De Seattle à Pragues : L'expérience des groupes d'affinités

De Seattle à Prague…


L´expérience des «groupes d´affinité»


Nous avons déjà publié les propos d´Olivier de Marcellus, de l´APCM, et de Christophe Aguiton, d´attac-France, sur la manifestation de Prague contre le FMI et la Bm. Dans la perspective de la mobilisation de Davos en janvier prochain, nous avons pensé utile de revenir sur l´organisation de cette manif, sur son déroulement et sur ses résultats concrets.


par Atauffo Riera*


(…) La préparation et le déroulement de la manifestation de Prague fut une formidable démonstration d’auto-organisation démocratique et «horizontale». Pendant plusieurs jours, dans un «Centre de convergence» -installé dans une usine désaffectée aux abords de la ville- des milliers d’activistes ont pu suivre des formations diverses sur les méthodes d’action non-violentes, sur les méthodes adéquates pour se protéger des effets des gaz lacrymogènes ou sur nos droits en cas d’arrestation.


Les groupes d´affinité


Les participants pouvaient s’organiser en «groupes d’affinité» variant de 5 à 30 personnes qui déterminaient quelle allait être leur place et leur fonction dans la manifestation. Certains de ces groupes avaient des tâches bien définies: soins médicaux, communication, assistance juridique, blocage de telle ou telle rue. Chaque groupe désignait un porte-parole qui assistait à des «Conseils de porte-parole» pour coordonner les activités. Plusieurs «groupes d´affinité» pouvaient s’assembler et former un «cluster».


Pour réussir «l´encerclement» du Palais des Congrès, la stratégie adoptée était de diviser la manifestation en trois cortèges symbolisés par les couleurs rose, jaune et bleu, chaque cortège devant prendre un itinéraire différent pour dérouter les éventuels barrages policiers. Les groupes d’affinité devaient donc déterminer dans quel cortège ils souhaitaient s’inscrire, en tenant compte notamment de l’équilibre numérique entre les trois et de la composition de ces cortèges. Ainsi, le cortège rose regroupait majoritairement les organisations politiques de gauche ou d’extrême-gauche et les syndicats. Le cortège jaune rassemblait l’associatif et les ONG et avait un caractère nettement festif et pacifiste. Le cortège bleu enfin regroupait les inorganisés et les groupes anarchistes.


Ce mode organisationnel «pluricellulaires» donnait à la manifestation cohésion, mobilité et souplesse. Elle permettait également à chacun de se sentir pleinement impliqué et d’être présent comme un participant actif. L’utilisation de nouvelles technologies telles qu’Internet (Indymedia), pour diffuser immédiatement les informations à travers le monde ou les téléphones portables, pour déplacer les groupes d’un lieu à l’autre en cas de besoin de tel ou tel cortège est également un trait caractéristique de ces nouvelles formes de mobilisations.


« Bataille tactique»


C’est dans une ambiance festive que, le mardi 26 septembre au matin, débuta ce que l’économiste russe Boris Kagarlitsky qualifia de «plus brillante bataille tactique contre la police que j’ai jamais vue».


Après s’être rassemblée sur la Place de la Paix, la manifestation – rassemblant 15 000 personnes, 12 000 selon la police – a démarré vers 11h30. Au fur et à mesure de sa progression, elle se scinda selon les trois cortèges précités au signal d’activistes agitant de grands drapeaux aux couleurs correspondantes et qui indiquaient ainsi la rue à prendre pour tel ou tel cortège.


Arrivés aux abords immédiats du Palais des Congrès, les cortèges rose et jaune ont été stoppés par d’impressionnants barrages de policiers équipés à la «Robocops» et appuyés par des auto-pompes et des blindés de l’armée pendant que le ciel était sans cesse sillonné par des hélicoptères et même par un avion! Dans le cortège bleu, les heurts ont été immédiats avec cet impressionnant dispositif policier. Après quelques heures de face à face et d’échanges respectifs de gaz lacrymogènes et de petits pavés praguois appelés «têtes de chats», la police a commencé à refouler les trois cortèges à travers des charges brutales: plusieurs manifestants ont été sérieusement blessés par des jets de bombes lacrymogènes à bout portant ou par des pavés que renvoyaient les flics!


Pendant plusieurs heures, les manifestants les plus déterminés résistèrent en dressant des barrages et des barricades, tandis que le gros des trois cortèges se repliait vers la Place Wenceslas pour y bloquer l’Opéra où devait se tenir une soirée de gala. C’est à travers cette résistance aux charges policières que les délégués furent bloqués durant 4 heures et ne purent évacuer le Palais des Congrès que par la réquisition du métro et par des hélicoptères!


Victoire et radicalisation


Le lendemain, dans une ville en état de siège où une répression féroce s’abattait, on apprenait qu’au cours d’une réunion de crise, le FMI et la Bm avaient décidé d’avancer d’un jour la fin de leur rencontre. Ou plutôt de leur calvaire. Car pour eux, la pression de la rue était devenue insupportable après une semaine de critiques et de manifestations où les délégués restaient confinés dans leurs hôtels, bloqués dans leur Palais des Congrès ou empêchés de se «divertir». La mobilisation se solde donc par une victoire: l’élite arrogante du capitalisme mondial a dû plier bagage plus vite que prévu et est désormais inquiète car, comme l’a dit un manifestant italien, «Où qu’ils aillent, nous y serons».(…)


* Extrait de La Gauche, journal du Parti Ouvrier Socialiste, Bruxelles.