8 mars 2020
En grève quoi qu’il en soit
« Grève féministe internationaliste, du temps pour vivre » : c’est le mot d’ordre lancé par les collectifs féministes à travers la Suisse en vue du 8 mars 2020. Ce dernier tombe un dimanche, l’occasion de thématiser l’arrêt du travail reproductif, souvent invisibilisé et pourtant essentiel au fonctionnement de nos sociétés.
Le dimanche n’est pas synonyme de repos pour tous, encore moins pour toutes. De nombreuses femmes travaillent le dimanche, dans le secteur de la vente, de l’hôtellerie ou des soins. À cela s’ajoute le travail du care, effectué gratuitement et sans aucune reconnaissance.
Le 28 février, à une semaine de la mobilisation, le Conseil fédéral a pris des mesures sanitaires exceptionnelles pour freiner la propagation du coronavirus, interdisant les manifestations de plus de 1000 personnes jusqu’au 15 mars. La nouvelle s’est répandue dans les médias, qui ont aussitôt annoncé l’annulation de la grève féministe – sans même consulter ses organisatrices.
Ces mesures sont déployées au niveau fédéral pour faire face à une « situation particulière », au sens de la loi sur les épidémies. Une preuve de la faiblesse des systèmes de santé et de prévention suisses, puisque l’expression désigne une situation où « les organes d’exécution ordinaires ne sont pas en mesure de prévenir et de combattre l’apparition et la propagation ».
L’urgence déclarée de la situation doit nous pousser à questionner la durabilité du système en place, qui semble peu efficace face à un risque épidémique d’ampleur. En tant que féministes, il nous faut critiquer et repenser ce système de santé qui repose sur le travail féminin gratuit. En isolant les personnes à leur domicile afin de réduire le risque de contamination, c’est aux femmes qu’incombe le devoir de prendre soin de leurs proches ! L’exigence de services publics forts est donc plus que jamais d’actualité. C’est le seul moyen de collectiviser le travail invisible fourni par les femmes.
Cette situation exceptionnelle, qui entraîne notamment l’annulation du Salon de l’auto, démontre aussi qu’il est possible de déployer rapidement un programme d’urgence qui réorganise le quotidien de la population. Nous pouvons nous questionner sur l’absence d’un tel sentiment d’urgence lorsqu’il s’agit des violences sexistes ou de la pauvreté féminine, qui touchent une part importante de la population suisse. Ou des mesures à prendre pour amorcer la transition écologique.
La grève dans de telles circonstances se justifie parfaitement : elle permet de rappeler les contradictions d’un système capitaliste à bout de souffle et rend visible les revendications portées par les femmes depuis des décennies. En grève le 8 mars, décentralisée, démultipliée mais toujours radicale !
Tamara Knezevic