Regard passé

Neuchâtel contre une augmentation des taxes universitaires en 1998 (1)

Alors que l’université de Neuchâtel fait à nouveau face à une tentative d’augmenter les taxes universitaires, voilà un premier article d’archive, regroupant plusieurs documents publié dans le no 16 du journal solidaritéS Infos (janvier 1999), à propos du mouvement contre une augmentation des taxes universitaires en 1998.

Bâtiment principal de l'Université de Neuchâtel, avenue du 1er Mars

Au programme : un éditorial sur le sujet ; un texte basé sur un entretien publié par le journal étudiant Le Cafignon avec Mme Michèle Berger Wildhaber, présidente du Conseil de l’Université, faisant l’éloge du modèle universitaire étatsunien – où, pour payer ses études, il fallait dormir dans sa voiture pour économiser les frais du loyer d’un impôt, le cumul des taxes universitaires et de prix d’un logement étant trop dispendieux pour une bourse estudiantine ; le communiqué de presse du mouvement solidaritéS-NE de novembre 1998 ; un article autour de la grève dans les écoles neuchâteloises; et une intervention de Mathieu Menghini à la remise des diplômes de l’Université.

Editorial

Le 17 novembre 1998, deux à trois mille étudiant/es et lycéen/nes (1) sont monté/es au Château de Neuchâtel, siège du gouvernement cantonal, pour protester contre la hausse des taxes universitaires décrétées par le Département cantonal de l’Instruction publique (DIPAC) et acceptées par la majorité du Grand Conseil. Les autorités ne s’attendaient visiblement pas à une réponse aussi massive (2) : en effet, en 1993, seuls quelques 400 étudiant/es avaient manifesté et la première hausse de la taxe avait passé sans autres réactions ; cet été, le conseiller d’Etat Thierry Béguin a donc opposé une fin de non-recevoir à la pétition lancée par la Fédération des étudiants neuchâtelois (FEN) contre cette hausse. Durant la semaine qui a suivi la manifestation du 17 novembre, l’Université et le Gymnase cantonal notamment étaient en grève. Ce mouvement laissera très certainement des traces dans la conscience de celles et de ceux qui y ont participé, même s’il n’a pu obtenir le retrait des décisions gouvernementales (M. Béguin se réfugiait derrière les orientations fédérales et conseillait aux étudiant/es d’aller plutôt manifester à Berne, ce qu’un certain nombre d’entre eux ont fait…). En mai-juin 1968, il n’y avait que quelques centaines d’étudiant/es dans les rues de Neuchâtel pour manifester leur solidarité avec leurs camarades français. Depuis lors, de savants penseurs ont décrété la fin de l’histoire, des luttes populaires et de la recherche d’une alternative au tout-marché généralisé. Nul doute que leurs adeptes locaux devaient se sentir quelque peu déphasés face à tou/tes ces manifestant/es (pas encore né/es en 68…), comme en témoignent les éditoriaux du quotidien local (en retard de quelques révolutions…).

Hans-Peter Renk

(1) selon les décomptes de la police cantonale qui ne nous avait pas habitué à une telle exactitude arithmétique par le passé…

(2) Il n’y avait jamais eu autant de monde au Château depuis le 13 septembre 1831, date à laquelle quelques centaines de républicains commandés par Alphonse Bourquin avaient occupé le siège du gouvernement.

Modèle yankee pour Uni britchonne ? (1)

Il est permis de se poser la question en lisant certaines déclarations de Mme Michèle Berger Wildhaber (présidente du Conseil de l’Université et députée radicale au Grand Conseil, dont elle assume actuellement la présidence). Les citations ci-dessous sont reprises textuellement du n° 83 (février 1998) du journal étudiant « Le Cafignon ».

1) Interrogée sur le modèle universitaire dont elle se sentait assez proche, Mme Berger Wildhaber a répondu : « Je crois que le modèle suisse est bien. Toutefois, j’ai un enfant qui est allé aux Etats-Unis suivre une partie de son cursus, et je pense que la proximité avec les enseignants est nettement plus développée là-bas qu’ici. On peut prendre rendez-vous par téléphone. Il y a beaucoup de moyens de communications avec les enseignants qui sont très disponibles. A Neuchâtel, on passe toujours en premier par les assistants avant de rencontrer les professeurs. Je souhaiterais qu’il y ait si possible un accès direct aux professeurs ».

2) Questionnée sur les frais de déplacement, obstacle à la mobilité puisque sont souvent à charge des étudiant/es, Mme Berger Wildhaber a déclaré : « Je crois que les étudiants doivent comprendre qu’il faut s’investir, y compris financièrement. Aux Etats-Unis, par exemple, les études sont très coûteuses, et ce sont les parents qui payent, quand ce ne sont pas les étudiants eux-mêmes. J’ai un cas assez concret avec mon fils qui rentre des Etats-Unis. Il m’a dit : ‘C’est un copain qui m’a prêté sa maison’. Et sa maison, c’était une voiture ! Il dort dans sa voiture, il travaille comme informaticien et il paye des études à sa future femme, et comme cela coûte cher, il ne peut pas bénéficier d’un appartement. Alors je crois qu’ici nous ne nous rendons pas compte de la chance que nous avons de pouvoir bénéficier d’études universitaires à un prix modique ».

3) A la remarque formulée par son interlocuteur qu’un tiers des étudiant/es en lettres exercent un emploi pour financer leurs études, Mme Berger Wildhaber affirme : « La société ne doit pas tout à tous les citoyens, de l’étudiant jusqu’au chômeur. Je crois qu’il y a une part d’investissement personnel, qui est importante. Ca prépare aussi l’étudiant à son avenir professionnel, où il devra s’investir, où il aura des responsabilités et devra gérer différentes choses en jonglant avec d’autres responsabilités dans la vie associative ou le monde politique. Bien sûr, il ne faut pas que cela prenne une part prépondérante. La société est également là pour aider dans les situations où l’étudiant doit s’assumer seul. Il est normal alors qu’il puisse bénéficier d’une bourse pour qu’il ne soit pas obliger de faire ses études en six ou huit ans par faute de moyens financiers ».

4) Sur la hausse de la taxe universitaire : « On doit en arriver à cette augmentation. Il doit y avoir une uniformité dans le traitement des étudiants avec HES qui ont été introduites au niveau suisse. Je pense qu’il n’y a pas deux façons de traiter les étudiants. Si on veut être juste vis-à-vis de tout le monde, on peut accepter une taxe de mille francs ».

« A l’Université, la chose qu’il faudra étudier, c’est que les étudiants étrangers payent davantage. On peut faire un calcul et faire en sorte que tout le monde soit au même niveau. Mais je trouve que payer mille francs par année pour avoir accès à des études universitaires, c’est une chance ». Et sur le rôle de la taxe universitaire : « C’est de montrer à l’étudiant qu’il y a une part de financement qui provient de sa propre personne ».

L’un des engagements pris par le chef du DIPAC – coreligionnaire politique de Mme Berger – lors d’un entretien le 17 novembre 1998 avec la délégation des étudiant/es, c’est de ne pas augmenter les taxes pendant 5 ans. Après cette date, M. Béguin – ou son éventuel successeur – procédera-t-il à une nouvelle augmentation ? Aurons-nous droit à une nouvelle interview de Mme la présidente du Conseil de l’Université nous expliquant que « payer ….. fr. par année pour avoir accès à des études universitaires,c’est une chance » (1) ? Enfin, nous ne pensons pas qu’en matière de logement étudiant il faille recourir à la voiture – même spacieuse (2). En d’autres temps, les autorités avaient fait construire la Cité universitaire et le foyer de Champréveyres pour garantir aux étudiant/es des conditions de logement acceptables. Mais les voies de la modernité « made in USA » sont impénétrables…

Hans-Peter Renk

(1) nous ne formulons aucun chiffre, craignant que la réalité future dépasse toutes les hypothèses envisageables…

(2) à moins de vouloir favoriser le tout-automobile, comme le propose une récente initiative du parti libéral et de l’association des commerçants de Neuchâtel-Ville (Commerce indépendant de détail, CID), sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.

Communiqué de presse du mouvement solidaritéS/NE (11.11.1998)

Afin de s’adapter aux règles des hautes écoles spécialisées, le Conseil d’Etat et la Grand Conseil neuchâtelois ont décidé, fin 1997, d’augmenter les taxes universitaires. La facture est salée : 1000 fr. (soit une augmentation de 250 fr.) pour les étudiant/es neuchâtelois/es et suisses, 1500 fr. pour les étudiant/es étranger/es. solidaritéS/NE estime que la politique gouvernementale ne fait que détériorer la situation (déjà peu brillante) en matière de démocratisation des études : les principales victimes de ces mesures seront les étudiant/es issu/es de familles à fabiles ou moyen revenus. A nouveau, le Conseil d’Etat frappe au bas de l’échelle : voudrait-il donc modeler l’Université neuchâteloise sur le modèle nord-américain, vanté par la présidente du Grand Conseil, Mme Michèle Berger, dans une interview au journal étudiant « Le Cafignon ». De toutes les facultés humaines, le gouvernement a visiblement perdu celle de l’écoute. Le chef du DIPAS a refusé de prendre en compte la pétition lancée dans la première moitié de l’année par la Fédération des étudiants neuchâtelois. Par conséquent, rien d’étonnant à ce que les étudiant/es aient annoncé une grève pour le 17 novembre. Notre mouvement s’est toujours prononcé par une formation de qualité, sans barrage financier qui la rende inaccessible à celles et ceux qui veulent l’entreprise. Il se déclare donc solidaire de l’action entreprise par les étudiant/es et demande aux autorités de retirer leurs propositions inacceptables et anti-sociales.

Article : Grève dans les écoles neuchâteloises

Mardi 17 novembre : l’uni ainsi que les différents lycées et l’école de commerce se sont mis en grève.

Si les écoles moyennes (secondaire II) ont décidé de suivre le mouvement, c’est que nous nous sentons aussi concerné/es par le futur d’une université qui sera nôtre un jour. Nous estimons qu’augmenter de 250 francs la taxe est une atteinte à un droit fondamental : celui à un accès libre et sans discrimination à la formation universitaire. Majorer cette taxe entraîne des pressions financières sur l’étudiant/e et sur son entourage familial et ferme réellement la porte des études aux plus défavorisé/es. C’est donc une question de solidarité que de se sentir concerné/e.

De plus, pour pallier à cette augmentation, nombreuses sont les personnes qui ont besoin d’exercer une activité extra-scolaire. Au niveau gymnasial, nous pouvons déjà nous rendre largement compte que l’étudiant/e ne dispose plus ainsi des moyens pour mener au mieux ses études. Nous devrons nous aussi nous préoccuper de cet aspect financier dans les années à venir : s’en inquiéter aujourd’hui est simplement une preuve de responsabilité envers l’avenir.

Nous pouvons encore nous sentir plus concerné/es par le numerus clausus qui remet en question la valeur du bac comme seul critère pour l’accès aux études de niveau universitaire. Cette sélection incessante nous effraye et nous sommes biens décidé/es à défendre ce qui sera le fruit de nos efforts.

Ainsi mardi matin 17 novembre les cours se sont arrêtés pour une durée encore indéterminée. Il s’agissait alors d’informer les lycéen/nes, d’entrer en contact avec eux et de leur expliquer nos motivations. L’après-midi même nous avons pu mesurer l’ampleur de notre réussite puisque pas moins de 2500 personnes envahissaient la cour du château pour crier leur colère à force de chants et de slogans adressés au chef du DIPAC, le conseiller d’Etat, Thierry Béguin. C’est avec un grand espoir, mais aussi avec un vent de révolte que nous avons attendu de longues et froides heures le résultat des négociations : maigre butin puisque T. Béguin se déclara absolument impuissant et répéta que nous avons frappé à la mauvaise porte. Néanmoins nous avions la promesse que les taxes n’augmenteront pas durant les 5 prochaines années. Tous avaient la même question en tête en descendant du château : « à quoi nous sert un conseiller d’Etat impuissant ? ». Nous étions bien décidé/es à ne pas baisser les bras pour autant : notre grève continuerait.

Avec les jours qui passent, la vie dure est menée aux grévistes et particulièrement aux lycéen/nes : la direction refuse d’entendre parler de cette grève et menace de prendre des sanctions. De plus elle fait paraître un communiqué dans la presse contenant des chiffres fantaisistes quant à la participation à la grève qui décourageront plus d’un/e étudiant/e et persuade la doyen de l’uni de nous interdire l’accès à leurs salles. Mais nous restons malgré tout devant les bâtiments chaque matin, pour parler de solidarité, de l’importance de ne pas s’avouer vaincu, du besoin de maintenir cette grève. Nous continuons à dialoguer avec les professeurs et les autorités. Nous nous organisons également pour animer différents débats, notamment sur nos attentes et nos buts, mais aussi sur nos impressions liées à la grève (notre première pour la très large majorité). Nous ne sommes pas là pour ne rien faire mais au contraire pour discuter, nous rencontrer et faire prendre conscience aux personnes autour de nous que cette grève est nécessaire et que les étudiant/es ne sont pas tous issu/es d’un milieu aisé et favorisé comme beaucoup le croient.

Toute la semaine nous avons maintenu diverses activités (stands en ville, forums de discussion, confections de banderoles, tracts,…) pour déboucher vendredi sur une manif à Berne dans le but de demander un entretien à Charles Kleiber, secrétaire d’Etat à la science et à la recherche. Rendez-vous fut pris pour le 3 décembre. Nous avons à cette occasion créé le CLID (comité de liaison inter-cantonal), organisme qui existe toujours.

Il est important de souligner que nous avons terminé cette grève sur un point positif et qu’elle ne s’est pas simplement essoufflée d’elle-même.

Notre grève a eu des répercussions au niveau national et s’inscrivait même dans une semaine de grève européenne puisque plusieurs pays ont connu des mouvements d’étudiants à cette période. Ceci nous a tous motivé/es et nous avons pu mesurer réellement l’ampleur de notre combat.

Nous pensons pouvoir être fiers d’avoir su mobiliser un si grand nombre de personnes, de les avoir sensibilisées aux difficultés qui nous concernent et d’avoir réveillé en elles une conscience qui leur sera utile pour leur vie future. En effet, nous avons tous appris énormément durant cette semaine et celui qui dit que la grève repose n’a jamais fait la grève. Que ce soit au travers des débats, des conférences, de l’organisation, nous avons tous tiré une expérience unique de ces quelques journées.

Je suis certaine que cela a permis à beaucoup d’entre nous de comprendre que la précarité, le chômage et l’exclusion ne sont pas des mots vides de sens : Oui nous avons aujourd’hui besoin de solidarité ; NON, les réalités ne sont inchangeables.

Le slogan « Etudiants, chômeurs, salariés, ensemble il faut lutter » résume bien l’état d’esprit de cette grève dont le but était aussi de faire connaître à la population les conditions des étudiant/es et de montrer que nous sommes solidaires des plus démuni/es. J’estime qu’il est essentiel que les combats soit menés à large échelle et par la société toute entière car les failles se trouvent à tous les niveaux et nous avons besoin du soutien les uns des autres.

Cette grève de novembre, pas la première de l’uni mais la plus suivie, comptabilise déjà des résultats positifs, mesurables, et son action continue encore, par le groupe de liaison inter-cantonal entre autres ; elle a été pour tous une source d’apprentissage et d’enrichissement unique : apprendre à revendiquer, à négocier, apprendre à dire à la société que notre combat pour une uni démocratique est vital, apprendre la solidarité, apprendre à résister, apprendre enfin à savoir exister.

Leana

Vous avez dit : diplÔmes !Discours prononcé à l’occasion de la remise des diplômes de l’Université de Neuchâtel

Mesdames, messieurs, chers amiEs

Permettez-moi avant tout de remercier le comité de grève de m’avoir choisi, moi qui n’en suis pas, pour vous adresser quelques mots à l’occasion de cette journée ; permettez-moi conjointement de remercier le recteur qu’en plus d’un diplôme,il ait accepté de nous remettre la parole pour cinq minutes ; cinq minutes du reste assez symptomatiques de la place des étudiants dans les débats relatifs à la politique universitaire. On nous reproche d’en rester au niveau du slogan, mais lorsque l’on daigne nous entendre, c’est pour 300 secondes.

Enfin, nous essaierons tout de même d’établir brièvement les principes qui ont sous-tendu la mobilisation des jeunes en formations du haut et du bas du canton, ainsi que de plusieurs autre régions de Suisse. On ne saurait, comme l’a pourtant fait la presse, réduire le discours des étudiants à une lutte pour la baisse des taxes, pour le maintien et le développement des budgets, contre le numerus clausus, pour un financement public de la recherche fondamentale.

Non, derrière tous ces sujets, il y a une interrogation fondamentale qui intéresse l’ensemble des niveaux scolaires : qu’attend-on de la formation ? Face à la dépréciation de plus en plus rapide de certaines connaissances, notamment techniques, on tend aujourd’hui à valoriser une nouvelle vision téléologique qui voudrait que le visage de l’éducation se détermine en fonction de ce qui est immédiatement utile et pratique dans un monde en mutation rapide.

Les projets d’une politique de formation portent toujours trace d’une interprétation de l’être humain et de la société. Or, ces objectifs doivent-ils être conformés, assujettis aux besoin de l’industrie ou revient-il, au contraire, à l’industrie, à l’économie d’être attentive aux besoins de l’être humain et à ses perspectives de bonheur ? Veut-on des individus utiles aux circuits économiques, des têtes capables de faire progresser un savoir strictement spécialisé ou des âmes sachant jouir de l’existence d’une manière délicate et nuancée ? Il faut choisir, telle finalité pouvant en exclure d’autre ; or, aujourd’hui, ce débat nécessaire sur la finalité de la formation se trouve escamoté au profit de confrontations techniques sur les moyens à disposition. Devant nous s’esquisse une politique où ce sont, en effet, les moyens qui créent les fins et non l’inverse ; de sorte que la valeur de l’humain se laisse supplanter par son coût.

Nous sommes d’avis que ces questions sont sociétales, qu’elles font – de ce fait – partie intégrante du domaine de souveraineté du citoyen. Ainsi, à l’interrogation qu’attend-on de la formation fait écho celle de savoir quelle société nous voulons ? Les propos que l’autorité cantonale a opposés à la grogne des étudiants exalte l’avènement d’une démocratie de citoyens-clients. Ce concept de « client », outre qu’il réduit la formation à n’être qu’un service et le savoir une marchandise comme une autre, ce concept nous paraît lourd d’implications.

Il y a 150 ans, nos pères se battaient pour instaurer la République et ainsi inventer un homme nouveau : le citoyen, un citoyen pouvant se penser lui-même, pouvant penser ses rapports à autrui et finalement contribuant à forger une société avec laquelle il puisse évoluer sans schizophrénie.

Aujourd’hui, pour légitimer les décisions qu’ils prennent, les représentants des exécutifs politiques ou académiques nous assurent que l’on n’a pas le choix, qu’il faut s’adapter, que de telles évolutions sont irrésistibles. Mais, si nous en sommes arrivés à ce point-là, à ce point où il s’agit, nous dit-on, de se résigner devant l’inexorable, n’y voit-on pas l’anéantissement des exigences démocratiques ? Si l’Etat en est effectivement réduit à gérer des contraintes, à actualiser des adaptations qu’il ne décide plus, ne voit-on pas que c’est la République tant fêtée cette année et, avec elle, le citoyen que l’on évacue ou que l’on désinvente ?

Seule une société à la conscience éveillée permettra un épanouissement de l’humain, épanouissement auquel nous voulons contribuer en débattant des divers niveaux de la formation. Les étudiants refusent d’en être réduits au seul rôle de « client », rôle dans lequel on souhaiterait les confiner. L’éducation doit, selon nous, poursuivre l’accomplissement de l’individu et contribuer – par là – à celui de la société elle-même.

Il est dès lors très injuste de prétendre – comme l’ont fait de nombreux médias – que la révolte des étudiants était un mécontentement de privilégiés. Cette mobilisation peut au contraire être interprétée comme la commémoration la plus vibrante et sincère de l’esprit républicain de 1848. Les jeunes qui se sont investis ces dernières semaines se sont précisément engagés pour que suivre une formation – même poussée – ne soit plus un privilèges, pour que les obstacles visibles et moins visibles à une véritable démocratisation de l’éducation soient dénoncés et, enfin, comme rappelé précédemment, pour que la considération de l’être humain ne se réduise jamais à son coût.

Pour les étudiants mobilisés, Mathieu Menghini