Bilan de la Conférence d’examen de Durban

Genève verrait les furies se déchaîner. Soi-disant respectueuse de la laïcité, des femmes et de la mémoire de la Shoah, la digue occidentale allait-elle tenir ? Ahmanidejad annonçait sa venue. Le chœur des vertus réglait son ballet. Dans la posture de l’adversaire du racisme sioniste et de ses complices, le président iranien a suscité la colère occidentale.

Le président iranien a reproché aux vainqueurs des deux guerres mondiales d’avoir imposé le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il unit dans un même bloc puissances impérialistes et Union soviétique et travestit l’histoire de cette institution. Mais le constat est exact : le Conseil de sécurité « ne peut réaliser la justice ni la paix, car il légalise la discrimination et sa loi trouve son origine dans la coercition et la force plutôt que dans la justice et le droit.?»

Qu’a dit Ahmanidejad, faut-il s’y opposer et pourquoi ?

Deux versions anglaises existent de son discours prononcé en persan. Selon la Mission permanente d’Iran auprès de l’ONU, Ahmanidejad reproche aux grandes puissances et la question douteuse et ambiguë de l’holocauste. Elles ont envoyé des migrants d’Europe, des Etats-Unis et d’autres régions du monde pour établir un gouvernement totalement raciste dans la Palestine occupée et, en fait, en compensation des terribles conséquences du racisme en Europe, elles ont aidé la venue au pouvoir en Palestine des racistes les plus cruels et répressifs.?»

    Le site PressTV, pour sa part, diffuse une version qui ne comporte pas la phrase soulignée. Affirmer l’existence d’un doute à propos de la Shoah est indiscutablement négationniste.

    Prétendre que les nations dominant le Conseil de sécurité ont recouru à l’agression militaire pour réduire une nation entière au statut d’apatrides est faux. L’histoire mondiale a suivi un cours plus complexe entre 1945 et 2009. Si le discours décrit trop sommairement et de façon erronée l’histoire de l’humanité et du sionisme, sa description factuelle de la situation faite aux Palestiniens n’est pas inacceptable. Les indignations occidentales qui l’accablent illustrent leur appui à la politique israélienne.

    Si les observations d’Ahmanidejad sur la responsabilité des pays occidentaux dans la crise économique actuelle semblent justes, elles sont, sur le fond, marquées d’ethnocentrisme. Ce n’est pas leur caractère occidental qui a nourri la crise, mais le fait qu’ils règnent sur le capitalisme. Celui-ci existe aussi en Iran et n’est pas meilleur pour autant.

    Les gouvernements australien, canadien, étatsunien, européens, les médias dominants, des politiciens, des intellectuels n’ont pas ménagé leurs efforts pour dénoncer la menace qu’une définition non démocratique ou musulmane des droits humains ferait peser sur leur caractère universel. Ils n’ont pas tort. Les régimes qu’ils dominent respectent-ils ces droits et leur caractère universel ?

    Ne s’acharnent-ils pas contre les acquis culturels, politiques et sociaux de l’après Deuxième Guerre mondiale ? Ne menacent-ils pas la Déclaration universelle des droits humains et les Conventions de l’ONU et de ses agences ?

    De qui dépendra leur application, sinon de cette opinion publique internationale qui émerge aujourd’hui et qui apprend qu’elle ne devra compter sur le soutien d’aucun Etat, mais tous les mettre en question?(1). Voilà l’espoir qu’a exprimé à Genève la multitude d’organisations solidaires des droits des réfugiés, des migrants, des minorités dans leur combat contre le racisme et la discrimination.

    C’est dans cette perspective que doit être comprise l’importance de la Déclaration finale qui vient d’être adoptée à Genève. Référence commune, elle permet de renforcer dans chaque pays le combat contre le racisme.

Qu’apporte la déclaration finale pour lutter en Suisse contre le racisme ?
Comment évaluer cet apport ? Le bilan que le Département des affaires étrangères suisse (DFAE) a dressé de la Conférence, et la réponse du Conseil fédéral à Ueli Leuenberger qui l’interpellait après les recommandations formulées par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) en août 2008, révèlent les obstacles à surmonter.(2) 

Racisme. De quoi parle-t-on ?

Contrairement à la croyance qu’alimentent les autorités suisses, la xénophobie c’est du racisme et ce n’est pas un trait culturel identitaire. Il faut donc mettre en question la politique des autorités lorsqu’elles se demandent « si (…) une législation contre le racisme n’entame pas de manière excessive le droit des Suisses à la préservation de leur propre identité, respectivement à la délimitation par rapport aux étrangers »(3); lorsqu’elles élaborent l’idéologie qui refuse l’autorisation de séjour « aux ressortissants des pays qui n’ont pas les idées européennes (au sens large) ».(4)

    Les Etats partie à la Convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale sont tenus d’adopter une définition du racisme qui leur permette de le combattre.
    En août 2008, le CEDR a recommandé à la Suisse « d’adopter une définition claire et complète de la discrimination raciale, qu’elle soit directe ou indirecte, qui couvre tous les domaines du droit et de la vie publique et soit pleinement conforme à l’article premier de la Convention selon lequel l’expression discrimination raciale vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ».(5)

Est-ce vraiment important ?

Le droit suisse limite la lutte contre le racisme à l’application d’une norme pénale. Par définition, n’est raciste que ce qu’elle condamne. L’émotion scandalisée de l’opinion publique n’y fera rien. Au nom de la liberté d’opinion, la propagande islamophobe de l’UDC ne sera donc pas qualifiée de raciste et ne sera pas combattue comme telle par la classe politique et les autorités suisses. Elle pourra se développer d’autant plus impunément que les chambres viennent de décider de soumettre au vote l’initiative antiminarets.
    Le Conseil fédéral précise au président des Verts que la définition suisse satisfait aux exigences… que la Convention assigne au seul droit pénal. Effectivement, celui-ci n’a pas besoin d’une définition exhaustive de la discrimination raciale, mais la Convention attend de l’Etat partie plus que du droit pénal ! Ce tour de passe-passe peut être amusant chez le potache, il est odieux venant d’un gouvernement.

Le contenu de la déclaration finale sera-t-il diffusé ?

Les citoyennes et les citoyens sauront-ils que la Suisse s’est engagée à lutter contre l’antisémitisme, le racisme anti-arabe et l’islamophobie et à prendre des mesures efficaces pour empêcher la formation de mouvements fondés sur le racisme et des idées discriminatoires concernant les communautés en question ?
    La Suisse s’y refuse, nous venons de le voir. Il y a lieu de craindre que les autorités fédérales cantonales ou municipales concernées n’aient pas les moyens de cette information.

La cerise sur le gâteau

Le DFAE affirme que la Conférence d’examen de Durban donne un signal fort pour les victimes du racisme ainsi qu’un message sans équivoque de la communauté internationale en faveur de la lutte contre le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie. Mais que fait la Suisse ?

    La réponse du Conseil fédéral à Ueli Leuenberger évoque des campagnes de sensibilisation. Mais le DFAE ne dit mot des mesures concernant les victimes du racisme ni le sort des organisations qui se consacraient à la défense des victimes du racisme, qui est pourtant au cœur des Déclarations de Genève et de Durban.

    ACOR SOS Racisme a bénéficié durant douze ans de subventions destinées à la défense des victimes du racisme. Le 21 mars 2009, sur les ondes de la Radio suisse romande (!), le délégué genevois à l’intégration a affirmé que des raisons politiques ont conduit à leur retrait.(6)

Lutter contre le racisme, comment ?

Lutter contre le racisme suppose un mouvement qui s’engage contre toutes les formes du racisme, qui soit en mesure d’en protéger les victimes individuelles et collectives et de travailler à les organiser, qui milite pour le respect du droit international.

    Lutter contre le racisme, c’est s’engager en faveur d’une loi d’application de l’article 8, en faveur d’une véritable loi sur l’égalité et contre la discrimination.

    Lutter contre le racisme, c’est s’engager réellement contre l’initiative antiminarets qui divise les travailleurs et travailleuses selon la ligne de fracture du prétendu choc des civilisations.

    Lutter contre le racisme, c’est combattre le racisme d’Etat suisse dans sa construction historique comme dans ses formes actuelles que sont les lois sur les étrangers et sur l’asile.

Karl Grünberg
ACOR SOS Racisme

1    7 Avril 2009, Karl Grünberg, Le Courrier, « Se re-mobiliser contre le racisme ».
2    www.parlament.ch
3    L’interdiction pénale de discrimination raciale selon l’article 261bis CP et l’article 171c CPM. Document de travail de l’OFJ pour le hearing concernant la norme pénale sur le racisme, mai 2007, page 3.
4    Rapport du Conseil fédéral du 15 mai 1991 sur la politique à l’égard des étrangers et des réfugiés.
5    Observations finales du CERD. Suisse : http://www.humanrights.ch/fr/Accueil/index.html
6    Le 21 mars est la Journée mondiale contre le racisme


Réaffirme les termes de la Déclaration et du Programme d’action de Durban tels qu’ils ont été adoptés lors de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée en 2001;

2. Souligne la nécessité de s’attaquer avec davantage de fermeté et de volonté politique à toutes les formes et manifestations du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, dans tous les domaines de la vie et dans toutes les régions du monde, y compris toutes celles sous occupation étrangère;

6. Condamne la législation, les politiques et les pratiques fondées sur le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, qui sont incompatibles avec la démocratie et une gouvernance transparente et responsable;

25. Réaffirme que le Comité international pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale est le principal instrument international pour prévenir, combattre et éliminer le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée;

34. Prend note de l’interprétation par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de la définition de la notion de discrimination raciale figurant dans la Convention, de façon à couvrir les formes multiples ou aggravées de la discrimination;

39. Prie instamment les États parties à la Convention de retirer les réserves contraires à l’objet et au but de la Convention et d’envisager de retirer les autres réserves;