L'étau - Aminata Traoré


«L’Etau»


Compte-rendu du livre de Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture du Mali, sur la détériorisation progressive de l’économie de son pays, soumise aux politiques d’ajustement structurel édictées par le Fond Monétaire International (FMI).

Annie Christeller

Dans «l’Etau1», Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture et du Tourisme du Mali, met en évidence les maux dont son pays est victime. A travers quelques repères historiques elle dénonce la détérioration progressive de la situation du Mali sous l’effet de l’endettement, depuis le premier régime post-colonial de Modibo Keita (1960-68), d’inspiration socialiste, jusqu’au régime militaire de Moussa Traoré (1968-91), puis démocratique de Oumar Konaré (1992-97). Si le premier a échoué, malgré un début de développement, c’est M.Traoré qui a initié la libéralisation de l’économie et l’endettement considérable: l’Agence de coopération américaine, La Banque Mondiale (BM), le Fond Monétaire International (FMI), la Caisse centrale de coopération française et des pays arabes devinrent des sources de financement. La dette a plus que doublé entre 1973 et 79. Sous l’égide du FMI, l’ajustement structurel a été imposé comme incontournable induisant la réduction de la masse salariale, le blocage des salaires, la restructuration des entreprises.

Des performances économiques


La population s’insurge en 91, incriminant le régime en proie à la corruption et à la gabegie. Oumar Konaré démocratiquement élu apparaît porteur de tous les espoirs. Le taux de croissance de 2% en 1992 s’élève à 6% en 1997. Pourtant, malgré ces performances macro-économiques, 72% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. La dévaluation du franc CFA en 94 aggrave la situation et jette le discrédit sur le régime. Aminata Traoré en conclut: «L’erreur politique commise au Mali et dans d’autres Etats africains(…) a consisté à ne pas questionner avec rigueur et perspicacité l’ordre ancien dans ses rapports avec le système économique mondial». Les «convulsions démocratiques» sont dues au fait que le peuple ignore le vrai visage des maîtres du jeu: BM, FMI, GATT(aujoud’hui OMC). S’ils ont plus ou moins respecté jusqu’en 80 les options économiques des pays emprunteurs, sous l’impulsion de Ronald Reagan, la dette est devenue une arme privilégiée pour forcer la libéralisation. Ces institutions se sont transformées en instruments douteux au service du G7 où les USA sont prépondérants. La mise en application des Plans d’ajustement structurel assure la stabilité macro-économique des pays endettés, permettant d’assurer le paiement du service de la dette, moyennant l’austérité fiscale, la dévaluation, la compression de l’emploi et la privatisation d’entreprises et sociétés de l’Etat.

Des mesures d’accompagnement

La même recette est valable pour tous les pays. Le Mali et quarante-huit pays africains paient et s’appauvrissent. Des mesures dites d’ «accompagnement» sont destinées «à corriger» les effets désastreux des réformes. Elles consistent en programmes «à haute intensité de main-d’œuvre», gérés par l’Association des agences africaines d’exécution de travaux à intérêt public, financés par la BM et diverses instances de coopération. Cette Association dépossède l’Etat de ses prérogatives. Le coût de ces réalisations, qui ne privilégient pas les intérêts vitaux, absorbe 72% de la dette entre 1993 et 94. Autre médication envisagée: un allègement qui rende «supportable» la dette des pays pauvres très endéttés. Cette initiative comporte des exigences encore plus contraignantes, imposant des programmes nouveaux à exécuter pendant 6 années consécutives et sans défaillance! Aminata Traoré souligne la gravité des conséquences économiques, sociales et politiques d’une telle situation: en dépit de la croissance du PIB, le Mali comme trente-un autres pays africains vit dans une précarité dont les femmes et les jeunes surtout, font les frais (mortalité infantile, malnutrition, analphabétisme des fillettes, chômage). PMU et casinos tendent à absorber une part des maigres revenus. Prostitution, alcoolisme, drogue sont les conséquences de la misère.

Faire confiance aux valeurs africaines

Politiquement, le rôle de l’Etat se limite au maintien de l’ordre et à l’obéissance aux lois du marché. Le concept de «bonne gouvernance» imposé par la BM (elle-même fort peu démocratique dans sa structure et son fonctionnement) est vidé de son contenu au profit d’un exécutif supranational, centralisateur, arbitraire et prédateur. Quels moyens dès lors de se soustraire à l’étau? Aminata Traoré, outre la remise d’une dette qui pour l’Afrique subsaharienne, ne représente que 1% de la dette mondiale, souhaite une vraie démocratie, judicieusement décentralisée, faisant confiance aux valeurs africaines (courage, solidarité, convivialité) et aux richesses géographiques et culturelles du Mali. Elle aspire à ce qu’il retrouve le Contrôle de son sol et de son sous-sol. Elle fait appel aux forces de regroupement de l’Afrique.


* Membre du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde

1 Publié chez ActesSud