Préparons l'après pétrole

Préparons l’après pétrole

La Constitution vaudoise
prévoit que «dans le but de préparer
l’avenir, l’Etat s’appuie sur un organe de
prospective». Député d’A gauche toute! (AGT),
Jean-Michel Dolivo a donc demandé, dans un postulat, que cet
organe engage le plus rapidement possible une réflexion sur les
conséquences, au niveau cantonal, du nécessaire
renoncement aux combustibles fossiles. Cela afin de réduire
à la fois la dépendance pétrolière et les
émissions de gaz à effet de serre, principalement le CO2.
Le rapport de cette instance portera en particulier sur les mesures
à envisager dans les domaines de l’aménagement du
territoire, des transports et du logement. Il comportera aussi un volet
sur le développement de la recherche en matière
d’énergies renouvelables. Voici les arguments soutenant
cette demande.

Intervenant devant le 2e Congrès suisse de
l’électricité en janvier 2008, le Commissaire
européen à l’énergie, Andris Piebalgs,
disait «nous ne pouvons rester prisonniers de notre vieux
système énergétique basé sur les
énergies fossiles.» Ce constat, nous le partageons.

Le développement du capitalisme ne se conçoit pas sans le
recours prioritaire et massif aux énergies fossiles (charbon,
puis pétrole et gaz). C’est fondamentalement ce qui a
déclenché, à partir de la moitié du
siècle passé, le dérèglement climatique que
nous connaissons. Dès 1996, le Groupe intergouvernemental
d’experts sur l’évolution du climat (GIEC)
expliquait que pour stabiliser la quantité de gaz carbonique
contenue dans l’atmosphère, il faudrait diviser par deux
les émissions humaines de CO2 sur la base de ce qu’elles
étaient en 1990. Cela uniquement pour ne pas augmenter
l’effet de serre supplémentaire.

Nous en sommes bien loin aujourd’hui, puisque les
émissions mondiales de CO2 entraînées par le
capitalisme ont crû entre 2000 et 2006 à un rythme annuel
de 3%! Ce qui emmènera l’humanité tout
entière dans une dynamique climatique au-dessus du
scénario le plus pessimiste imaginé par le GIEC.

Rappelons ici qu’au-delà d’un réchauffement
de la planète de plus de 2° par rapport à
l’ère pré-industrielle (1750 environ), nous entrons
dans une zone d’emballement climatique dite
«dangereuse» et que l’option pessimiste du GIEC la
place à une moyenne de 5,2°. Et les dernières
recherches en matière d’inertie thermique de
l’océan profond indiquent que même après la
disparition du surplus de CO2 ainsi produit, la planète
continuera longtemps à se réchauffer. On le voit, rompre
avec cette logique du recours accru aux combustibles fossiles est une
question à la fois de civilisation et d’urgence.

Vers le pic pétrolier

Il existe des raisons complémentaires à la crise
climatique pour chercher à sortir le plus rapidement possible de
ce fonctionnement à base d’énergies fossiles.
D’abord, il y a le cours du baril de pétrole qui, à
vue humaine, ne risque pas de descendre même si la
spéculation – après s’être retirée du
secteur immobilier, avec les dégâts que l’on sait –
le tire un peu vers le haut. Or le pétrole, sous une forme ou
sous une autre, est partout dans notre existence. C’est dire que
la vie chère est d’ores et déjà
planifiée pour des millions de salarié-e-s de ce pays.

Une autre raison enfin réside dans ce que l’on appelle le
«pic pétrolier», à savoir le moment où
la moitié des réserves pétrolières
étant atteinte, le débit de la production diminue face
à une demande mondiale toujours en hausse. L’Agence
internationale de l’énergie prévoit une crise
d’approvisionnement dans les cinq ans. Le président du
groupe pétrolier Total, Thierry Desmarets estime pour sa part
que ce pic se produira en 2020. L’ancien président du
groupe Shell, Lord Oxburgh prévoyant un pic un peu plus tardif,
avec un baril à 150 dollars, explique: «Nous allons tels
des somnambules vers un problème qui va se révéler
très grave, et il pourrait être trop tard pour faire quoi
que ce soit le jour où nous en prendrons pleinement
conscience.» (The Guardian, 3.10.2007).

Se basant non pas sur les réserves estimées -pour des
raisons politiques pour l’OPEP et financières pour les
majors du pétrole-, ces estimations sont jugées trop
hautes, mais sur des projections à partir de la production
actuelle, un groupe de scientifiques et d’experts, réunis
dans l’Association pour l’étude des pics de
production de pétrole et de gaz naturel (ASPO) estime pour sa
part que le moment du pic se situera en 2015 environ. Ajoutons que le
pétrole de la Mer du Nord a déjà
dépassé son pic et se trouve dans la phase dite de
déplétion.

Le président du Conseil d’Etat souhaitait que
l’organe de prospective traite de tendances lourdes et non de
manifestations fugaces. La question du pic pétrolier et de
l’accès aux réserves de pétrole est une
tendance suffisamment lourde pour entraîner la seconde guerre
d’Irak, les Etats-Unis étant alors à la recherche
des «cinquante millions de barils par jour
supplémentaires» qui dès 2010 feraient
défaut à leurs réserves, selon les
déclarations de Dick Cheney (ancien vice-président
étasunien, alors président de Halliburton) en 1999 devant
le London Institute of Petroleum…

L’étude prospective demandée devrait en particulier
concerner les domaines qui, dans notre pays, sont les plus producteurs
de gaz à effet de serre (selon le protocole de Kyoto et non pas
selon la Loi fédérale sur le CO2. Chiffres de
l’OFEV, révisés en 2007), à savoir les
transports (29,2% des émissions en 2005), les
«ménages» (en réalité les logements,
surtout: 22,3%) et l’industrie (21,5%).

Jean-Michel Dolivo