Répondre à une crise de civilisation

Répondre à une crise de civilisation

Le deuxième trimestre 2009 a été moins mauvais
pour l’économie mondiale que les deux
précédents. Il n’en a pas fallu plus pour que
nombre de commentateurs pronostiquent une reprise imminente.
Péremptoire, le Ministre vert des finances du canton de
Genève David Hiler déclarait ainsi récemment au
journal Le Courrier : « La reprise des
marchés financiers a débuté au mois de mars, et
l’hypothèse d’une reprise économique
graduelle se confirme ». Et pourtant, de toute
évidence, ce léger mieux ne peut nourrir aucune
illusion : le gros de la crise est devant nous.

    L’accalmie relative résulte de taux
d’intérêts extrêmement bas: 0,5% aux
Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Suisse, 1% dans la zone euro, soit 4
à 10 fois moins qu’il y a un an… Mais surtout, de
l’injection massive de crédits publics dans
l’économie. Le déficit budgétaire des
Etats-Unis devrait atteindre 13% du PIB pour 2009 (du jamais vu en
temps de paix). Selon la Banque des règlements internationaux,
les seuls plans de relance mis en œuvre à
l’échelle planétaire représentent
aujourd’hui 3500 milliards de dollars… D’autres
estimations parlent de 5000 milliards de dollars.

    Pourtant, la masse salariale continue à
diminuer (stagnation des salaires, montée du chômage
partiel et des licenciements), même si les revenus disponibles
sont provisoirement dopés par l’intervention massive des
pouvoirs publics. La « prime à la
casse » (jusqu’à 4500 dollars pour une
vieille voiture aux Etats-Unis) a ainsi relancé le marché
automobile. Par le biais du commerce international, ces mesures
favorisent les économies les plus compétitives, dont
celle de la Suisse (classée au premier rang mondial par le WEF).
Il est même possible qu’elles préviennent la
transformation de la récession en cours en véritable
dépression.

    Mais le maintien de dépenses publiques
à une telle hauteur ne peut pas durer. Et pour qu’une
reprise sérieuse se confirme, l’investissement et la
consommation doivent prendre le relais, ce qui semble exclu dans
l’immédiat. En effet, les ressorts de la phase
d’expansion précédente sont brisés,
notamment l’endettement des ménages américains et
les investissements asiatiques dans les secteurs d’exportations.
De façon plus générale, la consommation
n’est pas au rendez-vous, en raison de la montée du
chômage et du blocage des salaires. Ainsi, même si la
croissance chinoise ne s’effondre pas, elle le devra au
marché intérieur, ce qui ralentira d’autant les
exportations des pays industrialisés. La demande globale restera
donc en panne, déterminant une récession longue et une
reprise timide sur plusieurs années.

    Comment sortir de la crise ?
« Le but du développement durable, affirme David
Hiler, c’est d’avoir […] une croissance qui produit
moins de CO2 et qui utilise moins
d’énergie ». C’est le sens du Green
Deal que défendent de larges secteurs du capitalisme, avec ses
nouveaux champs d’investissement prometteurs, insuffisants et
potentiellement dangereux. C’est aussi l’alpha et
l’oméga des programmes des partis verts, qui ne prennent
pas en compte la gravité de la crise environnementale. Elle se
distingue en effet par les interventions de plus en plus brutales et
imprévisibles d’une nature trop longtemps malmenée,
ce qu’Isabelle Stengers appelle « l’intrusion
de Gaïa » (Au temps des catastrophes. Résister
à la barbarie qui vient, Paris, 2009).

    Plus concrètement, la survie de larges
secteurs de l’humanité est menacée, en particulier
dans les pays du tiers-monde, par la fréquence accrue et
l’aggravation des inondations et des sécheresses, qui
frappent des systèmes agricoles déjà
fragilisés du fait des politiques ultra-libérales de
l’OMC. Si bien que le Green Deal capitaliste s’accompagnera
de plus en plus d’une gestion militaro-policière des
crises, pour faire face à la détresse croissante des
populations sacrifiées aux catastrophes écologiques
à venir. La politique du gros bâton est d’ailleurs
aussi à l’agenda des pays riches : il n’est
qu’à songer aux dizaines de millions
d’exclu·e·s et
paupérisé·e·s, jeunes en particulier,
contre lesquels se préparent des conditions de répression
et d’internement expéditives, sur fond de montée du
racisme, de l’autoritarisme et des sentiments sécuritaires.

    Désormais la confrontation sociale et
politique du capital et du travail se complique, avec l’intrusion
bruyante d’un troisième acteur: la nature. Cette
dernière s’invite ainsi de plus en plus sur le terrain des
« luttes de classes » avec ses propres
exigences, auxquelles les deux forces sociales opposées doivent
donner des réponses immédiates. Les questions
environnementales ne sont dès lors plus le seul enjeu de la
transformation sociale à venir, mais celui du combat de tous les
jours pour la défense des conditions de vie, voire de survie, de
larges secteurs de l’humanité. La lutte pour le socialisme
du 21e siècle doit intégrer cette dimension, non
seulement comme projet de société, mais aussi comme
pratique quotidienne.

Jean Batou

Erratum :
l’éditorial de notre dernier numéro (153) a
été attribué par erreur à Jean Batou, alors
qu’il était de la plume de Pierre Vanek.