L’assurance maternité cantonale, un premier pas après l’échec sur le plan fédéral

L’assurance maternité cantonale, un premier pas après l’échec sur le plan fédéral


Le 14 décembre dernier, le Grand Conseil genevois adoptait à l’unanimité1 la loi cantonale qui instaure une assurance perte-de-gain pour toutes les femmes ayant une activité lucrative


Marina Decarro


Le vote nominal ayant été demandé, un certain nombre de députés présents ont choisi de ne pas participer au vote (ce qui laisse supposer qu’ils n’ont pas voulu assumer publiquement leur désaccord). Le délai référendaire est de 40 jours à partir du 22 décembre, date de la publication dans la Feuille d’Avis Officielle et la nouvelle loi devrait entrer en vigueur le 1 juillet 2001.
Satisfaction teintée d’amertume


La satisfaction de voir cette loi votée à Genève ne nous fait pas oublier qu’une assurance maternité avait été acceptée à Berne par le Parlement fédéral et qu’elle a été rejetée en votation populaire le 13 juin 1999 à la suite d’un référendum. Dès lors, la solution cantonale est apparue comme le moyen permettant de conserver et de rendre effectifs – au moins sur le plan cantonal – les résultats obtenus lors de la votation fédérale.


En effet, si dans de nombreux cantons alémaniques le refus avait été massif, les cantons latins avaient accepté l’assurance et tout particulièrement Genève avec 74% de oui.
Un travail de longue haleine. Le Comité genevois pour une véritable assurance maternité s’était constitué à Genève en octobre 1993 et avait mené, durant toutes ces années, un travail systématique d’information et de mobilisation.


Stands dans la rue, pétitions, diffusion de tracts d’information, conception et création d’une exposition itinérante pour la promotion de l’assurance maternité, manifestations et rassemblements, conférences et communiqués de presse, élaboration d’argumentaires en collaboration avec d’autres comités et en particulier avec le comité vaudois, campagne d’envoi de cartes postales, etc… Pendant toutes ces années un groupe de femmes a agi avec persévéran-ce et conviction pour que le caractère indispensable, justifié et urgent de l’assurance maternité soit admis et devienne une évidence pour la majorité de la population du canton comme pour les parlementaires à Genève et à Berne.


Le travail s’est donc poursuivi tout au long des mois et des années pendant lesquels le projet de loi fédérale transitait dans les salles et couloirs du Palais fédéral jusqu’au projet voté par les chambres fédérales. Pour mener la campagne contre les référendaires, lors de la votation fé-dérale, le Comité genevois pour une véritable assurance maternité a suscité la constitution d’un comité unitaire «Oui à l’assurance maternité», qui a réuni un très large éventail de groupes, associations et organisations très divers, y compris syndicales et politiques. Sur le plan cantonal, l’adhésion à l’idée de la nécessité de l’assurance maternité s’est exprimée lors de la votation fédérale du 13 juin (74% de oui).


Faiblesse de la campagne nationale


Malgré les efforts, la coordination avec le reste de la Suisse s’est révélée impossible. Les comités en gestation romands, ont tenté a plusieurs reprises d’entrer en contact et d’animer un réseau agissant dans la même perspective dans les cantons alémaniques. Ces tentatives ont échoué car elles n’ont rencontré que de très faibles échos et le plus souvent le silence. Les organisations nationales importantes partis ou syndicats, n’ont pas effectué un travail de base sur la durée (vu le manque de moyens, la mauvaise évaluation de la situation, l’incapacité de mobiliser ou d’autres raisons). Les groupes et associations féministes se sont, en général, peu investis dans cette campagne.


Dans les conditions actuelles, nous avons constaté qu’il n’existait pas une force organisée capable de mener une campagne nationale efficace pour défendre une assurance maternité jusqu’au succès2. Ainsi, alors que la loi fédérale sur l’assurance maternité avait été adoptée par les chambres fédérales, le référendum a été victorieux dans les circonstances que l’on connaît. L’ampleur du désastre a été un choc pour beaucoup.


Vers une assurance cantonale


A l’heure actuelle, on discute à Berne sur les modalités d’une nouvelle version d’assurance maternité, plus mince encore, mais avant que la moindre solution se dessine, des mois et des années vont s’écouler. Fallait-il en rester là, alors qu’à Genève les trois quarts des votant-e-s et la plupart des partis, avaient exprimé leur accord? Une fois les résultats du 13 juin connus et nos larmes amères non encore essuyées, on pouvait se résigner à attendre la reprise des discussions à Berne et l’émergence de nouvelles propositions (minimales et forcément marquées par la défaite), ce qui était une perspective peu exaltante. On pouvait aussi prendre appui sur le résultat cantonal pour obtenir un résultat concret à Genève, et établir ainsi un point de repère pour les batailles nationales à venir. C’est ce qu’a décidé le comité genevois. Un groupe s’est mis au travail, renforcé par des juristes, pour élaborer un projet de loi cantonale inspiré de la loi fédérale.


Nous ne nous arrêterons pas sur le détail des péripéties qui ont abouti finalement à la loi acceptée par le Grand Conseil en un temps record. Trois points importants distinguent le projet cantonal de la loi fédérale:


a) la loi cantonale porte uniquement sur la compensation de la «perte de gain» pour les mères ayant une activité rémunérée, tandis que le projet fédéral prévoyait une petite prestation aux femmes au foyer;

b) la loi cantonale prévoît 16 semaines de congé maternité au lieu de 14 qui figuraient dans la loi fédérale;

c) le mode de financement retenu à Genève est du type AVS, basé pour essentiel sur des prélèvements paritaires sur les revenus, tandis qu’au niveau fédéral c’était d’abord la caisse APG et eventuellement plus tard un relèvement de la TVA.


Une assurance perte-de-gain maternité, enfin!


Les conditions étaient favorables à Genève, et il n’était pas question de perdre ces acquis qui auraient peut-être été oubliés. Il était temps surtout de faire bénéficier sans tarder de cette assurance perte de gain les travailleuses qui vont accoucher dans le canton et dont le revenu n’était pas assuré en cas de maternité.mais…On peut regretter que l’assurance perte de gain (à l’instar d’autres assurances) ne porte que sur 80% du salaire. En effet, dans certains cas, le complément de 20% sera obtenu grâce aux dispositions existantes dans certaines entreprises ou prévues dans des conventions collectives. Mais les femmes qui n’auront pas droit à ce complément, comment vivront-elles pendant les 16 semaines du congé maternité avec seulement le 80% de leur salaire?. Il y aura donc des actions syndicales à mener pour défendre le maintien des conditions le plus avantageuses lorsqu’elles existent et pour les étendre à l’ensemble des travailleuses.


Et si un référendum était lancé?


La loi votée à Genève est fort modeste mais prend l’allure d’un grand succès, tant la situation en Suisse est retardataire. Or, rien n’est encore joué, car la question du référendum est encore en suspens au moment où ces lignes sont rédigées. Si un référendum était opposé à l’assurance genevoise, nous vérifierions sur le terrain la valeur et la solidité des soutiens annoncés. Il n’y a pas de doute cependant que les forces investies depuis des années en faveur de l’assurance maternité seront prêtes, s’il le faut, à mener la campagne, pour la loi genevoise.


Il y aurait beaucoup de leçons à tirer de l’analyse de ce processus si long et difficile pour arriver à une loi permettant aux femmes de continuer à toucher leur salaire pendant la période de congé maternité. Beaucoup de questions n’ont pas trouvé de réponse3 . Mais la loi votée dans le canton de Genève ne constitue pas un obstacle pour que le débat continue à tous les niveaux et surtout pour qu’une loi fédérale soit adoptée. Bien au contraire!


  1. 70 oui, aucune opposition, aucune abstention.
  2. La coalition féministe FemCo a organisé une journée de débat à Berne en novembre 1999 pour analyser et tirer les leçons de cette campagne.
  3. Par exemple: Pourquoi beaucoup de syndiqués hommes ont voté contre la loi fédérale lors du référendum? Pourquoi des féministes ont sous-estimé l’importance de l’enjeu de cette votation? Pourquoi la plupart des hommes des formations politiques de gauche, qui disent vouloir transformer radicalement la société, ne s’impliquent que marginalement dans les questions ayant trait à la reproduction, problème pourtant central dans une société?

Quelques précisions



La loi adoptée par le Grand Conseil genevois crée une assurance perte-de-gain pour les mères ayant une activité lucrative (ce qui veut dire pour les femmes salarié-e-s y compris si elles sont au chômage ainsi que pour les indépendantes). Elle consiste en un congé de 16 semaines après l’accouchement pendant lequel elles auront droit à 80% du salaire ou du gain assuré. L’adoption d’un enfant ouvre les mêmes droits qu’un accouchement. Pour bénéficier de cette assurance il faudra avoir travaillé dans le canton pendant trois mois au moins. Les caisses de compensation AVS se chargeront de la gestion et la cotisation sera de 0.4 % du salaire, 0.2% à la charge du patron et 0.2% à la charge des salarié-e-s. Les indépendant-e-s cotisent et ont droit aux prestations. Grâce à cette nouvelle assurance perte de gain, toutes les femmes ayant une activité rémunérée dans le canton de Genève toucheront au moins le 80% de leur revenu pendant les 16 semaines du congé maternité