FSM: violence envers les femmes, là où l'autre monde doit agir

Forum social mondial

La violence envers les femmes: là où l´autre monde doit agir

Nous avons choisi de publier dans ce
premier numéro le début d’un long et
passionnant document de travail pour
Porto Alegre, préparé par la Marche
mondiale des femmes.

Le Forum Social Mondial a souhaité, pour cette seconde
rencontre de Porto Alegre, créer un espace de
réflexions et de débats sur les alternatives à la « culture
de la violence ». La Marche mondiale des femmes a
accepté de prendre en charge la rédaction du texte qui
servira de base de discussion à ce forum . Nous avons
délibérément voulu parler de violence envers les femmes
pour illustrer combien ce type de violences, cette
problématique, sont centrales à une « culture de la violence ».
Ne serait-elle pas une violence première et quasiment
paradigmatique? Nous avons délibérément
voulu parler de violence envers les femmes car ce sont
oujours les féministes qui ont dû porter une parole sur
cette violence. En dehors des féministes et du rapport
de forces qu’elles imposent, le discours concernant les
violences est comme ces violences: invisible…

Mais n’est-il pas effrayant de parler de « culture de la
violence »? N’est-il pas paradoxal, sans précaution,
d’employer le mot culture, à connotation positive,
avec le mot violence à connotation négative? L’emploi
du mot culture postule au moins la légitimation sociale,
l’assentiment et la transmission. Transmission de
la violence, légitimation sociale, plus ou moins marquée.
C’est exactement ce qui se passe avec les violences
à l’encontre des femmes.

Sans nier l’importance des autres formes de violence,
nous croyons qu’en appréhendant bien les causes et
les conséquences de la violence envers les femmes,
nous pourrons poser les premiers jalons d’une
recherche d’alternatives pour un autre monde basé
sur l’égalité et le respect de l’autre.

Ce texte vise donc à démontrer l’universalité de la violence,
de ses diverses formes mais surtout à pointer
ses causes afin d’arriver à l’éradiquer. Nous condamnons
le patriarcat, ce système plusieurs fois millénaire
d’inégalités, d’exploitation, de privilèges, de discriminations,
de valeurs, de normes, de politiques, basé
sur la prétention qu’il existerait une infériorité naturelle
des femmes en tant qu’êtres humains et sur la hiérarchisation
des rôles assignés dans nos sociétés aux
hommes et aux femmes. C’est ce système qui génère
les violences. Nous condamnons la mondialisation
capitaliste néolibérale qui s’appuie sur la division
sexuelle du travail pour créer des inégalités supplémentaires
entre les hommes et les femmes, terreau
plus que favorable à l’accroissement des violences
Nous voulons mettre fin à ces violences et dresserons
la liste des éléments à changer dans ce but. Les actrices
et acteurs de la lutte contre la mondialisation libérale
y sont évidemment impliqués.

Nous souhaitons que chaque personne qui lira ce
texte, y contribuera par ses réflexions et propositions
afin d’arriver à Porto Alegre en 2002 avec un texte fort
et axé sur l’action. Nous vous invitons donc à nous
faire part de vos commentaires.

La violence envers les femmes, une
réalité transnationale et transculturelle

La réalité de la violence envers les femmes prend de
formes différentes selon les sociétés, les cultures mai
l’existence de la violence envers les femmes est un phénomène, un fait social qui se retrouve de façon transversale dans toutes les classes sociales, les cultures, le
religions, les situations géo-politiques. Il n’y aucune
exception et la règle se confirme malheureusement tous
les jours. Effectivement, toutes les minutes, des femmes sont abusées, humiliées, agressées, violées, battues, exploitées, tuées, le plus souvent par les homme
qui les entourent et ce, depuis des millénaires.

La violence s’exprime le plus souvent dans la sphère
dite privée (les féministes ont amplement démontré
que le « privé » est politique): par exemple au sein de la
famille avec le viol incestueux, les mutilations génitales, l’infanticide, la préférence du fils, les mariage
forcés etc., au sein du mariage ou de la relation amoureuse: par exemple, le viol conjugal, les coups, le
contrôle psychologique, le proxénétisme, le crime
d’honneur, le femicide, etc. La sphère publique est
aussi le lieu d’expression de violences envers les femmes comme le harcèlement sexuel ou moral au travail, les agressions sexuelles, le viol collectif, le trafic
sexuel, la pornographie, le proxénétisme organisé,
l’esclavage, les stérilisations forcées, etc. La violence
envers les femmes est plus souvent l’expression de la
domination d’un individu mais elle peut aussi être
pratiquée de façon organisée par plusieurs hommes
ou par un état (viols systématiques en Bosnie et en
Haïti). Elle est trop souvent tolérée, excusée ou
encouragée par le silence, par les discriminations,
par la dépendance des femmes envers les hommes,
par des justifications théoriques ou des approches
psychologisantes à la source de stéréotypes voulant
par exemple que les hommes soient incapables de
contrôler leurs pulsions, notamment sexuelles, que
les violeurs sont des malades mentaux, que les femmes
aiment les « vrais hommes », etc.

Les multiples manifestations des
violences envers les femmes,
quelques statistiques mondiales

  • De 20 à 50% des femmes dans le monde sont victimes à des degrés divers, de violences conjugales.
  • Dans le monde entier, on évalue à 5000 le nombre de femmes et de jeunes filles victimes de crimes « d´honneur » par année.
  • L´UNICEF évalue qu´une femme sur 10 dans le monde est victime d´un viol une fois dans sa vie.
  • Selon la plupart des études publiées sur le sujet, les femmes violées le sont le plus souvent par un homme qu´elles connaissent.
  • Le nombre de femmes excisées est estimé à 130 millions dans le monde et tous les ans, près de 2 millions d´autres sont soumises à cette coutume, au rythme d´environ 6 000 cas par jour, soit 5 petites filles par minute.
  • On estime qu’il y a au bas mot 9 millions de femmes dans l’industrie du sexe. Certaines estimations vont jusqu’à 40 millions à travers le monde.
  • On estime que l’industrie mondiale du sexe rapporte 52 milliards de dollars chaque année aux réseaux criminels organisés.
  • Selon les évaluations, 4 millions de femmes et de fillettes sont achetées et vendues dans le monde entier chaque année, à de futurs époux, à des proxénètes ou à des marchands d´esclaves.
  • Dans la seule région de l’Asie du Sud-Est, près de 70 millions de femmes et d´enfants ont été victimes du trafic sexuel depuis 10 ans.
  • Plus de 100 millions de filles manquent à l´appel à travers le monde du fait de la préférence accordée au fils.
  • En Inde, en moyenne cinq femmes par jour sont brûlées pour des motifs tenant à leur dot, et beaucoup d´autres cas ne sont jamais signalés.
  • Une enquête réalisée dans les quinze Etats membres de l’Union européenne en 2000 révèle que 2% de travailleuses (=3 millions) ont fait l’objet de harcèlement sexuel au travail et 9% de travailleuses et de travailleurs ont été l’objet d’intimidation et de harcèlement moral.

Les régimes intégristes, formes extrêmes
d’institutionnalisation des violences
envers les femmes

Certains régimes intégristes comme celui des
Talibans en Afghanistan ont institutionnalisé la violence
envers les femmes et en ont fait un droit divin
accordé à tout homme, à tout moment. Le contrôle
absolu et l’appropriation du corps des femmes ont
pris, au cours des siècles des visages d’horreur ou de
manipulation. Le XXe siècle a permis l’avancement
des droits des femmes mais n’a pas fait reculer la violence
qu’elles subissent de façon significative. On
pense aux crimes d’honneur, aux crimes liés à la dot
des jeunes filles, au lévirat qui sont autant de pratiques
donnant le droit de vie ou de mort sur les fillettes
et les femmes aux hommes de la famille.

On pense à certaines réalités des pays occidentaux où
on voit persister, malgré une plus grande reconnaissance
des droits des femmes, la violence et le contrôle
sous diverses formes (un viol toutes les 6 minutes
aux États-Unis, non-reconnaissance du viol conjugal,
du droit à l’avortement en Suisse par exemple, croissance
du trafic sexuel, massacres de femmes comme
celui de Montréal en 1989), etc. Aucune société n’est
à l’abri de la violence envers les femmes car aucune
société n’a pleinement réalisé l’égalité réelle entre les
hommes et les femmes, même si l’égalité des droits,
l’égalité formelle, est reconnue.

Sur la scène internationale, à l’heure actuelle, la situation
des femmes afghanes est probablement l’exemple
le plus criant de l’indifférence ou de la tolérance
de l’intolérable dont peuvent faire preuve les pays se
réclamant du respect des droits humains fondamentaux.
Avant le 7 octobre, peu de pays avaient réagi
pour réclamer la fin des exactions des Talibans contre
les femmes depuis 1996. Depuis le début de la
guerre, on invoque cependant le non-respect des
droits fondamentaux des femmes pour appuyer les
bombardements, faisant fi de l’impact de cette guerre,
comme de toutes les guerres, sur les femmes.
Selon Amnesty International, le nombre de femmes
victimes lors des conflits armés est passé de 5% lors
de la Première guerre mondiale à 50% lors de la
Deuxième guerre mondiale et à près de 80% dans les
années 90. Il n’y aucune raison pour que la présente
guerre fasse exception. Les femmes afghanes, tout
comme la population afghane, veulent que les bombardements
cessent, qu’avec le départ des Talibans
soit instaurée l’égalité. Les groupes de femmes
afghanes veulent aussi être partie prenante de la
résolution du conflit et du rétablissement de la démocratie
dans leur pays.

Le viol comme arme de guerre

Un autre visage que prend la violence envers les femmes
est celui du corps des femmes utilisé comme
butin ou arme de guerre. Dans tous les conflits armés
des plus anciens aux plus récents, les attaquants se
sont servis du viol des femmes comme façon d’atteindre
leurs ennemis. Par exemple, des camps de viol ont
été organisés lors de la guerre des Balkans pour parfaire
le « nettoyage ethnique ». On commence à savoir
maintenant que les viols ont été massifs de la part des
Français, durant la guerre d’Algérie. De 1932 jusqu’à la
fin de la Deuxième guerre mondiale, le Japon a mis sur
pied des camps d’esclaves sexuelles pour son armée
Ainsi 200 000 femmes ont été contraintes à l’esclavage
sexuel dans des centres de viols appelés « centre de
délassement ». Ces esclaves appelées « femmes de
réconfort » étaient des femmes kidnappées des pays
voisins en guerre avec le Japon. Au Kosovo, depuis la
fin de la guerre, des femmes d’Europe de l´Est ont été
enlevées, séquestrées, terrorisées et amenées dans
des bordels de Pristina par le crime organisé où près
de la moitié de leurs clients sont du personnel international
et des forces de maintien de la paix… et la liste
pourrait s’allonger.

Les femmes combattent et s’organisent

Malgré les souffrances infligées, les femmes combattent
partout et tous les jours les violences. Elles s’autoorganisent
et manifestent pour faire changer les lois
veiller à ce qu’elles soient appliquées, bousculer les
« traditions » dont les femmes paient le prix, apporter
leur solidarité concrète aux femmes victimes des violences,
etc. Des femmes endurant des violences ont
tous les jours le courage de se lever pour les dénoncer
haut et fort.

Ce sont elles les premières combattantes contre ce
fléau social. Ainsi les Mauriciennes par exemple se
sont-elles mobilisées contre les violences conjugales
et ont fait voter une loi en 1997. Ainsi des pièces de
théâtre prévenant le trafic sexuel sont-elles jouées
aux Philippines. Ainsi les « Femmes en Noir » en Serbie
se sont-elles élevées contre la politique militariste et
nationaliste de Milosevic et ont apporté leur soutien
aux réfugié-e-s du Kosovo. Ainsi Au Burkina Faso des
associations travaillent auprès des adolescentes pour
prévenir l’excision et le mariage forcé ou/et précoce.

Les causes de la violence
envers les femmes

La violence envers les femmes trouve ses racines
dans la haine de l’altérité et la croyance que la domination
est un mode de survie viable. Le patriarcat a
institué, un ordre de domination (social, économique,
politique) du masculin sur le féminin. Ainsi les hommes,
les garçons tirent dans toutes les sociétés, dans
outes les classes sociales et malgré les avancées du
éminisme des dernières années, des bénéfices
importants et des privilèges bien concrets de ce système
de domination: par exemple, les travaux domesiques,
l’éducation des enfants sont effectués partout
en quasi-totalité et gratuitement par les femmes voire
par les petites filles. Partout les garçons, les hommes
ont plus de « valeur » que les femmes et les fillettes. Afin
d’imposer ce système d’exploitation et d’oppression,
le plus ancien et le plus pérennisé qui soit, et de le
maintenir en place, la violence ou la menace de la violence
est utilisée comme outil de contrôle, comme
punition pour avoir dérogé aux règles établies par le
patriarcat (hiérarchisation, soumission, obéissance,
etc.). Nos sociétés se sont développées (et continuent
de se développer) avec comme assises cette hiérarchisation
des individus selon leur appartenance à un
sexe. Dans ce contexte, l’altérité est vue et construite
comme une menace plutôt que comme une richesse.
Ainsi, le besoin de dominer pour survivre, sur lequel
est basé le patriarcat, la volonté de conserver les privilèges
inhérents au statut de l’oppresseur mènent à
l’utilisation de la violence comme affirmation de la
masculinité et comme outil de maintien de la domination.
Se crée ainsi une véritable solidarité entre hommes
pour que cette situation perdure. Tant et aussi
longtemps que nous refuserons de remettre en quesion
ces réalités, nous ne parviendrons pas à éliminer
la violence envers les femmes.

La domination patriarcale se modèle habituellement
selon le système économique dominant, au mode de
production existant. Le mode de production capitaliste
coexiste donc avec la domination patriarcale qui lui
était antérieure et l’utilise pour son plus grand profit.
Les régimes dits « socialistes » ont aussi cohabité avec
le patriarcat et l’expérience historique des femmes
face à ce type de sociétés les a convaincues qu’un
changement vers un régime « progressiste » ne s’accompagne
pas du tout automatiquement d’un accès à
l’égalité et à l’éradication des violences à leur encontre.
Évidemment, les femmes sont présentes dans toutes
les classes sociales. Ce sont elles que l’on retrouve
cependant en majorité au sud dans le travail informel,
ou travailleuses dans les zones franches, ou sans
emploi salarié. Au Nord, elles sont majoritaires dans
le travail précaire, flexible, à temps partiel, ou au chômage.
Ce sont elles, au Sud comme au Nord qui
accomplissent encore la quasi-totalité des tâches
domestiques gratuitement. Ces espaces de vulnérabilité
supplémentaires peuvent être autant de zones
sensibles à l’accroissement des violences ou à la difficulté
renforcée d’en sortir.

De même les discriminations racistes fragilisent
considérablement les femmes. Ces différents modes
d’oppression se conjuguent, s’interpénètrent et se
renforcent mutuellement. La présence d’un handicap,
le jeune âge ou le grand âge, le lesbianisme, la prostitution
peuvent être autant de facteurs aggravants.(…)

Suzy Rojtman et Diane Matte
Auteures de ce document avec le collectif de la
Marche pour Porto Alegre.

(texte intégral sur www.solidarites.ch)

La toile de fond de Porto Alegre

Le IIe Forum social mondial a lieu du dans trois
semaines au Brésil. De nombreux miltant-e-s
s’y déplaceront, mais bien plus nombreux
seront celles/ceux d’entre-nous qui ne pourront
pas faire le voyage? Exclus? Non! En effet,
le Forum social a n’a pas seulement lieu au
Brésil. Il existe aussi ici…

www.forumsocialmundial.org.br

…sur Internet et chacun-e peut et devrait s’y
rendre. On y trouve non seulement le programme
des débats, mais des centaines de contributions
écrites sur tous les sujets relevant de
l’opposition au « processus de globalisation
capitaliste commandé par les grandes entreprises
multinationales, par les gouvernements et
les institutions internationales au service de
celles-ci ». Allez voir les articles dans la
« Bibliothèque des alternatives » ou les textes
disponibles en passant par la « Grille des conférences »
sur les 4 thèmes principaux et leur
trentaine de sous-thèmes dont nous reproduisons
le « portail » ci-dessous. Vous y trouverez
par exemple l’intégralité du texte préparatoire
dont nous avons publié un extrait ci contre,
avec bien d’autres choses encore… (réd)