Entartons l’UDC

L’espace médiatique genevois a été saturé ces dernières semaines par la tentative d’entartage de la conseillère nationale UDC Céline Amaudruz. Le député socialiste Sylvain Thévoz parle de « guérilla ». L’UDC s’indigne et invoque le registre des violences faites aux femmes. Comment caractériser l’acte ? Violence physique doublée d’un muselage politique ?

Céline Amaudruz effrayée
Pousser des cris d’orfraie, mais débiter des horreurs à chaque campagne électorale…

Revenons aux bases, qu’est-ce qu’un entartage ? L’entartage consiste à lancer ou à « écraser » une tarte à la crème (fouettée ou à raser au choix) au visage d’une personnalité publique dans le but de la tourner en ridicule. Si j’utilise le terme écraser, il convient de préciser que le but est d’appliquer la tarte au visage et non pas d’écraser le visage de la personne. 

Malgré l’extraordinaire violence de l’acte, aucune mort ni blessure ne sont à déplorer dans la longue histoire de cette pratique. Les victimes comptent dans leurs rangs des personnalités telles que Bill Gates, Ségolène Royal et Bernard-Henri Lévy. Ce dernier a même survécu à une dizaine d’atteintes à sa vie de ce genre depuis les années 80. 

Cette méthode musclée semble nous venir d’un film de Laurel et Hardy de comédie burlesque. L’entartage puise effectivement sa force du genre puisque son but précis n’est pas de museler ou de violenter mais de tourner la cible en ridicule.

Le fil des événements

Le 21 décembre passé, un groupe de militant·e·x·s a ainsi tenté d’appliquer cette méthode sur Céline Amaudruz mais n’a pas réussi à entrer concrètement dans l’auditoire où se déroulait la conférence. Les militant·e·x·s ont finalement jeté du purin d’ortie dans la salle et ont crié quelques slogans avant de prendre la fuite. 

La seule violence physique qui s’est déroulée le 21 décembre a été à l’encontre des militant·e·x·s qui se sont fait plaquer contre le mur et frappé·e·x·s sans sommation. Pour rappel, la définition de la légitime défense dans le droit Suisse : « Une personne qui, de manière contraire au droit, est attaquée ou menacée d’une attaque imminente a le droit de repousser cette attaque avec des moyens dits ‹ proportionnés aux circonstances › »

Si l’entartage est sans aucun doute illégal puisque la victime n’est pas consentante, il semble difficile de prétendre que de multiples coups de poing à la tête soit proportionnés à la menace que représente une tarte à la crème. 

Si la méthode est sujette à débat, il s’agit de questionner ce qu’il s’est passé, pas une version militarisée et dramatisée, omniprésente dans les médias, qui ne correspond tout simplement pas aux faits réels. 

Prétendre que la tentative d’entartage représente une agression violente s’apparente à une récupération politique d’une action symbolique qui n’a même pas eu lieu. La rime «Amaudruz, tu pues», doublé du montage photo low budget qu’on retrouve sur le communiqué des militant·e·x·s (disponible sur Renversé) reprend ce même thème burlesque qui fonde la pertinence de l’entartage et ne témoigne pas d’une action de «guérilla».

La cible était l’UDC

Céline Amaudruz joue également sur le registre des violences sexistes. Il convient de rappeler que ce n’est pas sa condition de femme qui était visée ici mais bien son rôle au sein de l’UDC, parti ultraconservateur bourgeois dont elle est un pilier. 

C’est ce même parti qui lançait fin 2021 les initiatives « La nuit porte conseil » et « Sauver les bébés viables » qui s’attaquent frontalement au droit d’avortement. L’UDC porte un projet de société sexiste et n’hésite pas à instrumentaliser le discours féministe lorsque cela l’arrange. 

Si ce n’est pas étonnant de la part d’Amaudruz d’en profiter en période électorale, il est plus étonnant que le PS adopte la même rhétorique. Anne Emery-Torracinta a par exemple ouvertement mis la pression sur le recteur Yves Flückiger pour qu’il prenne des mesures disciplinaires. Le rectorat a finalement annoncé qu’il porterait plainte contre les militant·e·x·s. Cette décision est à condamner et témoigne d’une volonté d’augmenter la répression au sein de l’université de Genève. 

Là où Sylvain Thévoz estime que « les extrêmes se nourrissent », il convient de rappeler que cette non-action, puisqu’elle n’a pas eu lieu, était avant tout symbolique et qu’adopter le discours victimisant de l’UDC ne correspond pas aux faits. C’est aussi oublier les violences, bien réelles quant à elles, que l’UDC et ses politiques xénophobes et climaticides promeuvent. 

La mort d’Nzoy, la loi ultra répressive sur la mendicité, les conditions désastreuses des migrant·e·x·s et le suicide récent d’un jeune afghan après l’annonce de son expulsion ne sont que trop de rappels de la violence systémique bien réelle et entretenue entre autres par l’UDC. 

Il est effrayant que le retournement du discours et des faits effectués par l’UDC en Suisse soient embrassés par des partis « de gauche » et prouve bien la redoutable efficacité de ces propos mensongers.

Clément Bindschaedler