« Personne n’est autorisé à se comporter avec moi comme s’il me connaissait »

« Personne n’est autorisé à se
comporter avec moi comme s’il me connaissait »



Ce spectacle, présenté
du 8 au 24 octobre au théâtre de la Parfumerie à
Genève, met en scène l’écrivain Robert
Walser dans un moment déterminant de sa vie, à la veille
de son internement dans un asile psychiatrique, où il passera
ses vingt-quatre dernières années.

La pièce est située dans les années 1930, mais
elle s’intéresse avant tout au grand poète que fut
Robert Walser, à sa trajectoire sociale, son style si
particulier et sa pensée paradoxale, pour mettre en
lumière la complexité de ses rapports au monde.

    Pour présenter cette pièce qui a
obtenu le prix SSA 2007 pour l’écriture
théâtrale, attribué par la Société
Suisse des Auteurs, nous avons rencontré son auteur et metteur
en scène, Jean-Claude Blanc.

De quoi est-il question ?

Mêlant fiction et éléments autobiographiques, la
pièce part d’un événement
réel : la participation de Walser à une
soirée littéraire à Berne, organisée
à l’occasion de la foire aux oignons, et à laquelle
il s’était rendu à pied depuis Bienne. Le
schéma dramatique décrit un moment de non-retour, de
rupture, qui conduira l’écrivain à renoncer
à l’écriture. Dès le prologue, le
poète est symboliquement assassiné à travers une
confrontation entre les quatre personnages en présence :
Walser lui-même,  son hôte Oskar Gissinger,
commerçant et président de la société
littéraire, sa femme Hanna, ancienne amie de Walser, et Markus
Moser, un jeune écrivain, amant de Hanna, et
présenté comme rival du poète par Gissinger. Trois
hommes qui se disputent une femme. Personnages en crise : le
commerce de Gissinger est au bord de la faillite ; le poète en
manque de reconnaissance publique n’arrive plus à
écrire ; Hanna se révolte contre son destin de femme
bourgeoise. Le débat, qui porte sur l’opposition entre le
Commerce et l’Art, le bon et le mauvais Suisse, l’Amour et
la Poésie, tournera en catastrophe. Avant d’être
démissionné de la Société
littéraire, puis de la société tout court par son
internement dans un asile psychiatrique, Walser
s’écriera : « Personne n’est
autorisé à se comporter avec moi comme s’il me
connaissait ». Cette histoire, située dans les
années 30, pourrait tout aussi bien se passer aujourd’hui.
La non reconnaissance sociale des artistes et la révolte
féministe restent d’actualité, quant à la
situation de vaudeville, qui est de mon invention, elle traverse toutes
les époques.

Pourquoi Walser ?

Cette pièce se veut avant tout un hommage à la figure de
ce génial poète helvétique que fut Walser.
C’est une apologie explicite. Walser voulait être acteur,
il a lui-même écrit du théâtre, une version
de Blanche-Neige, Cendrillon, d’autres pièces courtes,
avant d’être interné à la Waldau
d’abord, puis à Herisau. La poésie n’est
souvent pas loin de la folie, c’est le destin de Hölderlin,
d’Artaud, de bien d’autres encore. Pour moi, c’est la
lecture d’une nouvelle d’un écrivain vivant en
Allemagne de l’Est, Hoffmann, qui a déclenché en
1985  mon envie de reprendre ce thème du poète non
pas maudit, mais non reconnu. J’ai alors écrit cette
pièce, longtemps restée au fond d’un tiroir.
Lorsque je l’ai retrouvée, j’ai relu d’autres
textes de Walser, j’ai repris des citations, j’ai
complété la version initiale, et la voilà mise en
scène. Il y a sans doute une part d’identification entre
cet homme qui prête attention à tout ce qui est
négligé ou méprisé, qui traverse le
possible, qui veut des choses impossibles, et moi-même. Ce
penseur marginal, qui va jusqu’à souhaiter jouir de sa
propre mort, me touche.

Outre cette trajectoire emblématique de l’artiste,
reconnu qu’après sa mort, retrouve-t-on dans
l’écriture de la pièce
l’étrangeté, les décalages, propres au style
de Walser ?

Walser prend la pose du naïf, mais c’est une pose :
il n’est pas un inculte génial, il connaissait très
bien la littérature. Avant d’écrire j’ai lu
et relu Walser, mais en traduction, j’ai aussi lu deux
thèses remarquables avec de nombreuses citations en allemand. En
cherchant à reproduire la langue de Walser, j’ai
créé une nouvelle langue, avec des néologismes et
une syntaxe singulière. Les gens qui m’ont donné le
prix de l’écriture théâtrale ont
apprécié cette invention d’un langage
« walsérien », cette langue aux
expressions violemment contradictoires, oxymoriques comme on dit
parfois aujourd’hui, cette langue du doute.

Qu’est-ce que Walser nous dit aujourd’hui ?

Dans tout ce qu’il écrit, Walser ne parle que de lui, tous
ses personnages, c’est lui. L’inadaptation à la
société, le désintérêt du statut
social donnent à ses textes une résonance actuelle,
notamment dans sa dimension anti-productiviste. La modernité de
Walser ? C’est sans doute son attention aux petites
choses, son aptitude à la lenteur, à la contemplation. Il
sait, à sa façon, jouir de la nature ; le fait de marcher
produit en lui un état d’extase, il en parle.
Personnellement, je me reconnais là-dedans, j’essaie de le
dire. On pourrait aussi tirer un parallèle avec la
décroissance ou évoquer son impuissance face à la
société, largement partagée
aujourd’hui… 

Propos recueillis par Marianne Ebel


Genève, du 8 au 24 octobre

« Personne n’est autorisé à se comporter avec moi comme s’il me connaissait »
Lundi, mardi, vendredi, samedi 20 h 30
jeudi 19 h, dimanche 17 h
Théâtre de la Parfumerie

7, ch. de la Gravière, 1227 Acacias-Genève

Rencontre autour de Robert Walser
samedis 16 et 23 octobre 17 h
Grand Café de la Parfumerie