Helvétiquement vôtre
La vérité sur des décennies d'internement administratif
On estime qu’en Suisse, entre 1930 et 1981, 60 000 personnes ont été internées administrativement.
Cette procédure visait les pauvres, les mères célibataires, les mendiant·e·s, les alcooliques, les homosexuel·le·s, les migrant·e·s (pour ces dernier·ère·s, c’est toujours une triste réalité). Du reste, plusieurs interné·e·s avaient été dans leur enfance des « enfants placés». Dans les années 1930–1940, ces méthodes arbitraires ont été dénoncées par des personnalités comme l’écrivain Carl Albert Loosli (1877–1959) – lui-même ancien interné administratif – ou le journaliste antifasciste Peter Surava (1912–1995).
Travail de mémoire
Sous la pression d’une initiative populaire, le Parlement fédéral a accepté en 2014 la mise en œuvre d’un travail de mémoire et la création d’un fonds de solidarité de 300 millions de francs pour les victimes directes. Depuis 2015, une commission indépendante d’experts documente cette période de l’histoire suisse, longtemps ignorée. Ses travaux viennent d’être publiés aux Editions Alphil (Neuchâtel).
Christelle Gumy (directrice de recherche) décrit les rouages de cette mécanique de « rééducation »: « L’internement administratif représente le volet coercitif de l’assistance et participe d’un processus de ségrégation entre ‹ bons › et ‹ mauvais › pauvres. Il s’agit de ré-éduquer par le travail des personnes que l’on estime responsables de leur situation d’indigence ». S’il y a eu des voix contestataires, elles sont restées minoritaires. « Il faut se rendre à l’évidence que cette pratique a bénéficié d’une large acceptation en Suisse » (Migros Magazine, nº 18, 29.9.2019).
Co-autrice du rapport final, Lorraine Odier relève l’accent mis sur le contrôle de la vie affective et relationnelle des femmes ainsi que les motifs d’internement souvent liés, pour celles-ci, à leur sexualité. Une conclusion révélatrice: « Par rapport à l’image de la Suisse, cette histoire nous montre aussi que la paix sociale et du travail a été acquise au prix d’énormes souffrances humaines. Ce sont finalement les plus fragiles qui ont été ciblés par ces mesures » (24 heures, 1.7.2019).
La commission a aussi émis une série de recommandations, comme la création d’une Maison de l’autre Suisse ou des mesures complémentaires en faveur des victimes.
Hans-Peter Renk