IIe pilier: le Conseil fédéral joue le larbin des assureurs privés

IIe pilier: le Conseil fédéral joue le larbin des assureurs privés

Les Chambres fédérales
vont prochainement devoir se prononcer sur la proposition du Conseil
fédéral d’abaisser le taux de conversion minimal de
la prévoyance professionnelle (LPP) à 6,4% dès le
1er janvier 2011, soit plus fortement et plus rapidement que ne le
voulait la 1ère révision de la LPP. Rappelons que le
même Conseil fédéral a déjà
réduit l’autre taux clef de la prévoyance
professionnelle, le taux d’intérêt minimal, qui
depuis le 1er janvier se traîne à 2,25%. L’essorage
des rentiers et rentières LPP par les assureurs privés
est en bonne voie.

Pour comprendre les enjeux sociaux et financiers de ces rafales de
chiffres, rappelons que, très schématiquement, le
système de capitalisation à la base du fonctionnement de
la prévoyance professionnelle, repose sur l’accumulation
d’un capital par le ou la cotisant-e. Sur ce capital,
appelé «avoir de vieillesse», l’institution de
prévoyance sert un intérêt, qui vient augmenter le
capital initial. Le Conseil fédéral définit ce
taux d’intérêt minimal. Plus il est bas, plus lente
sera l’accumulation du capital-vieillesse et in fine, plus
faibles seront les rentes servies. Cela du côté de
l’accumulation.

Du côté de la redistribution, le calcul de la rente va se
faire d’abord en appliquant à l’avoir de vieillesse
un taux d’intérêt technique,
qui permet de définir la rémunération de ce
capital accumulé. Au montant ainsi obtenu, on applique un taux
de conversion, qui définira la rente touchée par la
personne. Ce sont les autorités politiques qui
définissent aussi ce taux de conversion. On voit donc
que le Conseil fédéral a les mains posées en
permanence sur les deux robinets du système LPP: celui du taux
d’intérêt minimal en amont et celui du taux de
conversion en aval. Nos rentes dépendent en bonne partie de ces
deux flux. Ainsi, l’accélération proposée de
la diminution du taux de conversion revient à une baisse de 10%
de nos rentes.

Les arguments boiteux du gouvernement des assureurs

De nombreuses et savantes études sur papier glacé ont
toujours établi la suprématie du IIe pilier sur le 1er
pilier (AVS, basée sur la répartition) lorsqu’il
s’agissait de faire face au vieillissement de la population. Par
nature, disait-on, le IIe pilier était beaucoup moins sensible
à l’évolution démographique que le 1er. Et
pourtant, l’argument du vieillissement de la population –
et donc de l’allongement de l’espérance de vie des
rentiers et des rentières, ce qui entraîne automatiquement
la durée de versement des rentes
– a déjà été utilisé pour
diminuer le taux d’intérêt minimal. Pas suffisant,
d’après les assureurs privés regroupés dans
l’ASA (Association suisse d’Assurances), qui revendiquent
maintenant une baisse à 6% du taux de conversion, «taux correct

du point de vue de l’économie financière et biométrique (sic)».

Cette soudaine faiblesse du IIe pilier face à
l’évolution démographique permet en effet de jouer
avec les prévisions en matière d’espérance
de vie, définies par les tables de mortalité, et ainsi de
revendiquer des marges de risques plus élevées, dans
lesquelles viennent se nourrir les profits des assureurs privés.
Voilà les raisons financières du «paradoxe
actuariel» qui voit les assureurs privés se baser
régulièrement sur des espérances de vie plus
longues que celles des caisses publiques, alors que la
«clientèle» des premiers connaît des taux de
mortalité plus élevés.

A ce bon usage du matériel statistique et actuariel pour parer
au «risque démographique», s’ajoute un autre
argument, celui de la faible rentabilité des placements. En
fait, le Conseil fédéral, suivant l’Office
fédéral des assurances privées, crie au loup en
brandissant les seuls résultats, médiocres, des
années 1999-2003. A partir de là, on calcule un rendement
des placements boursiers à long terme de 3,3%. Un chiffre comme
un autre, jugé «hautement improbable» par certains
experts (24 Heures, 27.2.2007) et qui ne correspond pas à la
moyenne historique des taux de rendement calculée par la Banque
Pictet. Sur trente ans
de placements, ces tables donnent une performance de 7,69% des actions
et de 2,93% des obligations en valeur réelle. Mais on le sait
depuis la campagne sur la caisse unique et sociale, les gens
chargés des placements chez les assureurs privés suisses
sont les boursicoteurs lesplus maladroits du monde…

A force de tirer sur la corde…

L’appétit des assureurs privés ne connaît pas
de bornes. Ils en sont actuellement à exiger un taux technique
de 1,9% (ce qui entraînerait le taux de conversion à un
niveau semblable: il est actuellement de 2,25%). Or, ce taux est
inférieur au placement le moins risqué qui existe, celui
des obligations de la Confédération. Le placement
«de père de famille» par excellence. Encore un peu
et on ira vers des taux négatifs, où le rentier ou la
rentière devra payer pour toucher sa rente! Blague à
part, il se creuse actuellement une inégalité de
traitement de plus en plus forte entre les assuré-e-s du IIe
pilier selon le type de caisse à laquelle leur employeur
appartient (publique, autonome, fondation collective, assurance
privée). Ce qui montre bien le caractère
«social» de cette assurance, encore mis à mal par la
politique du Conseil fédéral, qui en faisant fluctuer
rapidement le taux technique et celui de conversion,
créée des inégalités supplémentaires
entre générations de rentiers, voire à
l’intérieur d’une même
génération, selon la date du départ à la
retraite. D’après les résultats boursiers des
années précédant ce départ, par exemple. On
serait alors complètement sorti du cadre d’une assurance
sociale pour rentrer dans une pure assurance individuelle. Avec
peut-être à la clef un risque politique
évoqué par certains spécialistes: «Ce
qui sauve aujourd’hui ce système, c’est qu’il
est obligatoire. Mais si les prestations deviennent vraiment trop
basses, on pourrait imaginer que quelqu’un finisse par
déposer une initiative populaire pour demander de supprimer la
Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP)
» (Jacque Grivel, 24 Heures, 27.2.2007).

Daniel Süri