La crise de l’industrie automobile américaine

La crise de l’industrie automobile américaine



L’une des premières
interventions du président Obama fut de venir au secours de deux
géants de l’industrie automobile, General Motors et
Chrysler. Comme l’explique Dianne Feeley, c’est bien des
industriels et non des travailleurs et travailleuses qu’Obama
s’est préoccupé. Dianne Feeley, après avoir
travaillé plus de dix ans dans l’industrie automobile est
aujourd’hui retraitée ; elle collabore au réseau
d’information www.labornet.org.

Dans quelle situation se trouve l’industrie automobile ?

Durant trente ans, depuis que la crise de l’industrie automobile
a commencé, le syndicat des travailleurs et travailleuses de
l’automobile, l’UAW, n’a pas eu d’autre
stratégie que de répondre à cette crise par des
concessions. Elles n’ont pas sauvé un seul emploi. Il y a
trente ans, General Motors (GM) comptait encore 485 000
salarié·e·s ; en 2008, il n’y en avait plus
que 62 000 et jusqu’en 2011/2012, il ne devrait en rester
que 42 000. Autrement dit, 90 % des jobs ont
été éliminés, malgré ces concessions.
    Il y a de nombreuses raisons à cette
destruction des emplois : le renouvellement technologique,
l’externalisation des services, l’énorme croissance
de la pression au travail, la délocalisation de la production
dans des pays à bas salaires, afin d’exacerber la
concurrence parmi les salarié·e·s, par exemple
autour de la question : qui pourra construire le nouveau
modèle ? Dans les années 90, les sous-traitants
ont été vendus, tout en restant complètement
dépendante de GM, comme l’américain Axle, où
j’ai travaillé.
    Il y a 30 ans, après la première
grande crise économique, les constructeurs américains ont
adopté les méthodes des constructeurs japonais :
des groupes salariaux ont été mis en place, le travail a
été dévalorisé. Seuls les véhicules
les plus rentables devaient être produits aux Etats-Unis :
les camions, les véhicules utilitaires sport (SUV) et les
modèles de luxe. Chaque véhicule de ce type rapportait au
minimum 10 000 dollars de bénéfice.
    En même temps, les trusts étrangers ont
commencé à construire des usines aux EU :
c’était la partie dynamique de l’industrie
automobile dans le pays et elle ne cessa de croître. Le personnel
qui travaille dans ces usines n’est pas organisé
syndicalement. Il a été suffisamment bien payé
pour que les syndicats restent à la porte. Il reçoit
à peu près le même salaire que chez GM, mais sans
assurance des soins après la retraite. Chez Toyota, par exemple,
il n’y a pas de caisse de pensions d’entreprise et pas
d’assurance-maladie garantie par la firme après la
retraite. Pour cela, les salarié·e·s investissent
dans des actions ou des titres à revenu fixe et
l’entreprise y contribue un peu, comme sur un carnet
d’épargne. La moitié de la production automobile
aux USA est entre temps passée aux mains des trusts
étrangers.

Comment les salarié·e·s sont-ils payés aux Etats-Unis ?

Chez GM, les travailleuses et travailleurs reçoivent un salaire
de base, qui est indexé au coût de la vie, automatiquement
tous les trois mois. Les entreprises non syndiquées ou
d’origine étrangère ne connaissent pas cette
adaptation. Si les ventes ont bien marché, les
salarié·e·s reçoivent en plus une prime
annuelle. Après trente ans d’ancienneté, ils
peuvent partir à la retraite.
    En plus de ce salaire net, ils sont affiliés
à une assurance-maladie d’entreprise, qui couvre aussi la
famille. Il n’y a pas de caisse-­maladie légalement
obligatoire, sauf pour les personnes de plus de 65 ans (mais sans les
frais dentaires et ophtalmiques). En outre, les
salarié·e·s reçoivent, à leur
retraite, une pension de l’entreprise en plus de la retraite
légale (social security). La retraite légale est aussi
adaptée à l’augmentation du coût de la vie.
Moi, après 10 ans de travail chez Axle, je touche 1527 dollars
de retraite légale et 580 dollars de la caisse de pensions.
Comme j’ai plus de 65 ans, je bénéficie aussi
d’une aide publique pour les frais médicaux.
    Le salaire minimal n’est, lui, pas
adapté à l’inflation. Il représente
actuellement 8,25 dollars, mais ne concerne pas la restauration, les
travailleurs agricoles, les travailleurs à domicile, les
clandestins, etc. La revendication principale adressée à
Obama est d’augmenter les assurances sociales légales (les
rentes de vieillesse et la couverture maladie), afin que les
salarié·e·s ne dépendent plus des
prestations des entreprises.

Que signifie pour vous le sauvetage de l’industrie automobile ?

[…] Chez GM et chez Chrysler, la condition posée au
sauvetage par le gouvernement était que les salaires du
personnel soient ramenés au niveau des entreprises non
syndiquées. Cela signifie concrètement que pour les
anciens travailleurs rien ne change, mais que les nouveaux travailleurs
sont engagés avec un salaire d’embauche de 14 dollars
(auparavant : 26 dollars) de l’heure, que leur rente
d’entreprise est dégraissée et qu’ils ont
moins de vacances. Ford n’a pas demandé d’aide
publique, mais veut obtenir des concessions identiques de son personnel.

Comment se défendent les travailleuses et travailleurs ?

C’est très différent : chez Chrysler, ils
luttent contre les fermetures d’usines, il y a des manifestations
et des soutiens au niveau politique local. Mais la majorité ne
pense pas à occuper les entreprises […]
    Il y a des mouvements pour un salaire minimum, local
ou régional, tournant autour de 10 à 12 dollars (sans
assurance-maladie). Quelques villes l’ont déjà
adopté.
    L’opposition sociale avance des propositions
pour reconstruire la « Rustbelt » (la
ceinture de la rouille) autour de Detroit, Cleveland, Flint, etc., en
misant sur une production industrielle dans le domaine des transports
publics et des énergies alternatives. Mais les entreprises
n’en veulent pas et le gouvernement non plus.