Le quorum, outil anti-démocratique

Les échecs électoraux de solidaritéS Neuchâtel (2021) et d’Ensemble à Gauche-Genève (2023) attirent l’attention sur un mécanisme qui limite nettement la démocratie représentative : le quorum. Il s’agit d’un pourcentage de suffrages éliminant de la répartition des sièges les partis politiques qui ne l’ont pas atteint. 

Un militant de solidaritéS Neuchâtel durant les élections cantonales
Lors des élections cantonales de 2021, le quorum de 3 % a été l’une des raisons de l’éviction de solidaritéS du Grand Conseil.

Après l’instauration de l’État fédéral suisse en 1848, prévalait le scrutin majoritaire. Le parti radical put garder l’hégémonie, même quand ses forces commencèrent à décliner vers la fin du 19e siècle, à l’encontre de ses opposants de droite (les conservateurs catholiques) et de gauche (le parti socialiste). D’où la diversité des adeptes du système proportionnel.

Parmi ceux-ci, on trouve initialement les disciples de l’utopiste bisontin Charles Fourier. De passage à Genève, après la prise du pouvoir par James Fazy (1846), le fouriériste Victor Considerant proposa l’adoption du système proportionnel. Mais les radicaux désiraient maintenir leur fraîche hégémonie et empêcher l’émergence d’une opposition de gauche naissante au régime Fazy.

En 1858, dans le canton de Neuchâtel, un autre fouriériste, François-­Jean-Félix Cantagrel publia une brochure en faveur de la proportionnelle intégrale, mais il ne fut pas davantage suivi.

À Genève, en 1864, après un affrontement armé entre partisans et adversaires de James Fazy lors d’une élection au Conseil d’État, le théologien et philosophe protestant Ernest Naville participa à la création d’une association réformiste, préconisant la proportionnelle. Mais il fallut attendre 1892 pour changer le mode de scrutin dans ce canton.

En 1890, au Tessin, après des élections contestées, les radicaux déclenchèrent un coup d’État contre le gouvernement conservateur (dont un membre fut tué lors de l’affrontement). Pour désamorcer les tensions à l’origine de cette prise d’armes, le système proportionnel fut introduit.

Au début du 20e siècle, 10 cantons avaient opté pour la proportionnelle. Mais ce n’est qu’en 1919 que le Conseil national fut élu selon ce mode de scrutin (l’une des 9 revendications de la grève générale de novembre 1918).

Proportionnelle et quorum 

Le quorum existe dans quatre cantons de la Suisse romande : Neuchâtel, Vaud, Genève et Valais. Neuchâtel avait déjà fait l’objet d’un historique détaillé dans notre journal ↗︎.

À Genève, la loi sur l’exercice des droits politiques (1983) stipule : « Art. 158. Pour être admises à la répartition, les listes doivent avoir obtenu 7 % au moins du total des suffrages valablement exprimés. (…) Art. 162. Listes apparentées. §1 Les listes d’un groupe de listes apparentées qui n’ont pas atteint le quorum de 7 % sont éliminées du groupe ».

Dans le canton de Vaud, la loi sur l’exercice des droits politiques de 2021 stipule : « Art. 73. Le bureau d’arrondissement élimine d’emblée toutes les listes qui n’ont pas recueilli 5 % au moins du total des suffrages valables émis dans l’arrondissement ».

En Valais, la loi sur les droits politiques stipule : « Art. 154. Le groupe de liste qui atteint huit pour cent dans au moins une circonscription participe à la répartition des sièges ».

En Suisse alémanique, le quorum est de 5 % dans le canton de Zurich, 4 % dans le demi-canton de Bâle-Ville et 3 % dans les Grisons.

Pourquoi le quorum ?

Comme à l’époque du système majoritaire, l’introduction du quorum dans les cantons de Neuchâtel, de Vaud, de Genève et du Valais a voulu pallier les inconvénients de la proportionnelle pour les partis dominants. En effet, ceux-ci n’apprécient pas la présence institutionnelle de « petites » formations. 

Or, il faut rappeler que Victor Considerant, Cantagrel, Ernest Naville et le socialiste zurichois Karl Bürkli – adeptes de la proportionnelle – n’ont jamais préconisé un quorum arbitraire, ils prônaient le seul quorum naturel. Ils ont tous défendu un « système représentatif tel que toute voix aura sa valeur et dans lequel aucun groupe de citoyens ne pourra rester sans représentant » (Ernest Naville). Il serait enfin temps, un siècle plus tard, de faire respecter ce principe.

Hans-Peter Renk

À LIRE

Sur Fourier et ses adeptes :

Sur l’opposition de gauche à James Fazy : 

Sur la situation à Neuchâtel : 

  • François-Jean-Félix Cantagrel, L’élection véridique, ou La sincérité représentative assurée par le vote secret et libre. Neuchâtel, chez tous les libraires, 1858.