Le Crédit Suisse: un éléphant dans la céramique

Le Crédit Suisse: un éléphant dans la céramique


La lutte des Zanón a commencé en juillet 2000 lorsque la direction de l’entreprise a tenté de faire croire qu’elle était en «situation préventive de crise». La manœuvre visait à légitimer une restructuration brutale (obtention de crédits publics, licenciement de 100 travailleurs, fluidification et intensification du travail). Les travailleurs et la population ont réussi jusqu’ici à s’y opposer.



«Nous avons des problèmes financiers», telle est la formule passe-partout qu’utilise le capital pour justifier les baisses de salaire, l’intensification des rythmes de travail, les licenciements, les fermetures d’entreprise… Les salariés, jadis exploités par le travail, deviennent alors des chômeurs qui, expropriés de leur outil de production, entraînent dans la misère leur famille, leurs communautés et leur région, transformée en désert industriel. Les actionnaires, ces «Ponce Pilate globalisés», s’en lavent les mains: leur problèmes financiers ne les empêchent pas de dormir… ni de s’enrichir.



Ces problèmes financiers ne le sont pas pour tous ainsi, le Crédit Suisse spécule sur la dette de l’entreprise Zanón en proposant de la recapitaliser en échange de la prise en charge de sa restructuration. Le CS est dans le capital de l’entreprise à hauteur de 15% avec les banques Río, Nación, Provincia de Neuquén et une banque des Iles Caïman, qui voulaient fermer l’usine pour la revendre. Le CS a voulu devenir actionnaire majoritaire avec 50% du capital en rachetant les actions de la famille italienne Zanón, propriétaire, qui a refusé l’offre.

Les faiences de la colère


Le groupe Zanón, unique en Amérique du Sud, a démarré avec trois chaîne de production, il en a actuellement dix-sept sur le continent. L’une des plus importantes des quatre usines de céramiques d’Argentine, La Fabrique de céramiques Zanón, est à Neuquén, en Patagonie Argentine, à 1000 km au Sud de Buenos Aires. Elle occupe 380 salariés produit des faiences et des sanitaires pour la construction.



Elle produit en temps normal et en moyenne mensuelle 600000 m2 de carreaux de faience pour une valeur estimée à 2.3 millions de dollars pour le marché intérieur et l’exportation en Amérique Latine, du Nord et en Europe. Le seul «problème financier» de ses actionnaires est de s’enrichir davantage, c’est pourquoi ils ont happé dès 1996, 20 millions de dollars de crédits de la Banque Mondiale par le biais de la Corporation Financière Internationale et de subventions publiques, soit l’argent de ceux qui l’ont gagné par leur travail mais n’en ont plus. Comme le disait un délégué des céramistes : «Il se peut bien que l’entreprise soit en crise mais c’est ses patrons qui l’ont engendré: quand ils gagnent de l’argent nous ne gagnons rien et quand ils en perdent, nous perdons tout. Cela nous ne l’accepterons jamais!».



La fabrique a des «problèmes» parce que ses propriétaires ont décapitalisé la Zanón pour investir la richesse produite par ses travailleurs dans d’autres business plus «porteurs».



La famille Zanón faisait partie du groupe sélect d’entrepreneurs qui accompagnait l’ex-président Menem pour faire des affaires. Alors qu’elle prétendait avoir des problèmes d’argent, elle spéculait sur Aerolíneas Argentinas, avait ouvert une nouvelle fabrique à Buenos Aires, avait acheté six carrières et avait pris des actions dans les multimédias, tout cela en puisant dans les recettes de l’usine de Neuquén. Ses «problèmes financiers» ne sont qu’un détournement de fonds à but spéculatif.

Aquí están, éstos son, los obreros de Zanón
«Ils sont là, ce sont eux, les ouvriers de Zanón!»

Les travailleurs de Zanón ne s’y sont pas trompés. Ils ont refusé les «explications» patronales, vaincu la peur de devoir résister, déjoué les manœuvres du syndicat complice, boudé concessions et compromis et mis en échec le plan de démantèlement. Ils occupent l’usine, produisent, vendent… et font la fête. Leur lutte a dépassé largement la défense corporatiste de leurs intérêts collectifs. C’est une lutte pour la survie immédiate et à long terme de toute la population d’une région. Lors de la commémoration du 1er Mai 2002, leur première cuisson «sous contrôle ouvrier» sera destinée aux chômeurs et chômeuses: une plaque de céramique représentant un piquetero et l’inscription «Pour la défense de nos droits».



C’est pourquoi les étudiants, enseignants, jeunes, femmes1, les familles, les voisins, la communauté indienne Mapuche, les Mères des disparus pendant la dictature, toutes/tous les ont soutenu et en ont fait leur propre lutte. Le stade du contrôle ouvrier sur l’appareil de production du capital est dépassé: ils ont pris en charge l’avenir d’êtres humains exploités, opprimés et dépossédés de leurs ressources, de leur outils de travail et de leurs moyens de subsistance, bref, de leur émancipation et leur épanouissement.


Si, si señores soy ceramista
Si, si señores, de corazón
Porque los obreros y las mujeres,
Allá en el parque, son dueños de Zanón


«Oui, oui messieurs, je suis céramiste
Oui, oui messieurs, de tout mon cœur
Parce que les ouvriers et les femmes
Là-bas, dans le parc, sont maîtres de la Zanón
»



Avec eux, ceux d’en bas, les Zanón ont franchi une à une les barrières dressées au fur et à mesure de leur marche par le capital au pouvoir: ils ont refusé l’exploitation de leur santé en refusant que le décès d’un des leurs reste impunie.



C’est la mort du jeune ouvrier, Daniel Ferras, faute d’infirmerie dans l’usine qui a déclenché, fin 2000, une grève de 9 jours et la mobilisation avec les étudiants, enseignants universitaires, aux côtés des parents de la victime.



La direction a arrêté les fours «Cela – déclarait Raúl Godoy, ouvrier et lieder syndical à la Zanón – je le ressent comme s’ils m’avaient débranché le cœur. Il mettent cinq jour pour refroidir et il nous en faut autant pour les chauffer à nouveau». Malgré les diverses manœuvres, les Zanón ont réussi en décembre 2000 à prendre la direction de leur syndicat et à y instaurer un fonctionnement démocratique exemplaire. En mars 2001, ils ont obtenu le paiement des arriérés salariaux après une nouvelle grève de 12 jours. Puis en avril et mai suivant, ils organisent une nouvelle grève de 34 jours contre les mesures de flexibilisation. Face à l’escalade des provocations patronales, les travailleurs répondent par le mot d’ordre: «Après plus de 30 jours de grève: plus un seul pas en arrière». En juillet 2001 la direction annonce le licenciement de 170 ouvriers et la liquidation du nouveau syndicat démocratique d’entreprise. Ils ont dû faire 200 jours de grève au cours de l’année 2001!



Parmi les 2500 victimes de procès pour fait de luttes ouvrières dans le pays, 500 sont de Neuquén dont la population ne représente pourtant que 2% de celle du pays! La direction à recouru au «lock-out patronal», manœuvre qui a été condamnée lors du jugement du 31 octobre 2001 à l’avantage des travailleurs qui ont pu ainsi reprendre une partie des stocks et la production. Pourtant le 28 novembre, la direction annonçait, par télégramme personnalisé le licenciement collectif des 380 travailleurs de la Zanón et sa fermeture. Le lendemain, devant le palais du gouvernement de Neuquén autour du brasier de ces télégrammes, les Zanón décident d’occuper la fabrique. La manifestation est réprimée par la police spéciale à coup de lacrymogènes et de balles de caoutchouc. La chasse à l’homme, fait une dizaine de blessés, et conduit à 60 arrestations.



De plus la direction a tenté de stopper la production en rompant les contrats d’approvisionnement en argile.



Pourtant, elle fait choux blanc. Les Zanón ont négocié la fourniture de l’argile avec la communauté indienne en échange du soutien de leur cause indigène. Pour sceller cet accord, les Zanón ont rebaptisé quatre de leurs produits de prestigieux noms en Mapuche.



L’exemplarité de la lutte des Zañon fait des émules en Argentine, ainsi d’autres occupations telles que l’atelier de couture Brukman, la boulangerie industrielle Panificadora 5 à Buenos Aires et un autre atelier de couture en Uruguay suivent le chemin du contrôle ouvier. Actuellement une soixantaine d’entreprises seraient occupées en Argentine.

«Qu’ils s’en aillent tous…
Patrons inclus!»


D’autres pièges pourront être tendus: la gendarmerie nationale veille, les coupures d’approvisionnement en énergie, le sabotage des transports et de la distribution des céramiques en Argentine et à l’exportation, l’ordre d’évacuation violente de l’usine, le boycott des fournitures en machines, pièces de rechange et matière première menacent.



C’est pourquoi il faudra deux, trois, de nombreux Zanón pour arracher les producteurs associés au carcan du marché capitaliste et franchir ainsi le dernièr des obstacles: la pitoyable domination d’une minorités de grippe-sous irresponsables sur l’espèce humaine.



Mais une fois ce dernier rempart franchi, il faudra s’occuper sérieusement de l’héritage empoisonné légué par deux siècles de productivisme à but marchand. Se demander si toutes ces faiences, lavabos et autres gadgets en céramique n’ont pas été davantage des marchandises profitables à quelques uns que des biens d’usage nécessaires à tous, si les masses de combustible non renouvelable brûlé pour les cuire n’ont pas été dilapidées en vain, et surtout si tout le travail nécessaire à les produire n’a pas été un immense gâchis de notre temps de vivre, de créer, de rêver… et d’en rire.



François Iselin



Cet article est basé sur une cinquantaine de pages Web (cherchez avec Google «Zanón», «Neuquén», «Crédit Suisse», etc) et sur le témoignage de camarades qui sont descendus en bas de l’Argentine pour y voir de près comment s’y construit le socialisme par en bas.