Contre la politique d’apartheid israélienne: boycott, désinvestissement, sanctions !

Contre la politique d’apartheid israélienne: boycott, désinvestissement, sanctions !

Alors que l’assaut meurtrier
mené par l’armée israélienne contre la
flottille internationale d’aide à Gaza provoque toujours
de nombreuses protestations, nous nous sommes entretenus avec Hazem
Jamjoum, responsable de la communication du Centre de documentation
pour les droits de résidence et des réfugiés
palestiniens BADIL, de Bethléem. Il s’agissait de tracer
à grands traits les contours de la campagne BDS, de plus en plus
active et internationale.




Cet entretien se tient un jour
après l’action de l’armée israélienne
contre la flottille pour Gaza ; l’appel à la
campagne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions
(BDS) dont nous allons parler souligne pour sa part son
caractère d’action non violente. Quelle est
l’importance de cet aspect ?

Hazem Jamjoun : La raison principale pour laquelle Israël
peut continuer à pratiquer ses exactions et son oppression du
peuple palestinien réside dans l’aide et le soutien que
lui apportent les Etats et les différentes institutions. Il ne
s’agit pas seulement de l’aide directe et
financière, mais aussi culturelle et diplomatique, comme lorsque
vous voyez les athlètes ou les orchestres israéliens
venir en Europe ; de même, des artistes internationaux
viennent régulièrement se produire sur les scènes
israéliennes et cautionnent ainsi cet Etat, contribuant à
lui donner un aspect « normal ». La campagne
BDS cherche à mettre en évidence le fait qu’il ne
s’agit pas du tout d’un Etat
« normal », mais bien d’un Etat
coupable du crime d’apartheid, sans oublier les crimes de guerre
et contre l’humanité commis régulièrement
contre les populations occupées. Ce que nous avons vu hier,
cette action menée contre la flottille et les activistes qui se
rendaient à Gaza, n’est qu’un exemple parmi tant
d’autres des exactions commises quotidiennement.

Quelles sont les origines de cette campagne BDS ?

Il y a deux grandes sources d’inspiration. La première est
celle de la campagne visant à isoler le régime
d’apartheid sud-africain. Il est du reste tout à fait
symptomatique que le soutien le plus immédiat et le plus massif
à la campagne BDS ait été apporté par la
société sud-africaine et plus particulièrement par
la confédération syndicale COSATU, qui peut
s’identifier directement à cette problématique. La
deuxième source est la société palestinienne
elle-même. En 2004-2005, la société civile
palestinienne et les mouvements associatifs se sont aperçus que
les soutiens étaient très éparpillés et ils
ont cherché un élément fédérateur,
unificateur, en particulier au niveau de l’analyse politique.
C’est toute la question des gens qui, lors de la deuxième
Intifida, commencée en 1999-2000, sympathisaient et soutenaient
la cause palestinienne sans s’impliquer dans tous ses aspects,
par exemple dans le dossier des réfugiés palestiniens.
Donc en 2002, la société civile palestinienne et ses
organisations ont lancé l’appel pour la campagne BDS pour
rassembler tous ces soutiens. Il s’agissait d’abord
d’indiquer un axe principal autour duquel se regrouper. Il est
composé des trois demandes, basées sur le droit
international :

1. Fin de l’occupation et démantèlement du mur ; 2. égalité complète des citoyen∙ne∙s palestiniens au sein d’Israël ; 3. Droit de retour des réfugié∙e∙s palestiniens.

Les citoyen∙ne∙s qui soutiennent cet appel viennent de tous les
horizons politiques ; l’appel est soutenu par tous les
partis politiques, toutes les organisations syndicales, toutes les
organisations de femmes, toutes les organisations de
réfugié∙e∙s et bien d’autres encore.

Au niveau international, quel est le soutien apporté par les organisations du mouvement ouvrier ?

Le soutien le plus important de la campagne BDS est venu des
organisations syndicales. L’écho le plus immédiat
après le lancement de l’appel est venu de la
confédération syndicale sud-africaine COSATU ; une
année après ce fut le tour du Syndicat canadien de la
fonction publique, puis de celui du Syndicat des travailleuses et des
travailleurs des postes du Canada et, il y a deux ans, des syndicats
des services publics d’Irlande du Nord, de la
Confédération syndicale irlandaise et de celle
d’Ecosse, ainsi que les syndicats britanniques. Ensemble, ces
organisations représentent plus de dix millions de membres. Les
actions les plus directes ont été menées par les
syndicats. Ainsi, juste après les massacres dans la bande de
Gaza, il y a dix-huit mois, les dockers sud-africains ont lancé
un boycott des bateaux israéliens en Afrique du Sud ;
ensuite, les dockers australiens ont relayé cette action. Hier,
le comité palestinien de la campagne BDS a lancé un appel
à tous les syndicats de dockers dans le monde pour qu’ils
boycottent les navires israéliens. [appel repris par les dockers
suédois, ndlr]

    Parallèlement, des autres canaux de
mobilisation existent dans les Eglises, les organisations
étudiantes, etc. A un autre niveau, nous venons
d’apprendre que les deux plus grandes chaînes de
supermarché italiennes, Coop et Nordiconad, ont
décidé de ne plus acheter de produits d’Agrexco, le
plus grand exportateur de produits agricoles israéliens. Les
organisations paysannes de France et d’Italie se mobilisent
contre l’arrivée des produits d’Agrexco sur le
marché, car ils proviennent des colonies israéliennes
dans les territoires occupés – qui sont
illégales – et sont vendus à prix
bradés, tout en cherchant à bénéficier des
avantages fiscaux octroyés aux produits israéliens par
l’Union européenne.

Si le boycott des produits commerciaux, à l’image de
celui qui avait été mené contre le régime
d’apartheid de l’Afrique du Sud, semble ne pas poser de
problèmes, le boycott culturel n’est-il pas plus
délicat, dans la mesure où l’on peut estimer que la
culture peut contribuer à développer une conscience
critique de la situation en Israël ?

D’abord, il faut souligner que le boycott universitaire et
culturel n’est pas un boycott individuel. Il ne s’agit pas
de boycotter un artiste parce qu’il est israélien ou de
boycotter un professeur pour la même raison. Il s’agit
d’un boycott institutionnel. Si nous boycottons un film, ce sera
parce qu’il a été financé par des moyens
financiers gouvernementaux. Le boycott a concerné par exemple
des festivals de films organisés directement par les ambassades
israéliennes, afin d’en faire une vitrine pour le
régime. Ou encore le Jerusalem Symphony Orchestra, qui est
pratiquement l’orchestre de l’armée
israélienne et dont nombre de ses musiciens sont des soldats. De
fait, nous centrons prioritairement notre campagne contre tout
l’aspect d’Etat « normal », sympa
et ouvert – ou encore gay friendly, ouvert aux
gays, quand il s’agit de s’adresser à la
communauté homosexuelle – que
développe Israël avec beaucoup d’énergie et de
moyens, cela depuis le massacre de Jénine en 2002. C’est
cette image-là que nous voulons briser. Les artistes ou les
cinéastes sont utilisés par l’Etat israélien
pour blanchir en quelque sorte son image. Nous luttons contre cette
campagne gouvernementale de « rebranding »,
un véritable procédé marketing, qui consiste
à vendre le même produit sous des identités
différentes. C’est un terme couramment utilisé par
les ambassadeurs ou les officiels.

Autre aspect de la campagne BDS, le volet
« D », pour désinvestissement. A-t-il
déjà obtenu des effets ?

Nous avons obtenu notre plus grand succès en Scandinavie; en
Norvège d’abord, où le fonds de pensions
norvégien, l’un des plus grands du monde, est
financé par les revenus du pétrole. Son comité
d’éthique a examiné son placement auprès
d’Elbit Systems, une compagnie privée d’armements et
de systèmes de surveillance, celui du Mur, par exemple, mais
aussi celui qui est installé à la frontière entre
les Etats-Unis et le Mexique. Le fonds de pensions a refusé de
continuer à investir dans une société qui
participait à des crimes de guerre.

    Rapidement après, les fonds de pensions
suédois ont fait de même, puis le fonds de pensions
américain des enseignants (CREF) les a suivis.Ils se sont
retirés d’Elbit, mais aussi d’une autre entreprise,
Africa-Israel (Afigroup). C’est une entreprise détenue par
le plus fortuné des Israéliens, Lev Leviev.
L’entreprise a construit sa richesse sur les diamants
sud-africains, puis s’est diversifiée ensuite, dans le
bâtiment et s’occupe actuellement de la gestion de
l’infrastructure des trois des plus grandes colonies
d’implantation dans les territoires occupés.

    Parmi elles, celles des zones de Ni’lin et
Bi’lin, ces deux villages qui se battent pacifiquement depuis des
années contre l’occupation de leurs terres et la
« barrière de sécurité ».

    Autre exemple, celui de Veolia et d’Alstom,
deux entreprises françaises, qui voulaient construire un tram
reliant Jérusalem-Est à Jérusalem-Ouest, une fois
que les expulsions des habitant∙e∙s palestiniens et la destruction de
leur habitation seraient menées à terme.
Développer des infrastructures là où un crime de
guerre se commet, c’est y participer, le bétonner en
quelque sorte.

    Dans ce cadre, un premier succès a
été celui de la banque néerlandaise ASN qui a
retiré son financement à ce projet de Veolia. Au niveau
des communes en Europe et en Australie, il y a eu des campagnes pour ne
plus renouveler les contrats les liant à Veolia ou Alstom. Des
succès ont été enregistrés à
Stockholm, Copenhague, Galway (Irlande) et dans une des provinces
australiennes. Ces entreprises ont perdu ainsi des milliards de dollars.

Quelle est la forme que peut prendre la lutte pour l’application de sanctions à Israël ?

Les sanctions sont l’objectif de campagne qui se situe le plus
à long terme. Dans la mesure ou des gouvernements ont
été partie prenante dans les décisions des fonds
de pensions norvégiens et suédois, ont peut dire
qu’il s’agit d’une forme de sanctions. L’autre
exemple est celui de l’accord de libre-échange entre
l’alliance latino-américaine du Mercosur et Israël,
que la campagne BDS avait réussi à bloquer. Mais il y a
quelques mois, lors de sa visite en Israël, le président
Lula a annoncé qu’il signerait cet accord. Or le
Brésil représentait le point fort de notre campagne; le
veto de ce pays bloquait l’accord, qui nécessitait le
soutien de tous les pays du Mercosur pour s’appliquer. Les
Israéliens ont bien travaillé sur ce dossier de plusieurs
milliards de dollars pour retourner le Brésil. Nous faisons face
à une machine bien huilée, qui opère
systématiquement.

    Il y a aussi l’accord entre l’Union
européenne et Israël, sur lequel nous travaillons. Mais
tous ces buts sont des buts à long terme. Il s’agit de
construire, à travers les organisations que nous avons
mentionnées, les syndicats, les Eglises, les mouvements
estudiantins, etc., une base solide, capable ensuite d’amener un
changement dans les politiques des Etats, puisque par
définition, les sanctions ne peuvent être prises que par
des Etats.

Est-ce que cette campagne BDS trouve un écho, un soutien en Israël même ?

D’abord, il y a eu en 2005 les organisations des Palestiniens
d’Israël. Le coordinateur le plus important de la campagne
dans ce pays, Ameer Makhoul, directeur général de
l’Union des associations civiles arabes (Ittijah) a
été arrêté récemment, accusé
de trahison par les autorités.

    Ensuite se sont jointes à la campagne des
organisations comme le Centre d’information alternatif (AIC)
à Jérusalem, la Coalition des femmes pour la paix, qui
anime un site très intéressant :
« Whoprofits.org », une base de
données sur les entreprises de l’industrie
israélienne de l’occupation des territoires palestiniens.
Toutes les personnes qui, en Israël, soutiennent la campagne BDS
se sont regroupées dans l’association Boycott from within
(le boycott de l’intérieur), petite, mais très
active.


Propos recueillis par Daniel Süri