Structures d’accueil: à chaque enfant une place!

Structures d’accueil: à chaque enfant une place!

Interview de Martine Kurth, membre de
l’équipe des parents qui ont lancé une initiative
pour l’accueil des enfants, ancienne
déléguée à la politique familiale et
à l’égalité du canton de Neuchâtel.

Il existe depuis plusieurs années une Loi cantonale sur les
structures d’accueil de la petite enfance. Que pensez-vous de
cette loi et de son application actuelle?

La loi est bonne. Certes, on peut discuter du règlement
d’application, de ce que certains considèrent comme une
usine à gaz bureaucratique.

Cela dit, la loi ne concerne que les structures préscolaires,
pas l’accueil parascolaire (en dehors des heures
d’école des enfants scolarisés). Or il y a un
manque évident aujourd’hui en la matière.

Le problème de la loi, ce n’est pas la loi, c’est sa
non-application. A son article 3, la loi prévoit que chaque
commune est tenue d’établir une planification qui permette
une couverture de ses besoins, tant quantitatifs que qualitatifs. Et
son article 11 stipule que les dispositions doivent être
exécutées dans les 5 ans à partir de
l’entrée en vigueur de la loi. Donc, le 1er janvier 2007,
5 ans après l’entrée en vigueur, tous les besoins
auraient dû être couverts.

Si des listes d’attente pouvant aller jusqu’à 2 ans
sont considérées comme une couverture des besoins… Je
crains que nous ne parlions pas le même langage entre auto-
rités et parents!

Je rappelle en outre que la Loi sur les structures d’accueil a
été acceptée en votation populaire par près
de 80% des citoyens et citoyennes. C’était en 2001.

A titre de comparaison, la modification de la Constitution cantonale
concernant la maîtrise des finances et le frein à
l’endettement a recueilli à peine plus de 80% de suffrages
positifs, en 2005.

La seconde est appliquée à la lettre, sans
dérogation depuis 2 ans. Pour la première, on est loin du
compte!

Pourquoi une pareille inégalité de traitement, alors que
la volonté populaire a été exprimée aussi
clairement dans un cas que dans l’autre?

Les calculettes vaudraient-elles plus que nos enfants???

Vous avez lancé une initiative cantonale qui demande que
l’Etat de Neuchâtel garantisse à chaque enfant une
place dans une structure d’accueil, en horaire élargi (12
h./par jour). Comment se passe la récolte de signatures? Comment
la population accueille-t-elle votre proposition?

C’est cadeau. La plupart des gens nous félicitent et nous
remercient. Evidemment, il y a aussi celles et ceux qui pensent que la
place des enfants est à la maison, avec leur mère, et pas
dans des structures. Comme si l’un empêchait l’autre!
Mais la discussion est passionnante à chaque fois. Et, ce qui
est relativement nouveau, nous recevons un accueil très positif
auprès des personnes âgées. L’autre jour, une
dame de 94 ans a signé cette initiative, en nous disant combien
elle pensait que nous faisions œuvre utile.

Je suppose que pas mal de grands-parents se font du souci en voyant
leurs enfants se débattre avec le casse-tête de la garde,
des horaires scolaires et professionnels.

Autre point positif, la manière dont diverses associations, dont
pas mal de personnes privées également, se sont
approprié l’initiative: nous étions 6 au
départ, nous sommes beaucoup plus nombreux aujourd’hui.
Les amis, les familles, les connaissances, les associations se sont
lancées dans la récolte, viennent donner un coup de main
pour tenir des stands.

C’est particulièrement réjouissant. Au
départ, on croit qu’on peut faire bouger les choses, on se
lance, puis d’autres y croient aussi, et ça devient
effectivement possible.

Cela dit, nous voyons également les limites de l’exercice.
La population signe facilement cette initiative, certes, encore faut-il
être sur le terrain. L’équipe qui a lancé
l’initiative est pratiquement tous les week-ends à un
endroit ou à un autre pour récolter des signatures.

Nous constatons simplement que l’exercice de ce droit
démocratique, en simples citoyens et citoyennes, sans appareil
de parti, n’est pas si évident. Que concilier la
récolte de signatures avec nos vies professionnelles, familiales
et associatives ne va pas de soi.

La composition actuelle du parlement et du gouvernement
neuchâtelois (majorité de gauche) facilitera-t-elle
à votre avis la concrétisation de cette initiative qui
demande que chaque enfant ait droit, dès sa naissance et
jusqu’à la fin de la scolarité officielle, à
une place dans une structure d’accueil digne de ce nom?

Non. Si tel était le cas, nous n’aurions pas eu besoin de
lancer cette initiative… Je constate qu’il est loin le temps
où la gauche montait au Château avec poussettes et habits
bleus pour déposer plusieurs initiatives sur ce sujet. La
majorité de gauche est au pouvoir depuis deux ans. En deux ans,
si on le veut, on peut donner de solides impulsions, ne serait-ce que
pour que la loi soit appliquée. Ce fut le cas pour la
maîtrise des finances, pas pour les enfants.

Et pendant ce temps, l’idée qu’on pourrait
imaginer une garde des enfants moins coûteuse, sans structures
spécifiques, mais surtout sans personnel qualifié fait
son chemin…

Je suis scandalisée par certains propos considérant que
la qualité n’est pas une nécessité en
matière de garde d’enfants. Un enfant n’est pas un
jouet, que diable!

Avec les siens, on se trouve dépassé ou à tout le
moins questionné plus souvent qu’on ne l’avoue, et
on se dit régulièrement qu’on aurait bien besoin
d’un peu de formation au métier de parents. Alors avec
ceux des autres! L’accueil collectif des enfants est un
métier.

Ceux qui expliquent qu’il n’y a pas besoin
d’être bardé de diplômes pour savoir torcher
des enfants, tel certain PDC genevois…sont à côté
de la plaque. Des enfants qui passent plusieurs heures par jour et
plusieurs jours par semaine en crèche ont besoin d’autre
chose que d’être nourris, torchés et couchés.
Ce sont toutes ces autres choses, si capitales pour le
développement de nos enfants, qui participent, avec
l’apport des parents, à faire d’eux des êtres
libres, solidaires et responsables

Vous engagez un combat essentiel, mais qu’on imagine de
longue haleine. Comment voyez-vous les étapes pour la mise en
place de telles structures?

La première étape, c’est récolter les
signatures nécessaires, et c’est maintenant. Ensuite, nous
savons qu’il faudra mai nteni r l a pressi on. L’
expéri ence montre malheureusement qu’avoir une loi,
acceptée par le peuple, ne suffit pas. Encore faut-il veiller
à ce qu’elle soit appliquée. Et cette fois, nous ne
lâcherons pas.

Interview réalisée par Marianne Ebel