Italie: écoutons «l’Onde»… elle a beaucoup à nous apprendre

Italie: écoutons «l’Onde»… elle a beaucoup à nous apprendre

La mobilisation étudiante contre le démantèlement
de l’instruction publique continue sa progression en Italie. A la
grève générale du 30 octobre, qui a
rassemblé des millions de personnes, ont fait suites diverses
mobilisations, dont celles du 7 novembre, qui a réuni des
milliers de personnes à Rome comme à Milan. Le mouvement
prévoit de nouvelles actions en vue de la grève
générale du 14 novembre. En jeu: le retrait pur et simple
des lois 133 et 169. La première prévoit des coupes de
plus de 460 millions d’euros dans le budget des
universités et ouvre la voie à leur privatisation.
L’autre concerne l’ensemble de l’instruction publique
et vise la suppression de plus 100 mille postes de travail.

Qu’est-ce qui motive les centaines de milliers
d’étudiants, d’enseignants, de parents, femmes et
hommes, qui occupent la scène politique et médiatique
italienne? La victoire écrasante de Berlusconi en avril dernier,
le suicide de la gauche plus ou moins radicale n’illustraient-ils
pas une société passive, convaincue par les discours
racistes et sécuritaires des diverses droites et
lobotomisée par les reality shows? L’extraordinaire
mobilisation de ces dernières semaines démontre que la
réalité est bien plus complexe que ce que la grande
presse et les dirigeants politiques veulent bien en voir, aussi et
surtout à gauche. Ces premières semaines de mobilisation
ont apporté quelques éclaircissements et des indications
précieuses pour toutes celles et ceux qui entendent reconstruire
la crédibilité d’une gauche anticapitaliste au
cœur des mobilisations sociales.

En premier lieu, le consensus dont bénéficie la droite,
qui reste certes dangereux, s’appuie sur des bases fragiles. Il
s’agit d’une bulle spéculative qui peut
éclater à tout moment face à son incapacité
à répondre aux besoins réels d’une grande
partie de la population (travailleurs-euses, jeunes et
précaires). Le slogan du mouvement étudiant –
«nous ne payerons pas la crise» – saisit sur le vif
cette protestation sociale. Après 15 ans de politiques
libérales, de précarisation du travail, de
démantèlement des services publics, de destruction du
droit aux études, cette génération sait
qu’elle n’a rien à perdre et rien à attendre
du futur.

Cette radicalisation anti-systémique, vécue à un
niveau épidermique, parle également à des secteurs
de la population plus larges. Il parle déjà aux centaines
de milliers d’enseignant-e-s précaires qui voient se
fermer tout espoir d’une stabilisation. Il parle aux
chercheurs-euses pressurisés durant des décennies par des
«mandarins» et renvoyés du jour au lendemain. Il
parle également aux parents qui, au-delà du futur de
leurs enfants, voient saper chaque jour les certitudes du
présent […].

En second lieu, […] c’est précisément au
moment où la gauche est au point le plus mort qu’explose
un large mouvement social […] qui tente pour la première
fois de s’auto-organiser concrètement et de construire des
mécanismes réels d’auto-représentation.
[…]. La camisole de force qu’elle a toujours
imposée aux mouvements sociaux semble s’être
déchirée d’un coup; cette libération a
donné vie à une auto-organisation étudiante
inédite, en tout cas pour l’Italie. D’une certaine
manière, on est passé de l’anti-politique, qui
anime encore beaucoup de jeunes, à l’auto-politique
[…]. Il s’agit bien entendu d’une tendance.
[…] Les étudiant-e-s, qui inondent les rues,
s’auto-organisent, s’auto-représentent et veulent
gagner. C’est pour cela qu’ils-elles peuvent impliquer
d’autres secteurs sociaux, comme les syndicats, avant tout la
Cgil […]. «Je n’ai pas peur», voilà le
cri collectif des étudiant-e-s de toute l’Italie.
C’est le gouvernement qui a peur. […]

Nous ne savons pas combien de temps, cette mobilisation va durer et ce
qu’elle réussira à obtenir. Nous travaillons
à la faire gagner […]. Une irruption imprévue de
subjectivité a modifié de manière significative la
politique et la société italiennes  […]. Pour
ranimer un discours et une pratique anticapitalistes, l’apport de
ces étudiant-e-s peut être décisif. […].
Alors que le capitalisme toxique démontre l’ampleur de sa
crise, un mouvement affirme qu’il ne veut pas en être
victime […]. C’est un discours en phase avec la
nécessité du moment de résister. […]

Pour passer à l’offensive, il faudra aussi combiner une
réflexion sur l’unité avec les travailleurs-euses
et l’auto-organisation démocratique. Mais la
priorité du moment c’est que la participation
s’accroisse, que le mouvement s’élargisse et que les
occupations se multiplient pour en arriver à l’objectif
fondamental du retrait de ces lois.

Flavia d’Angeli*

* Version originale en italien sur le site www.sinistracritica.org. Traduction et coupes de notre rédaction.


Dérives liberticides d’une droite décomplexée

Après la militarisation des villes italiennes, les assauts de
néofascistes contre les  manifestant-e-s pacifiques de
Piazza Navona à Rome, les conseils du sénateur Francesco
Cossiga au chef de la police Antonio Manganelli ouvrent une nouvelle
brèche dans le vernis démocratique de la politique
italienne. Rapportés dans la Repubblica du 8 novembre 2008, les
propos de cet ancien président de la République
italienne, et Ministre de l’intérieur des années
1970, font froid dans le dos.

Cossiga propose une réponse policière particulière
aux mobilisations étudiantes qui ne cessent de prendre de
l’ampleur depuis plusieurs semaines: «l’idéal
serait, dit-il, que ces manifestations fassent au moins une
victime». En effet, soutient-il, «une politique efficace de
l’ordre public doit se baser sur un vaste consensus populaire, et
le consensus se fonde sur la peur, non envers les forces de police mais
envers les manifestants». La tactique qu’il
préconise vise ainsi à ce que «les forces de
l’ordre se retirent au moindre signe de violence
[…]» pour leur laisser libre cours; l’idéal
étant que les manifestant-e-s «tirent sur un passant, une
personne âgée, ou un enfant; il suffirait d’une
blessure légère, continue-t-il, même si ce serait
mieux qu’elle soit grave mais sans danger pour la victime».
L’objectif est de saper à la base la
crédibilité du mouvement et de faire croître la
«peur» au sein de la population et avec elle la haine des
manifestant-e-s et de ceux et celles qui y sont associés.

Sur la même lancée, mais dans un autre registre, la droite
de gouvernement annonce toute une série de nouvelles mesures
clairement racistes. Parmi celles qui ont été
d’ores et déjà acceptées par le
Sénat, le 5 novembre dernier, on relèvera: la
légalisation des «rondes citoyennes» (privatisation
des tâches de surveillance dans les quartiers), le fichage des
SDF, l’expulsion des étranger-e-s sur simple avis des
préfets, l’utilisation du référendum pour
décider de la construction ou de la localisation des camps de
nomades et des mosquées, un test linguistique pour obtenir le
permis de séjour ou encore le contrôle hygiénique
et sanitaire des habitations de celles et ceux qui entendent
s’établir en Italie.

On peut craindre que de telles mesures, dont la chambre des
député-e-s devra bientôt discuter, servent de
modèle pour nombres d’autres pays en Europe.
L’Italie montre aujourd’hui jusqu’où la droite
des pays «démocratiques» est prête à
aller, en période de crise, pour restreindre l’espace de
liberté dans lequel nous vivons. On aurait donc tort de croire
qu’il s’agit d’excentricités
péninsulaires…(sp)