extraits)

L’Express: Le groupe PopEcoSol s’est trouvé isolé, seule voix contradictoire par rapport au consensus général des partis gouvernementaux…

Patrick Erard (député Vert): Il est clair que nous ne sommes pas liés de la même manière à la responsabilité de la dette publique; ce n’est pas nous qui avons géré le canton jusqu’ici… Nous avons été approchés par le groupe socialiste à propos de la solution de compromis, mais nous avons décidé de maintenir notre décision de ne pas entrer en matière sur ce sujet. Notre idée n’était pas du tout de nous exclure du consensus, mais bien de rejeter le débat de fond sur ces mécanismes qui ne nous conviennent pas.

Quelle solution alternative proposez-vous?

P. Erard: Ce qui est sûr, c’est que si on ne travaille que sur la réduction des dépenses, on ne parviendra pas à l’équilibre. Il aurait fallu qu’on puisse également actionner le levier d’une contribution de solidarité sur les revenus supérieurs à un certain seuil. Mais avec ce vote, on exclut toute possibilité d’augmenter les recettes.

Ce vote pourrait-il entraver la volonté d’une éventuelle future majorité de gauche?

P. Erard: L’obligation d’une majorité qualifiée pour le volet fiscal est une manière de menotter la gauche. La droite est au pouvoir depuis 150 ans, avec des décisions soumises à la majorité simple: le résultat se lit dans l’endettement de l’Etat. Ces nouvelles règles empêcheraient la gauche d’amener ses propres solutions.

(L’Express, 24.2.2005)


Jean Jaurès, «Discours au congrès de Toulouse, 17 octobre 1908»

La réforme fiscale est dans la tradition ouvrière et socialiste. Ce sont les prolétaires de 1793, maîtres de la Commune de Paris et agissant par elle sur la Convention, qui ont obligé la bourgeoisie révolutionnaire à pratiquer largement l’impôt personnel et progressif. C’est dans la tradition de Babeuf, c’est dans l’école de Buonarroti, dans la tradition blanquiste, dans le programme partiel et transitoire de Blanqui1 et de Marx, que figure l’impôt global, personnel et progressif sur le revenu et je rappelle à nos aînés qui le savent mieux que moi, qu’en 1870, quand il fut procédé au plébiscite sur la nouvelle constitution de l’Empire prétendu libéral, la réunion des sociétés ouvrières et des sections de l’Internationale proposa d’inscrire sur le bulletin: «République démocratique et sociale, réforme radicale de l’impôt». Nous continuons donc, en réclamant cette réforme, en la soutenant, cette tradition.

  1. Gracchus Babeuf (1760-1797): animateur de la «Conspiration pour l’Egalité» (1796); Philippe Buonarroti (1761-1837): auteur de l’«Histoire de la conspiration pour l’Egalité, dite de Babeuf»; Louis-Auguste Blanqui (1805-1881): révolutionnaire français, deux fois condamné à mort, emprisonné durant 33 ans.