Non à la 5e révision de l’AI : pour une véritable politique de l’intégration!

Non à la 5e révision de l’AI : pour une véritable politique de l’intégration!

Nous avons demandé à
Alain Riesen, ergothérapeute, co-responsable de l’Arcade
84 à Genève, centre d’ergothérapie et centre
de jour pour des personnes souffrant de troubles psychiques, de nous
présenter ici son point de vue sur l’intégration,
suite à son intervention lors de la journée du CSP sur
«l’insertion sociale et professionnelle des personnes
souffrant de troubles psychiques» le 10 octobre 2006.

Dans notre société, qu’on le veuille ou non, le
statut de travail salarié reste encore celui qui est
valorisé, alors que l’activité non salariée
devrait également être valorisée et reconnue, car
elle révèle la richesse et la créativité
des hommes et des femmes. Aujourd’hui, les personnes souffrant
d’un handicap, et particulièrement celles qui ont un
trouble psychique, se retrouvent, comme toutes les personnes en
situation de vulnérabilité sociale, stigmatisées
par les réactions populistes: elles seraient responsables des
déficits budgétaires, alors qu’elles sont victimes
d’une politique sociale et économique qui favorise
l’arrivée d’évènements parfois
dramatiques comme la maladie ou un accident,. Elles se retrouvent ainsi
pénalisées dans leur projet de vie par la
désinsertion sociale et professionnelle. A Genève, la
population précarisée concernée se trouve parmi
les 22 000 personnes en recherche d’emploi, les 15 000 au
chômage, les 15 000 aidées par l’assistance
publique, les 1800 au RMCAS (Revenu minimum cantonal d’aide
sociale), les 4700 requérant-e-s d’asile, les 12 700
vivant d’une rente AI, sans parler des «working
poor», des personnes sans statut légal, etc.

Une nouvelle politique de l’intégration est nécessaire

Il ne s’agit pas seulement de
permettre que les personnes souffrant d’un handicap progressent
dans leur santé, autonomie et qualité de vie, mais il
faut également changer leurs conditions d’accueil –
contexte, environnement, etc. –en l’occurrence dans les
entreprises, pour réaliser pleinement
l’intégration. Nous devons déplacer l’effort
et la justification du changement dans cette direction.

En effet, la réhabilitation est un processus, afin que les
personnes handicapées retrouvent leurs droits et leur autonomie,
ce qui signifie d’abord une reconnaissance du handicap, soit des
capacités et des limites de la personne: c’est la
condition d’un chemin de vie pour être soi-même avec
les autres. Cette conception de la réhabilitation postule que
les personnes handicapées ont des droits à faire valoir,
et que chaque personne, même fortement handicapée, peut
progresser. Pour que l’activité sociale et le travail
deviennent force d’intégration, il faut changer et adapter
l’environnement à la personne handicapée.

Or, en 2004, à Genève par exemple, sur 5890 personnes
à l’AI, seules 1140 ont trouvé une place en 2005:
les places disponibles en atelier protégé ou centre de
jour restent limitées à 516 pour répondre à
leur besoin d’activité. Trop nombreux sont celles et ceux
qui vivent en «zone grise» dans le circuit
«maison-rue-bistrot-maison». Le désoeuvrement et
l’isolement sont sources d’altération et de
péjoration de la santé, avec son lot de souffrances. Le
sentiment d’abandon, expérience douloureuse pour la
plupart des personnes que nous rencontrons dans notre travail, est le
plus souvent exprimé avec humilité et culpabilité.

La responsabilité des entreprises doit être engagée!

Dans les années précédant les crises
économiques des dernières décennies, il existait
plusieurs «niches» d’emploi intégrant les
personnes en difficulté. Avec les restructurations et la vague
néolibérale, ces formes d’intégration au
marché de l’emploi ont disparu. Une récente
étude sur plus de 1600 entreprises et 850 organisations
d’aide aux personnes handicapées a mis en évidence
que le taux d’intégration était
particulièrement faible: seules 8% des entreprises embauchent au
moins une personne handicapée. Les principaux obstacles à
l’engagement retenus par les employeurs-euses sont la
capacité productive insuffisante pour l’entreprise,
l’absentéisme supposé et les coûts
engendrés. A l’évidence, ces éléments
montrent que la nature spécifique du handicap n’est pas
reconnue par les employeurs-euses.

Trois changements indispensables

Tout d’abord, contrairement à la 5e révision AI,
nous devons mettre le poids sur les employeurs-euses avec deux
préalables pour réussir l’intégration: des
places de travail en nombre suffisant et un accompagnement dans la
durée, sur le lieu de travail, des personnes limitées par
leur handicap.

Ensuite, la mise en place d’un système contraignant,
obligeant les employeurs-euses à engager des personnes souffrant
d’un handicap est impérative. Un système de quotas,
accompagné d’incitations économiques type
bonus-malus, selon des expériences ayant déjà
abouti dans d’autres pays, comme la France ou les Pays-Bas, doit
voir le jour en Suisse. Si l’entreprise ne respecte pas le quota,
elle paie une taxe qui servira à développer des emplois
dans le secteur de l’économie sociale et solidaire.

Enfin, il convient de réaliser et de développer les
réseaux d’aide pour répondre aux besoins
différenciés des personnes handicapées, à
savoir ceux liés aux activités favorisant leur propre
développement, avec toute la valeur d’utilité
sociale et culturelle, et ceux liés au travail salarié,
ce qui s’intègre dans le régime du travail
lui-même.

Il faut intégrer des activités de développement au
travail salarié, en complétant l’offre et en
adaptant les conditions d’accueil des entreprises publiques et
privées. Il en va de nos valeurs de solidarité. En
même temps, il est indispensable de résister à la
désinsertion et de développer l’intégration
dans la responsabilité et la liberté individuelle et
collective. Il en va de nos valeurs de liens et de relations
fraternelles. Oeuvrer pour la reconnaissance des personnes souffrant de
handicap, en particulier psychiques, dans leurs limitations et leurs
potentialités, voilà un objectif citoyen et
démocratique! Il en va en efffet d’une valeur
supérieure: le respect de l’autre.

Alain Riesen