Les enseignant-e-s dans le collimateur du Conseil d'État

Les enseignant-e-s dans le collimateur du Conseil d´État

Le Conseil d´Etat vaudois, courant septembre
2001, a déterré la hache de
guerre et ressorti du tiroir un dossier qui
lui tient à cœur, celui de l´augmentation
de l´horaire des enseignant·e·s.

Le Conseil d´Etat, propose en effet au Grand Conseil,
dans le cadre de l´élaboration du budget 2003 une
série de mesures contre le personnel enseignant.

Les maîtres de gymnase (secondaire supérieur)
devraient passer à 23 périodes d´enseignement, soit
une période de plus sans changement de salaire et
les maître·esse·s du secondaire inférieur et
maître·esse·s spécialisé·e·s, qui sont à 25 périodes
hebdomadaires, passeraient en 3 ans à 28 périodes.
Ces mesures constituent aussi une agression contre
les maître·esse·s breveté·e·s, instituteur/trices, qui
voient bafouer la revendication urgente et légitime de
la diminution de leur horaire d´enseignement et de
leur temps de travail.

En 1994, cette mesure avait déjà été prévue, mais la
mobilisation des enseignant-e-s avait permis de renvoyer
le dossier « 25-28 » dans son tiroir. Aujourd´hui,
le Conseil d´Etat revient à la charge dans un contexte
hypothéqué par une offensive frontale contre toute la
fonction publique vaudoise. En effet, la nouvelle loi
du personnel de l´Etat, entend précariser les
employé·e·s et reléguer aux oubliettes leur statut qui
permet de maintenir encore certains acquis.

Travailler plus pour le même salaire

L´Institut romand de santé au travail, sur la base d´un
questionnaire adressé à 7292 enseignants vaudois et
qui a reçu 4072 réponses, concluait en septembre
2000 à une usure physique, une fatigue chronique,
des troubles du sommeil, ainsi qu´à une accentuation
générale de pénibilité. Les sondés étaient pratiquement
unanimes à réclamer une diminution des effectifs
et un allègement des horaires de travail. L´étude
concluait d´ailleurs que nombre d´enseignants « choisissent
de diminuer leur taux d´activité pour réduire
leur charge de travail
« .Une enquête menée dans l´enseignement
post-obligatoire arrivait à des conclusions
analogues, même si les questionnaires utilisés
dans les écoles professionnelles et les gymnases
vaudois, empruntés à l´enquête valaisanne Balance
visaient d´abord à déterminer des besoins en formation!
Ces rapports étaient explosifs et révélaient le
profond malaise du corps enseignant, mais les corrections
apportées furent minimes: à peine quelques
classes de plus ouvertes et quelques mesures d´assistanat.

Le budget comme arme contre l´enseignement
et tout le secteur public

Au cours des dernières années, les conditions de travail
ont déjà été fort péjorées par les autorités: en
1995, le Conseil d´Etat avait déjà ponctionné 65
millions sur les salaires des enseignants. 32 millions
pour la scolarité obligatoire, 10 millions pour la formation
professionnelle et 6 millions pour le gymnase.
Augmenter l´effectif des classes à tous ces niveaux lui
permettait de réduire les postes et d´atteindre ses
buts d´économie. Ces dix dernières années, les
dépenses réelles faites par le canton de Vaud et les
communes pour l´école publique ont diminué de 22 %.
Selon Thomas von Ungern-Sternberg (HEC, UNIL):
« Pour la même période, le nombre d´élèves a augmenté
de 25 %. La réduction des dépenses par élève
a donc été de l´ordre de 40 % » (…) « Au vu de ces chiffres,
il est facile de comprendre les enseignants qui se
plaignent de devoir faire toujours plus avec toujours
moins.
« 1

Il en est de même des statistiques sur les effectifs des
classes qui nous révèlent le même état de situation:
« Dans les classes primaires, l´effectif moyen est de
21,2 élèves pour une moyenne suisse de 18,9 élèves.
Dans le secondaire, la moyenne vaudoise est de 20,1
élèves, la moyenne suisse est de 19,1 élèves.
 » Ces
indicateurs montrent que l´école vaudoise dispose de
moins de moyens que les autres cantons pour assurer
un enseignement de qualité. A cela s´ajoute l´introduction
de réformes sans moyens suffisants et
souvent dans des situations de confusion mettant les
enseignant·e·s très mal à l´aise pour la réalisation de
nouveaux objectifs.

Une gifle contre les enseignant·e·s

La mesure 23-28 annoncée par le Conseil d´Etat a
représenté une insulte pour le monde de l´enseignement
vaudois. Les réactions ont été vives. Voici
quelques extraits d´une lettre d´enseignants·e·s du
Collège de l´Elysée à Lausanne: « Pressez-la, pressezle,
pressez-les encore! Je vous assure, il en sort toujours
un peu de jus » tambourine depuis quelques
années déjà notre ministre des finances. Avec les
résultats que l´on connaît. Dernière recette en date:
faire passer l´horaire des enseignants du secondaire
inférieur de 44 heures à plus de 49 heures par semaine
(selon l´équivalence du temps compté pour une
période d´enseignement). Et cela pour quelques gouttes
de plus dans la salade financière vaudoise
« (!)

L´indignation a émané de tous les milieux: deux
représentant-e-s du Conseil d´Etat, Philippe Biéler
(vert) et Francine Jeanprêtre (PS), responsable du
Département Formation et Jeunesse, se sont distancés
de la mesure. Le milieu des directeurs et leur
association (ADESOV) se sont aussi élevés contre la
décision du Conseil d´Etat, relevant son caractère
arbitraire et inique et craignant qu´elle ne crée « une
situation très dommageable pour l´école ». D´un commun
accord, toutes les associations d´enseignants
SSP, SUD et SPV, regroupant les ordres d´enseignement
obligatoire et post-obligatoire appelaient à une
première riposte le 4 octobre. De leur côté, les parents
d´élèves, par l´APE (Association des parents d´élèves)
et les commissions scolaires, rejoignaient les protestataires
en s´associant à leurs actions pour la défense
d´une certaine qualité de l´école qu´ils ne veulent pas
voir se dégrader.

De nombreuses lettres partaient aux parents, annonçant
que des établissements allaient faire grève si la
mesure n´était pas retirée. La plupart soulignaient que
de telles augmentations de travail pour les maîtres « ne
prennent pas en compte les préparations, les corrections,
ainsi que toutes les activités annexes (travail
administratif, réunions de coordination, organisation
de courses d´école, de voyages d´étude, de fêtes
etc…). Elles ne prennent pas en compte non plus
l´augmentation constante du nombre d´élèves par
classe, la mise en place d´Ecole vaudoise en mutation,
l´intégration des différentes cultures dans l´école et
l´évolution toujours plus rapide du monde (technique,
informatique et sciences)
« .

Deux stratégies de lutte

Les assemblées de maître·sse·s qui se sont réunies
trois fois pour préparer la riposte ont été confrontées
à un choix entre deux positions: celle de SUD et de la
SPV qu´ils estimaient plus réaliste, ne pas faire grève
tout de suite face à un Conseil d´Etat qui ne reviendrait
pas sur sa position et attendre les décisions de la
Commission des finances et du Grand Conseil, et celle
du SSP encourageant à se mettre en grève immédiatement
comme avertissement au Conseil d´Etat avant
les vacances. Finalement, ce fut la position plus
modérée qui fut choisie par l´assemblée et il y eut une
journée d´actions bien suivie par une majorité d´établissements,
prolongée par une manif permettant de
rallier les enseignants du primaire non directement
touchés par la mesure.

Le même dilemme a surgi après les vacances d´octobre.
Comme le Conseil d´Etat n´avait pas retiré la
mesure, le SSP encourageait à la grève pour faire
pression sur les instances qui allaient décider du sort
des enseignants, alors que les autres associations
préféraient attendre les décisions du législatif. Une
fois de plus, cette dernière option fut choisie par l´AG.
Le 29 novembre aurait dû être une journée de grève si
la Commission des finances du Grand Conseil avait
entériné la mesure. Mais, par cinq voix contre neuf et
une abstention, elle ne suivait pas les directives de
Charles Favre.

Grève à Nyon-Marens

Les enseignant-e-s du Collège de Nyon-Marens
avaient annoncé leur détermination, malgré la décision
de l´assemblée. Le SSP les a tout de suite soutenus
avec la présence d´un secrétaire syndical sur le
lieu de grève; puis la SVMS (Société vaudoise des
maîtres secondaires, dépendant de SUD), avec de
multiples réticences, leur a donné tout de même son
appui alors que la SPV s’abtenait prudemment.
Or, les maîtres de Nyon ont spécialement fait la grève
pour avancer la revendication des 25 périodes pour
tous/toutes. Aujourd´hui, affirment-ils, « beaucoup
d´enseignants ne peuvent accepter un plein temps
parce qu´ils craignent de fournir un travail bâclé. Ceux
qui enseignent 25 périodes, souvent surchargés,
bousculés, stressés, ont la ferme conviction qu´ils ne
pourraient assumer plus. Que dire alors de ceux qui
doivent enseigner 28 périodes? Ils le paient personnellement
très cher. […] Pour cette raison, nous
demandons que le temps d´enseignement au secondaire
I soit de 25 périodes pour tous.
”

Cette grève très bien suivie, puisque deux tiers des
enseignant-e-s votaient le débrayage, a permis de
donner confiance aux enseignant-e-s sur leur lieu de
travail et a eu un bon retentissement dans la presse, à
l´heure où des décisions d´envergure allaient être prises.
Le 12 décembre, le Grand Conseil Vaudois,
comme sa commission des finances, décidait de ne
pas suivre le Conseil d´Etat dans ses propositions de
restrictions budgétaires; une manche était ainsi
gagnée!

Nouveaux dangers

Dans une perspective combative, la grève aurait été
indispensable pour assurer un rapport de force plus
favorable. D´ailleurs, de nombreux établissements
avaient voté un préavis au cas où le Conseil d´Etat ne
retirait pas sa mesure. Aujourd´hui, nous partons plus
fragilisés face à des décisions d´un gouvernement qui
se prépare à ressortir la hache de guerre.

Trois nouveaux dangers menacent:
Aujourd´hui, c´est une demi-victoire. La pression a
certes payé pour faire reculer le gouvernement. Mais
les membres du Grand Conseil et de la commission
des finances ont plutôt réagi à la manière peu orthodoxe
dont Charles Favre les a interpellés, contestant
qu´on n´ait pas suivi les procédures appropriées: « Il
aurait fallu d´abord modifier la loi scolaire avant de
modifier le budget » ont répété des députés. D´ailleurs,
au cours de contacts que le syndicat et les autres
associations ont eu avec le gouvernement, la menace
était claire. Cette mesure devrait être introduite en
douceur à l´issue de « réelles » négociations.

Le premier écueil viendra d´une motion UDC, le postulat
Rapaz, qui reformule la même exigence vis-à-vis
des maîtres licenciés et spécialistes du secondaire
inférieur. Ce postulat a déjà été accepté par une majorité
du Grand Conseil, le Conseil d’Etat doit donc présenter
un rapport sur ce sujet. Le Grand Conseil est
appelé à prendre acte du rapport, il ne peut pas l’amender.
Comme le rapport viendra en mai/juin prochain,
les élections ayant déjà eu lieu, on peut imaginer
le parti que pourra en tirer le Conseil d’Etat! Cette
fois, la lutte risque d’être beaucoup plus dure.

Le deuxième obstacle vient de la future loi sur le personnel
à laquelle le SSP, avec d’autres organisations,
ripostera par un double référendum. Des travaux sectoriels
de mise en œuvre de cette loi existent aujourd´hui
dans l´enseignement, notamment dans la définition
du temps de travail et la Description des Emplois
et Classification des Fonctions
(DECFO). Là aussi l´offensive
visera à la hausse du temps de travail des
enseignant-e-s.

Le troisième obstacle découlera de la mise en route de
la nouvelle HEP (Haute Ecole pédagogique), acceptée
en mars 2000 par les députés, instituant une nouvelle
classification des maîtres, et impliquant d´autres
statuts, ce qui pourra faire pression sur l´horaire de
ceux déjà en fonction.

La perspective introduite par ces attaques frontales au
milieu de l´enseignement vaudois apparaît de plus en
plus clairement: sélectionner la prestation scolaire en
fonction de sa rentabilité financière et fournir des
prestations en fonction de la rentabilité des élèves. La
tendance est la même partout, l´école vaudoise ne fait
pas exception.

C´est pourquoi, face à cette offensive, chaque riposte
ou grève est d´une valeur inestimable. En effet de telles
actions permettent de sentir la solidarité entre les
salarié-e-s et de défendre des droits collectifs ainsi
que de reprendre courage.

Si le mouvement de la fonction publique peut s’armer
de méthodes de luttes offensives plutôt que de rester
dans l´attentisme, une première réflexion pourra s´amorcer
sur ce que nous désirons comme services
publics, permettant d´assurer des besoins sociaux
collectifs de manière égalitaire.

Pierrette Iselin

  1. Article du 31.10.01 dans 24 Heures
  2. Parue dans 24 Heures du 02.10.01
  3. Lettre adressée aux parents de l’Établissement du Belvédère, Lausanne
  4. Communiqué de presse des maîtres de Nyon-Marens réunis en AG le 29.11.01