Le Liban à la croisée des chemins: le point de vue du PC

Le Liban à la croisée des chemins: le point de vue du PC

En marge de la Conférence de
Beyrouth en solidarité avec la résistance libanaise des
16-19 novembre, nous avons rencontré deux responsables du Parti
communiste libanais, Samir Diab, responsable des relations
extérieures, et Abed Ftouni membre du Comité central.

Quelle est votre analyse de la situation régionale?

Il n’y a pas vraiment de solutions à moyen terme. Bush et
Sharon ont tout fait pour couler le «processus de paix»
entre Palestiniens et Israéliens. Par ailleurs, depuis 1967, ces
derniers occupent les fermes de Chebaa (Liban) et le Golan (Syrie).
Pour couronner le tout, l’occupation de l’Irak par les
forces impérialistes a parachevé la
déstabilisation de la région. Le Liban, une fois de plus,
est au cœur de ces enjeux. 400 à 500 000 Palestinien-ne-s
vivent sur le territoire libanais et n’ont toujours pas de droit
au retour, sans pour autant avoir les mêmes droits que les
Libanais. Enfin il ne faut pas oublier les détenus libanais-es
qui se trouvent encore dans les geôles israéliennes.

L’agression israélienne de cet été
n’est pas une réaction spontanée à la
capture de deux soldats. Elle a été longuement
étudiée. Les destructions systématiques des axes
de communication, des habitations du Sud Liban et de la banlieue sud de
Beyrouth confirment cette analyse. Quant aux USA, ils ont couvert
politiquement cette agression en espérant que le Hezbollah
serait démantelé. En couvrant cette agression, ils ont
cherché à gagner une bataille dans cette région
qui leur échappe peu à peu. Eliminer le Hezbollah,
promouvoir la «révolution des Cèdres» de ses
alliés libanais et envisager l’installation d’une
base militaire au Liban, comme il en existe en Irak, en Turquie et en
Jordanie, voilà les trois objectifs que les Etats-Unis
cherchaient à atteindre par l’attaque israélienne
de cet été.

Le PCL a rapidement appelé à la résistance. Il
faut rappeler que, dès le 13 septembre 1982, le PCL avait
été le premier à se lancer dans la
résistance contre l’invasion israélienne. Nous
avons soutenu l’action du Hezbollah cet été: la
capture de deux soldats pour obtenir la libération des Libanais
toujours détenus en Israël. Rappelons que de nombreux
politiciens libanais ainsi que des gouvernements arabes n’ont pas
soutenu cette action et se sont désolidarisés du
Hezbollah.

Quel est votre position par rapport aux enjeux nationaux?

Depuis l’indépendance, le 22 novembre 1943, et
jusqu’en 1975, le PCL s’est engagé pour
l’établissement d’un régime
démocratique. Parallèlement, plusieurs syndicats ont vu
le jour dans des secteurs tels que l’agriculture,
l’industrie ou l’enseignement. Dès 1975, nous nous
sommes malheureusement retrouvés dans un régime
confessionnel. A cette époque, nous avions proposé un
rassemblement de la gauche pour une perspective démocratique.
Mais le Liban était déjà imprégné
par le confessionnalisme, alimenté aussi par des influences
extérieures. Lors de l’invasion du Koweït par
l’Irak, les Syriens ont rejoint la coalition dominée par
les USA, qui leur ont «offert» le Liban en échange.
Le PCL s’est toujours opposé aux influences
extérieures. Aujourd’hui, certains soutiennent les
Américains, les autres les Syriens; notre position est claire:
«ni les uns, ni les autres».

Alors pourquoi un rapprochement avec le Hezbollah aujourd’hui?

Il y a trois aspects qui y contribuent: premièrement, ils ont
une vision nationale et patriotique, avec l’idée que la
résistance est un droit légitime. Deuxièmement,
ils luttent comme nous contre l’axe américain et la
recomposition du Proche et Moyen-Orient. Enfin, le Hezbollah est le
premier parti islamique réellement pragmatique qui a largement
fait évoluer son discours ces dernières années; il
partage également plusieurs de nos idées sociales. Bien
sûr, nous avons des désaccords: le Hezbollah reste encore
un parti confessionnel. Mais il faut remarquer qu’il y a sept ans
déjà, il a publiquement annoncé qu’une
République islamique n’était pas envisageable au
Liban. Il s’intéresse aux idées de la gauche
libanaise, régionale et européenne. C’est un parti
islamique qui s’ouvre vers l’extérieur, avouez que
ce n’est pas anodin. Cette conférence sur la
résistance est la première activité commune de ce
type que nous organisions. Nous n’imaginons pas changer le
Hezbollah; ce que nous désirons c’est travailler avec les
courants progressistes en son sein, qui partagent une bonne part de nos
idées.

Quel est le projet du PCL sur le plan national?

Nous souhaitons la mise en place d’une nouvelle loi
électorale qui ne soit pas basée sur des critères
confessionnels, mais sur une élection à la
proportionnelle. Nous voulons un véritable gouvernement
d’union nationale et non celui qui existe aujourd’hui. Il
faut donc de nouvelles élections parlementaires, puis une
élection présidentielle, afin de sortir le Liban de la
crise. Nous sommes soutenus dans ce projet par le Hezbollah et le
«courant» du général Aoun, maronite
nationaliste. Parallèlement, nous tentons de mettre sur pied une
coalition des forces démocratiques de gauche qui partagent nos
visions sociales.

Pensez-vous que la résolution 1701 soit positive?

Cette résolution est mauvaise pour le Liban, mais dans le
contexte actuel nous ne pouvions pas espérer beaucoup mieux.
Nous considérons néanmoins que la résolution 1701
est une défaite politique de notre gouvernement, qui n’a
pas su capitaliser la victoire de la résistance. Les
Israéliens et les Américains ont obtenu avec cette
résolution ce qu’ils n’ont pas gagné pendant
la guerre. Elle internationalise les affaires libanaises, provoquant
ainsi une perte de souveraineté supplémentaire et une
sorte de nouveau contrôle colonial. Quant à la FINUL II,
nous estimons que c’est une tentative américaine de
transformer les Européens en otages au Proche Orient. Le grand
danger de cette résolution est son ambiguïté. La
FINUL II devrait rester neutre et observer les deux parties tout en
reconnaissant le droit incontestable à la résistance dans
les territoires occupés. Acceptera-t-elle de s’en tenir
à un tel rôle? Cela dépend bien sûr des
rapports de forces sur le terrain, dans la région et à
l’échelle internationale. ?

Propos recueillis par
Valentina HEMMELER