La révolution mexicaine

La révolution mexicaine: cent ans après 1910-1920

1910-1920

Hier comme aujourd’hui, le peuple du Mexique se dresse contre le système économique en place et ses élites au pouvoir. Pour comprendre les forces et les faiblesses de ces mouvements populaires et conduire une analyse historique plus profonde,  il faut mettre à jour quelques unes de leurs caractéristiques. C’est pourquoi, nous allons comparer les deux périodes 1900-1910 et 2000-2010.

Par James D. Cockcroft

Cahier émancipationS du journal solidaritéS numéro 175

Version complète et illustrée à télécharger en cliquant sur le lien suivant : cahierS émancipationS

Il nous faut d’abord pointer deux traits essentiels de la révolution de 1900-1917. D’abord et avant tout, elle fut une confrontation explosive entre classes sociales, qui opposa les paysans et les ouvriers aux propriétaires fonciers et aux capitalistes. Ensuite, elle fut dominée par le sentiment national, c’est-à-dire par un défi aux intérêts économiques et politiques des puissances impérialistes, particulièrement à ceux des Etats-Unis, dont les investisseurs possédaient 14 à 20 % des terres.

La révolution interrompue

Quelles qu’aient pu être les divisons ethniques et de classe au sein du pays, lorsque les luttes révolutionnaires ont fait irruption, portées par leurs bases sociales, toutes les fractions de la bourgeoisie « modernisatrice » et de l’oligarchie « traditionnelle » sont tombées d’accord sur un point : la nécessité de défaire les paysans et les ouvriers, et d’empêcher à tout prix les classes inférieures de vaincre. Dans ce sens, il ne s’est pas agi d’une révolution sociale, mais d’une révolution politique seulement, et cette révolution politique a été moins aboutie qu’il ne l’a été généralement affirmé. Les luttes sociales ont continué avec leurs hauts et leurs bas jusqu’à ce jour.
    L’Etat capitaliste soi-disant « révolutionnaire », avec sa présidence forte, proclamée par la Constitution de 1917, a nécessité des années de combats internes et externes pour se consolider. Il y avait beaucoup de prétendants au pouvoir, mais presque tous ceux qui ont gagné étaient de grands champions d’une rhétorique révolutionnaire à des fins capitalistes. Le Président Lázaro Cárdenas (1934-1940) a parfois défendu un profond nationalisme, mais il n’a jamais eu l’intention de rompre avec le système capitaliste.

    D’autres présidents comme Carlos Salinas de Gortari (1988-1994) et ses successeurs ont été des serviteurs dociles du capital étranger – des criminels et des voleurs sur une large échelle – qui ont sacrifié la dignité nationale (dignidad, un concept d’une grande importance en Amérique latine, qui renvoie à l’amour-propre et à la fierté) sur l’autel de leur propre cupidité et des intérêts économiques et politiques du capitalisme néolibéral et de son protecteur, le formidable voisin du Nord.

Une nouvelle dictature ?

Dans les premières décennies du 21e siècle, le Mexique a connu des situations extrêmement similaires à celles de la première décennie du siècle précédent. Les analogies sont impressionnantes : crise économique, corruption et division des élites?; influence omniprésente du capital étranger, avec utilisation de la dette extérieure pour faire chanter le gouvernement?; défis de l’Eglise catholique?; élections frauduleuses, grèves ouvrières et attaques de guérilla?; nouveaux partis politiques et idéologies anticapitalistes?; massacres, tortures, emprisonnements et disparitions?; vagues de migrations intérieures et vers l’étranger?; combats internationaux pour les droits des travailleurs et les droits humains?; militarisation?; ascension sociale bloquée et souvent paupérisation des classes intermédiaires?; batailles défensives désespérées d’un mouvement ouvrier organisé, numériquement affaibli, et misère de masse accompagnée d’un recul relatif du sentiment de peur parmi les pauvres, femmes et hommes, voire parmi les classes moyennes, face à une répression policière et militaire brutale et permanente.

    Aujourd’hui, le sommet de ce système autoritaire n’est pas incarné par une personnalité comme Porfirio Díaz, mais par de petits groupes qui se partagent la présidence, toujours à la dévotion du grand capital étranger et national. Pour se maintenir au pouvoir, ils recourent à des procédures électorales manipulées et frauduleuses, à des campagnes de désinformation claironnées par les médias, au clientélisme, à la corruption et, par-dessus tout, à la violence croissante et terrifiante de l’armée, de la police, des paramilitaires, des narcotrafiquants, des politiciens et de leurs sbires, qui se partagent de plus en plus le pouvoir politique entre eux, quels que soient les conflits qui les opposent.

    Ils sont principalement issus du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) et du PAN (Parti d’action nationale), mais sont aussi d’anciens membres du PRI et du PAN qui forment désormais la majeure partie de la direction du PRD (Parti de la révolution démocratique). La plupart sont vénaux. Tous acceptent et servent le système néolibéral du capitalisme contemporain, ainsi que l’intégration économique avec les Etats-Unis à des conditions humiliantes, désastreuses pour la nation, et qui rappellent la situation qui prévalait durant le Porfiriat (le règne de 34 ans de Porfirio Díaz, 1876–1911).

Un volcan social

Le Mexique est une société militarisée, connue dans le monde entier pour sa violence contre les femmes, les jeunes, les enfants et les vieillards. Son économie est en chute libre, avec la distribution des revenus la plus inégale des Amériques, après Haïti. Au cours des 25 ans écoulés, son salaire minimum a été le plus faible de toute l’Amérique latine. Près d’un tiers de sa force de travail est inemployée ou occupée aux Etats-Unis, où résident plus de 41 millions de Mexicains et de leurs descendants. Quelque 12 millions d’entre eux sont sans statut légal et survivent dans des conditions toujours plus effrayantes.

    Aujourd’hui comme hier, soumis à de telles pressions, il n’est pas surprenant que le volcan social menace d’exploser. En 1910, l’économie mexicaine ne s’était pas encore remise de l’impact de la récession survenue trois ans auparavant. Parmi les paysans, les Indiens et les femmes, le dépit montait contre les violents sévices qu’ils enduraient, ainsi que contre la spoliation de leurs droits sur la terre et les communaux. Le prolétariat urbain était chaque jour plus préoccupé par ses salaires et ses conditions de travail de misère, par un taux de chômage et de sous-emploi croissant, dans une atmosphère de plus en plus marquée par la violence, le militarisme et le paramilitarisme, tout cela sous la menace d’une intervention des Etats-Unis. Des deux côtés de la frontière, des Mexicains en colère s’insurgeaient. N’est-ce pas la situation actuelle ?

    En réalité, au cours de ces dernières années, les Mexicains se sont rebellés de plus en plus contre leur situation économique désespérée, ainsi que contre la répression étatique?; ils ont protesté contre la présence continuelle de soldats, de paramilitaires et de policiers dans leurs villes et leurs quartiers d’habitation. Ils se sont organisés dans différentes régions avec un degré d’autodiscipline et de dignidad impressionnant. On citera la révolte de mai 2006 des habitants de San Salvador Atenco, à la périphérie de Mexico, qui a bloqué la construction d’un aéroport international?; la même année, le soulèvement non violent de la population de Oaxaca, à l’échelle de cet Etat, a donné naissance à la « commune autogérée », qui a électrifié le monde?; la création tout aussi exaltante de municipalités autonomes par les néo-zapatistes dans le Chiapas, qui ont survécu à l’encerclement militaire. Cette fois-ci, plus encore qu’aux temps de la lutte armée des magonistes (voir ci-dessous) et des zapatistes, les femmes ont participé en grand nombre à ces mobilisations en assumant des positions de direction.

    Les peuples du Mexique ont pris part à d’immenses manifestations de rue. En 2001, les peuples indigènes ont convergé à pied et en bus, des sentiers de leurs lointains villages aux grandes artères de Mexico, où ils ont animé la « Marche de la couleur de la terre ». Le 4 décembre 2009, pour commémorer le 95e anniversaire de l’entrée de Francisco « Pancho » Villa et d’Emiliano Zapata à Mexico, des syndicalistes indépendants, des enseignants et des étudiants ont organisé pacifiquement la « prise de Mexico ». Et qui peut oublier comment la population du Grand Mexico a tenu pendant trois mois une « assemblée populaire et une veillée » dans les principales rues du centre pour protester contre le coup d’Etat de 2006, qui a privé López Obrador de sa victoire populaire ?

Ricardo Flores Magón et le magonisme

Aujourd’hui, un nombre croissant de Mexicains invoquent l’art. 39 de la Constitution de 1917, qui investit le peuple de la souveraineté nationale, ainsi que du « droit inaliénable de changer ou de modifier la forme de son gouvernement ». De nombreuses voix parmi les mouvements populaires de résistance, y compris celle de López Obrador, appellent à la fondation d’une nouvelle république avec une pleine souveraineté nationale. Voilà ce que les révolutionnaires voulaient il y a un siècle, et qu’ils ont réalisé sur le papier, si ce n’est sur le terrain, en dépit de leurs divergences et de leurs défaites.

    Ricardo Flores Magón et ses deux frères Jesús et Enrique ont grandi aux côtés des Indiens à Oaxaca. Leurs parents avaient conservé des coutumes communautaires traditionnelles. Ainsi, les frères Flores Magón, à l’exception de Jesús, qui parvint à achever des études de droit, n’eurent jamais assez d’argent pour aller au terme d’une éducation formelle, si bien qu’ils finirent par accepter des petits boulots et devenir des révolutionnaires. Ricardo domine de très loin les deux autres en tant que leader, théoricien et praticien. Tous les trois ont développé leurs idées anarchistes et socialistes avant la fondation du Parti libéral mexicain (PLM).

    En 1905-1906, le PLM se réclame d’une idéologie révolutionnaire opposée à l’impérialisme et favorable aux travailleurs, aux paysans et aux éléments progressistes de la bourgeoisie et des classes intermédiaires. Des milliers de Mexicains se rassemblent derrière cette cause. Le 1er juillet 1906, il imprime un demi-million d’exemplaires de son programme, dans lequel il souligne l’importance des peuples indigènes et le besoin d’une réforme agraire radicale. Dans son fameux essai, Aux prolétaires, R. F. Magón déclare : les riches « jouissent de la liberté économique et c’est pourquoi ils sont les seuls à bénéficier de la liberté politique […] le Programme montre les mesures que le prolétariat mexicain doit prendre pour conquérir son indépendance économique ».

Parmi les immigrés

Les magonistes concentrent leur activité parmi les travailleurs, les paysans et les pauvres, non seulement au Mexique, mais aussi aux Etats-Unis, où ils subviennent eux-mêmes à leurs besoins en tant qu’ouvriers sous-payés. Ils organisent des milliers de mineurs et de paysans originaires du Mexique et d’autres nations, en particulier en Arizona. A los Angeles, comme dans les autres régions du Sud-Ouest et de l’Ouest, le terme huelga (grève) est prononcé avant son équivalent anglais strike.

    Des membres du PLM jouent un rôle important dans les luttes de la Western Federation of Miners (Fédération occidentale des mineurs) et de l’International Workers of the World (IWW). Lorsque l’IWW est au sommet de sa force, plus de la moitié de ses cotisations syndicales proviennent de travailleurs immigrés mexicains. La plus grande part des victimes du fameux massacre de Ludlow, dans les mines de John D. Rockefeller au Colorado (1914), sont des Mexicains, pour la plupart des femmes et des enfants.

    En réalité, nous avons beaucoup à apprendre des magonistes sur l’organisation des immigrés, des chômeurs, des pauvres et des couches surexploitées, et leur unification avec tous les groupes opprimés et les mouvements sociaux à l’échelle internationale pour mettre en marche une révolution anticapitaliste. Les idéaux anarchistes et socialistes du PLM – qui scissionne en 1908, en partie en raison de conflits idéologiques – influencent fortement les luttes ouvrières et les combats politiques des deux côtés de la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

    La mémoire historique est très vivante dans tout le Mexique : ainsi, durant leurs trois ans de grève, les 1200 mineurs de Cananea ont rappelé les affrontements de 1906 avec une immense fierté. Grâce aux livres et à l’histoire orale, leurs familles savent tout de la grève organisée par le PLM cette année-là, lorsque 275 volontaires US en armes, commandés par six rangers d’Arizona, occupèrent temporairement la ville, jusqu’à l’arrivée des Rurales. Il fallut 2000 soldats mexicains pour venir à bout de la grève. De 30 à 100 mineurs, de même que 6 Nord-Américains, trouvèrent la mort dans des combats qui firent aussi un grand nombre de blessés.

Tierra y libertad !

En 1906, dans les pages du journal du PLM, Regeneración, R. F. Magón définit le combat révolutionnaire comme un conflit entre le capital (« du travail accumulé ») et le travail. « Travailleurs, gardez à l’esprit, écrit-il, que vous êtes les seuls producteurs de richesses […] plus vous produisez, plus vous êtes pauvres et moins vous êtes libres, pour la simple raison que vous rendez vos patrons plus riches et plus libres, puisque la liberté politique ne profite qu’aux riches. […] La bourgeoisie tire profit de votre travail, de votre santé et de votre destin, à l’usine, aux champs, à l’atelier et à la mine. » La seule solution, conclut-il, c’est de prendre « des mains des nantis les richesses qu’ils nous ont volées » et d’exproprier « cette richesse au profit de tous, condition sans laquelle l’émancipation humaine ne peut pas être atteinte ».

    C’est ce que font les magonistes, lorsqu’ils prennent le contrôle de Tijuana et de Mexicali, et organisent « La Commune de Basse-Californie » en 1911. C’est ainsi que les zapatistes organiseront plus tard « La Commune de Morelos », en lançant le mot d’ordre de « Tierra y libertad », suggéré à Emiliano Zapata par José Guerra, un émissaire magoniste. Après sa rupture avec Madero, Zapata invite les magonistes à le rejoindre, si bien que nombre d’entre eux gagnent le Morelos.

    Dans leurs journaux et proclamations, les magonistes s’opposent au grand capital, à toute forme d’autoritarisme (pas seulement à l’Etat) et à l’Eglise catholique. Un manifeste du PLM du 23 septembre 1911 résume ainsi leurs positions : « Le Parti libéral mexicain a déployé le drapeau rouge sur le terrain de l’action contre le capital, l’autorité et l’Eglise au Mexique […] Tout ce qui sera produit sera envoyé au magasin général de la communauté, où chacun se servira selon ses besoins […] Le choix est simple : soit un nouveau gouvernement, c’est-à-dire un nouveau joug, soit l’expropriation salvatrice de la propriété privée et l’abolition de toute forme d’imposition, qu’elle soit religieuse, politique ou de quelque autre sorte. TERRE ET LIBERTE ! ».

Racines historiques du néo-zapatisme

La voix des magonistes a été largement entendue par les néo-zapatistes, dont le soulèvement armé du 1er janvier 1994 au Chiapas fait écho aux rébellions de près d’un siècle auparavant. Leur slogan est toujours « Terre et Liberté »?; leurs déclarations reprennent souvent les paroles de Ricardo Flores Magón?; ils défendent les peuples indigènes qui constituent leur base sociale avec la paysannerie. Parmi eux, les femmes agissent souvent comme leaders, porte-paroles et responsables militaires. Leur rejet des processus électoraux renvoie aussi au magonisme, de même que leur posture anticapitaliste et internationaliste. Dès les premiers jours du soulèvement, ils ont voulu aider à mettre un terme au « sac de la planète » par les forces du capitalisme néolibéral, contribuant à lancer, voire à héberger, de nombreuses rencontres du nouveau mouvement altermondialiste international.

    Ceci dit, ils n’utilisent pas les termes « socialisme » ou « anarchisme », même si certains de leurs militants appellent à « un nouvel État socialiste qui exproprie les capitalistes ». De plus, au cours des quinze dernières années, ils ont rejeté la lutte armée sur un mode presque « pacifiste », ce que les magonistes n’ont jamais fait. Comme leurs commandants l’ont déclaré durant les premières négociations de paix échouées de 1994 : « La guerre n’est pas une question d’armes […] mais de politique […] seule la bouche d’un canon ne peut pas obtenir la liberté […] d’autres bouches doivent s’ouvrir et crier pour faire trembler le puissant ».¹

    Aujourd’hui, il semble que des changements subtils se fassent jour dans les positions des zapatistes. Par exemple, pendant la première « grève politique nationale » (paro civil ou arrêt de travail) du 16 mars 2010, convoquée par le Syndicat mexicain des électriciens (SME) et ses alliés de l’Assemblée nationale populaire de résistance, ils ont participé à des activités de protestation locales avec les électriciens, les mineurs de Cananea et d’autres mouvements sociaux. Bien que le paro civil ait été limité à certaines régions du pays et réprimé, la présence des zapatistes a été le signe d’une évolution vers l’unité.

    En fait, tous les mouvements populaires d’aujourd’hui parlent de R. F. Magón. C’est le cas de la large coalition de syndicats de travailleurs, d’ONG progressistes et de membres des partis politiques qui ont préparé le « Congrès social pour une nouvelle Assemblée Constituante (réunion préparatoire) » à Querétaro, les 5-6 février 2010. Sa « Déclaration Politique au peuple du Mexique » dit notamment : « Les actions et les initiatives du nouveau soulèvement […] essaient de renouer avec le meilleur de notre histoire […][avec] les idéaux qui ont donné naissance à la Révolution […] afin de mettre un terme au cauchemar néolibéral qui corrompt le pays et de se débarrasser une bonne fois pour toutes du régime autoritaire des mafias qui nous gouverne pour le pire ».
    A l’occasion de cet événement, le Syndicat mexicain des électriciens (SME) déclarait : « Les objectifs de justice sociale exprimés dans le programme du Parti libéral de Ricardo Flores Magón et dans le Plan d’Ayala d’Emiliano Zapata […] ont été oubliés. Le Pacte social de 1917 qui a donné naissance à notre Constitution politique est pratiquement en lambeaux et nous souffrons maintenant d’un modèle économique et d’un régime politique qui perpétuent les aspects les plus cruels et les plus honteux du Porfiriat […] nous autres, les travailleurs, vivons de plus en plus comme à la fin du 19e siècle ».

Un internationalisme exemplaire

Depuis les tout premiers jours des clubs libéraux, en 1900-1901, les magonistes ont défendu dignement les intérêts de la nation. Ils n’ont cessé de protester contre l’interventionnisme US, qu’ils ont condamné à chaque occasion, de 1906 à 1920. En juin 1906, la grève de Cananea visait le racisme des propriétaires du géant du cuivre US Anaconda. Les travailleurs revendiquaient la journée de huit heures, un salaire minimum, l’élimination des pratiques d’embauche discriminatoires, ainsi que la promotion de Mexicains à certaines positions occupées par du personnel états-unien. Pourtant, un siècle après, c’est toujours l’impérialisme qui détermine le contexte des événements au Mexique, comme dans le reste de l’Indo América Latina Africana du 21e siècle.²

    L’internationalisme des magonistes est exemplaire. Ils ont été les premiers dans l’histoire de l’humanité à exprimer le besoin d’une révolution mondiale et à commencer à lutter pour elle dans leurs combats au Mexique et aux Etats-Unis. Dans la tradition du père Miguel Hidalgo y Costilla, de Simón Bolívar et de José Martí, l’art. 49 du programme du PLM appelle à « l’établissement de liens d’unité avec les pays latino-américains ». Les magonistes pensent toujours au-delà du Mexique, parce qu’ils luttent pour l’émancipation humaine.

    Aujourd’hui, lorsque les immigrés se mobilisent pour dénoncer leur traitement cruel et injuste aux Etats-Unis, comme ils l’ont fait le 21 mars et le 1er mai 2010, ils reçoivent le soutien public de nombreux autres travailleurs et sympathisants dans les deux pays. Une grande solidarité s’est fait jour aussi avec les millions d’immigrés mexicains et latinos descendus dans les rues de 150 villes, le 1er mai 2006 pour « Le grand boycott américain : Un jour sans immigrés », qui fut la plus grande manifestation de travailleurs de l’histoire des Etats-Unis.

    Les grèves et les occupations d’entreprises méritent aussi un soutien international. En décembre 2008, plus de 250 membres du syndicat des électriciens de Chicago (United Electrical Workers – UE) ont occupé la fabrique Republic Windows and Doors, obtenant la satisfaction de leurs revendications. La plupart de ses femmes et de ces hommes étaient des immigrés mexicains, y compris leur principal porte-parole. Ils ont inspiré des travailleurs et des immigrés de nombreux pays.

    Le premier triomphe du nouvel internationalisme dans le monde du travail s’est produit à El Salto, au Mexique. 700 travailleurs de l’usine high-tech de pneumatiques Hulera Euzkadi S.A. de C.V., soutenus par des syndicalistes et des militants d’autres pays, ont gagné une grève de trois ans contre l’une des plus grandes et des plus riches sociétés transnationales du monde, Continental Tire, basée en Allemagne. Maintenant, les travailleurs sont copropriétaires de leur usine, de concert avec des entreprises privées.

    Dans les dix premières années de ce nouveau siècle, on a relevé plus de mobilisations massives qu’auparavant en défense des droits des travailleurs et des droits humains, ainsi que d’une véritable démocratie. Et dans certaines parties du Mexique, « l’Autorité » a été remise en cause comme jamais depuis de nombreuses années. En même temps, la répression est plus forte, et aujourd’hui comme hier, le gouvernement des Etats-Unis se mêle de tout.

    Durant cette année du Centenaire, toutes les forces ou presque qui appellent à un changement du système politique et économique réexaminent la pensée magoniste, ainsi que les victoires et les défaites dont les révolutionnaires inspirés par différentes idéologies et pratiques ont fait l’expérience il y a cent ans. De nombreuses célébrations indépendantes ont lieu, aussi intelligentes qu’utiles, contrairement à celles de la « classe politique », qui se caractérisent par leur opportunisme et leurs mensonges. Bien sûr, il faut reconnaître que les cartels de la drogue et le niveau de la mondialisation capitaliste différencient la situation actuelle de celle du Porfiriat, mais elles présentent aussi de nombreuses analogies.

James D. Cockcroft*

*    Chercheur, professeur et militant révolutionnaire d’origine canadienne, auteur de 35 livres, spécialiste de l’Amérique latine et plus particulièrement du Mexique. Traduit et adapté par notre rédaction, avec la permission de l’éditeur, à partir du chapitre 1 du dernier ouvrage de James D. Cockcroft : Mexico’s Revolution, Then and Now, New York, Monthly Review Press, à paraître, octobre 2010.


1    Sous-commandant Marcos, Shadows of Tender Fury : The Letters and Comuniqués of Subcomandante Marcos and the Zapatista Army of National Liberation, New York, Monthly Review Press, 1995, cité dans Cockcroft, Mexico’s Hope…, p. 307.
2    Je préfère ce concept à celui d’Amérique latine, parce qu’il n’invisibilise pas les populations indigènes et africaines, mais je ne l’utilise généralement pas, parce que, comme l’observait une fois Carolos Montemayor, décédé en 2010 : « Au sens strict, il n’y a pas eu d’Indiens en Amérique. Il y a eu et il y a des peuples qui ont leurs propres noms » (La Jornada, 12 mars 2006). Les peuples africains avaient et ont encore leurs propres noms, tout comme les autres peuples d’Asie, d’Europe et du Moyen-Orient qui vivent en Amérique latine.