Islam, homosexualité et racisme aux Pays-Bas

Islam, homosexualité et racisme aux Pays-Bas



Dans le numéro 161 de
« solidaritéS », Anne Marie
Barone nous invitait à réfléchir à la
possible instrumentalisation du féminisme à des fins
racistes. Qu’en est-il de la lutte contre
l’homophobie ?

La tolérance constitue, selon le philosophe et sociologue Slavoj
Zizek, un discours mystificateur qui masque ce qui est
réellement au cœur du combat social. Martin Luther King
n’a pas utilisé ce concept et pour cause ; la lutte contre
le racisme n’est pas une lutte pour la tolérance, mais
pour des droits sociaux, économiques, politiques et culturels ;
elle vise à renverser des relations de pouvoir injustes,
inégalitaires et antidémocratiques. Les féministes
luttent-­elles pour être tolérées par les
hommes ? Evidemment non ! […
]
    Fonder le combat sur la tolérance,
voilà précisément ce qui peut empêcher le
mouvement LGBT de se réinventer dans une période
où la diffusion globale du capitalisme néolibéral
et la montée de l’islamophobie sont en train de changer
radicalement la donne […].

Islamophobie et « tolérance »

Qu’est-ce qui ne va pas avec la tolérance ? Est-ce
que je préférerais l’intolérance ?
Non ! Mais en analysant ce concept, il apparaît clairement
qu’il s’accompagne, dans nos sociétés, de
formes virulentes d’intolérance et d’exclusion.

    Aux Pays Bas, le débat débute en 2001
avec l’intervention télévisée de
l’imam de Rotterdam El-­Moumni qui condamne
l’homosexualité comme une maladie menaçant la
reproduction, et par là la société dans son
ensemble : une vision patriarcale classique. Ce commentaire
soulève un tollé aux Pays Bas, parce qu’il vient de
l’« extérieur », du
culturellement « autre », et apparaît
comme une critique de la modernité laïque de la
société hollandaise. […]

    Le discours d’El-Moumni est décrit
comme « intolérant » et
diamétralement opposé aux valeurs hollandaises ; il est
vu comme symptomatique du manque d’intégration culturelle
de la communauté musulmane. […] Le conservateur Van der
List qui, en 1998, se disait dégoûté par
l’homosexualité, embrasse alors la cause de la
communauté homosexuelle hollandaise contre les terribles hordes
musulmanes […]. Dans, un sondage publié sur le site web
du plus grand magasine gay (Gay Krant) de tendance libérale,
populiste et conformiste, 91 % des personnes interrogées
approuvent l’idée que « les Musulmans doivent
accepter notre tolérance ou partir ». […].

« Dutch Pride » et exclusion

La tolérance de la droite nationaliste est un discours convenu ;
elle ne s’applique pas au quotidien et s’accompagne
d’une intolérance croissante envers les
musulman·ne·s, les immigré·e·s, les
marginaux·ales, les pauvres. […]

    Le discours hégémonique vise à
présenter l’émancipation des gays et des lesbiennes
comme pratiquement achevée – puisque les gays et les
lesbiennes sont
« tolérés » – et de
considérer la mauvaise intégration de la
communauté musulmane comme son seul véritable
problème. Cependant, la tolérance officielle qui
façonne la représentation que les Hollandais se font
d’eux·elles-mêmes n’est pas toujours conforme
aux faits. Selon des recherches récentes, confronté
à l’homosexualité publique – deux hommes qui
s’embrassent dans la rue par exemple – une large
frange de la population continue à éprouver un
dégoût, qui peut parfois conduire à la violence.

S’il est sans doute vrai que les jeunes Marocains sont
surreprésentés parmi les auteurs de violences homophobes
à Amsterdam, un tel comportement ne peut être
réduit à leur culture ou à leur religion.
Certaines recherches montrent que, c’est leur exclusion sociale
et leur marginalisation qui en est plus probablement la cause
[…].

Une politique sexuelle antiraciste ?

L’hétérosexualité continue à
être une norme évidente au sein de la famille, du
système éducatif, des médias et de la culture
populaire. L’homosexuel·le toléré correspond
très bien à cette
hétéro-normativité : il se conforme
largement aux normes sociales hétérosexuelles.

    Comme l’a écrit Steven Seidman,
l’accent mis sur la tolérance a normalisé
l’homosexualité. L’homosexuel·le moderne est
passé du statut de déviant exclu à celui de miroir
de l’hétérosexuel idéal. Dans un article de
2001 sur la normalisation, Seidman précise :
« La normalisation est rendue possible parce qu’elle
reproduit l’ordre dominant simultanément dans les domaines
du genre, de l’intimité, de l’économie et des
pratiques nationales »  […].

    Rien d’étonnant alors à ce que
nombre d’homosexuels, hommes et femmes, dépriment, que le
suicide demeure très élevé chez les jeunes gays et
lesbiennes, que les transgenres et les autres types de non
conformité aux normes du genre soient ridiculisés et
exclus, ou que la violence continue à menacer la
communauté LGBT […].

    La philosophe féministe Judith Butler a
souligné récemment la nécessité 
d’une politique sexuelle qui résiste à
l’islamophobie, au racisme et à
l’impérialisme et qui cherche des convergences entre
l’antiracisme et le combat LGBT. La tâche que doit se
donner un mouvement queer, critique et antiraciste est en effet de
concevoir et de développer les contours d’une politique
sexuelle au-delà de la tolérance, contre la
tolérance. […] 

    Il ne s’agit pas d’être pour
l’intolérance, mais de ré-imaginer les luttes
politiques afin que les causes structurelles d’exclusion, de
discrimination et de violence soient au centre de la lutte du mouvement
queer. La tolérance c’est de l’idéologie.
Nous ne nous battons pas pour être
toléré·e·s mais pour changer le monde
[…].


Paul Mepschen
Responsable de la revue et du site web anticapitaliste
« Grenzeloos » et membre du SAP (section
hollandaise de la 4e Internationale). La version complète
(beaucoup plus longue) de cet article est parue en anglais sur le site
internationalviewpoint.org. Traduction, titre, intertitres et coupures
de notre rédaction.