Armée XXI à Genève : de bien curieux centres pour la paix

Armée XXI à Genève:


De bien curieux centres pour la paix


On s’en souvient, Adolf Ogi, alors ministre de la défense, avait menacé de renoncer aux centres pour la paix qu’il projetait de créer à Genève si le canton acceptait l’initiative du GSsA «Genève, République de paix». Depuis, trois centres ont été créés, dans le cadre du Partenariat pour la Paix (PpP) de l’OTAN.

Sébastien L’haire

Rappelons que le PpP est un partenariat de l’OTAN dont les buts sont d’offrir une coopération entre les Etats, des échanges d’officiers, des exercices communs entre divers pays et de développer des outils de «contrôle démocratique» des armées. La Suisse y participe depuis 1996. Une petite visite sur les sites Internet de ces centres est édifiante.


Le Centre de politique de sécurité (GCSP)1 est une fondation internationale créée par la Suisse, en 1996 déjà. Divers pays européens en sont membres, ainsi que… le Canton de Genève. Son but est former des militaires, diplomates et fonctionnaires en matière de politique de sécurité, de faire avancer la recherche dans cette discipline et de fournir un réseau de contact entre experts. Parmi les partenaires de ce centre, on trouve le mouvement Pugwash (prix Nobel de la paix), l’Institut International de Recherche pour la Paix à Genève (GIPRI, une ONG), l’IUHEI, le CICR et divers instituts de recherche sur la paix à tendance pour le moins militariste. Les cours proposés traitent de la défense, de la prolifération des armes, du terrorisme, de la diplomatie, du commandement militaire etc. Le descriptif des cours considère comme menaces la prolifération des armes, le terrorisme international, les migrations etc., raisons que l’armée suisse cite abondamment pour justifier son existence.


Le président du Conseil de fondation est François Heisbourg, professeur à l’Institut d’Etudes politiques à Paris et accessoirement ancien directeur-général adjoint de Thomson CSF, marchand d’armes français bien connu. M. Heisbourg avait été pressenti comme directeur à l’Institut International des Hautes Etudes Internationales (IUHEI) de l’Université de Genève, mais sa nomination avait échoué. Aux côtés de ce marchand d’armes, on retrouve une pléthore de diplomates suisses, des militaires ou hauts fonctionnaires des ministères de la défense des pays membres, dont le chef d’Etat-major de l’armée suisse H.-U. Scherrer, et des universitaires, dont le Prof. Harding, de l’Institut de Médecine Légale (que vient-il faire là?), et le Prof. Jean F. Freymond de l’IUHEI.


Contrôle démocratique des forces armées


Le Centre pour le contrôle démocratique des forces armées2 a été créé en octobre 2000 et est en phase de mise en place. Il a pour but de promouvoir et faciliter les relations entre civils et militaires selon les principes démocratiques. Il vise notamment à aider et à consolider la transition à la démocratie des anciens pays du pacte de Varsovie. Plus de 10 ans après la chute des régimes staliniens, il était temps! Dans les concepts fondateurs du centre, on trouve un discours que le GSsA pourrait tenir, dans ses constats mais naturellement pas dans ses conclusions: les armées demeurent un acteur clé dans de nombreux pays, elles sont un Etat dans l’Etat, elles mobilisent des ressources trop importantes par rapport aux autres besoins, etc. Un contrôle démocratique est indispensable à la paix et au développement socio-économique. Le centre se propose de centraliser la recherche, les données et l’expertise, de développer de nouveaux processus et de porter de nouveaux projets dans le domaine. Les moyens proposés ont trait au développement de la société civile, à la consolidation des nouvelles structures démocratiques après les conflits.


Parmi les consultants de ce centre, on trouve Andreas Gross, Conseiller national socialiste zurichois, et accessoirement un des fondateurs du GSsA qui a depuis claqué la porte du mouvement. A ses côtés, le professeur Jean Ziegler, ancien conseiller national genevois bien connu. Dans le conseil international du centre, on retrouve Carl Bildt, ancien premier ministre suédois et envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU dans les Balkans, François Heisbourg, le directeur du GCSP, Chris Donnely, conseiller spécial de l’OTAN pour les affaires de l’Europe centrale et orientale, le prof. Kurt Spillmann du Centre d’études stratégiques de l’EPFZ, et, perdu parmi tout ce beau monde, Daniel Rotfeld, le diecteur du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), une ONG bien connue des pacifistes.


Le président du Conseil de fondation est l’ambassadeur Edouard Brunner, président de la commission fédérale de politique de sécurité. Le canton de Genève est représenté par les professeurs Jean Freymond et le radical Peter Tschopp. On retrouve là aussi une belle brochette de militaires, diplomates et hauts fonctionnaires dans le conseil de fondation.


Déminage


Enfin, le Centre international pour le déminage humanitaire3 a pour but la recherche, l’assistance opérationnelle et la contribution à la mise en œuvre du traité d’interdiction des mines. Les pays qui soutiennent le centre ne sont pas uniquement européens (Japon, Mexique, Afrique du Sud…), mais il n’y a que 18 pays contributeurs! A sa tête, l’ambassadeur helvétique Martin Dahinden. Le président du conseil de fondation est Cornelio Sommaruga, ancien président du CICR. On retrouve toujours beaucoup d’ambassadeurs helvétiques (toujours les mêmes) et étrangers. Les professeurs Freymond et Harding représentent une fois encore le canton de Genève. Parmi les représentants de la Suisse, on a la surprise de trouver le secrétaire général du Département de la Défense, Juan Gut. La fondation Pro Victimis et le service d’action contre les mines de l’ONU ont également un représentant. Ces trois centres servent avant tout à bon compte d’alibi à la politique suisse de sécurité. Comme on le voit dans le rapport sur Armée XXI mis en consultation, la Confédération veut participer de plain pied ou presque à la défense des intérêts des pays riches. Sous les discours lénifiants portés par ces instituts se cache une fausse politique de paix, qui occulte les vrais débats. Comment donner crédit à des instituts qui font la part belle à des hauts gradés, des représentants liés aux marchands d’armes, etc.? Une véritable politique de paix serait un contrôle accru, si ce n’est la suppression des ventes d’armes, la promotion des droits humains, la réduction des inégalités et ainsi de suite. Enfin, l’engagement du canton de Genève dans ces centres paraît pour le moins incongru. Même si la Genève internationale mérite d’être défendue, le canton n’a-t-il pas mieux à faire que de servir de caution à cette mascarade?



  1. http://www.gcsp.ch
  2. http://www.dcaf.ch
  3. http://www.gichd.ch