Histoire

La deuxième décennie du 21e siècle: le monde à l'horizon 2020

Le monde à l’horizon 2020

Alors que la seconde décennie du 21e siècle commence, nous nous trouvons dans l’un de ces rares moments de l’histoire où d’importants tournants se font jour aux yeux de tous dans l’architecture du pouvoir. Si la première décennie du siècle a été le témoin de profonds changements, le monde de 2009 ressemble néanmoins beaucoup au monde de 1999 sur de nombreux points fondamentaux : pour n’en citer que trois, les Etats-Unis restent la première puissance militaire, le dollar est toujours la devise dominante et l’OTAN demeure la principale alliance militaire.

par Michael T. Klare

Cahier émancipationS du journal solidaritéS numéro 176. Version complète et illustrée à télécharger (3 pages pdf, 270 ko) en cliquant sur le lien suivant: cahiers émancipationS

En revanche, à la fin de cette décennie, notre monde aura probablement une apparence très différente. Des modifications essentielles des relations de pouvoir, notamment au sein de la garde de l’empire, qui se font jour depuis peu, vont encore se renforcer d’ici 2020: l’espace mondial sera de plus en plus dominé par de nouveaux acteurs, de nouvelles tendances, de nouveaux enjeux et de nouvelles institutions. Tout ceci est le propre de l’histoire (…).

Ce qui est moins habituel – l’inconnue de cette seconde décade et au-delà –, c’est l’intervention de la planète elle-même. Les retours de manivelle que nous ne considérons que sous l’angle politique auront aussi une dimension naturelle en 2020. La nature est sur le point de réagir d’une façon imprévisible, avec des effets qui s’annoncent déroutants et potentiellement dévastateurs.

Quelles seront donc les caractéristiques principales de la seconde décennie du 21e siècle ? […] En extrapolant les tendances actuelles, on peut discerner quatre aspects clés de cette seconde décennie: la montée en puissance de la Chine; le déclin (relatif ) des Etats-Unis; le rôle grandissant du Sud; et enfin, peut-être le plus préoccupant de ces aspects, l’impact croissant d’un environnement trop chahuté et la pénurie de ressources.

Commençons avec l’histoire humaine pour nous intéresser ensuite aux incertitudes futures de notre planète elle-même.

L’envol du dragon

La Chine est devenue une puissance mondiale de premier plan. La nouvelle force de ce pays est apparue de manière évidente, à l’occasion du sommet climatique de Copenhague, en décembre dernier, lorsqu’il s’est clairement avéré qu’aucun véritable progrès dans la lutte contre le réchauffement global ne pouvait être envisagé sans son accord. Sa prééminence croissante s’est aussi affirmée dans sa réponse à la grande récession: verser un paquet de milliards de dollars dans des projets de relance nationale, évitant ainsi un ralentissement important de son économie. Elle a aussi dépensé des dizaines de milliards de dollars pour l’achat de matières premières et de nouveaux investissements en Afrique, en Amérique latine et dans le Sud-est asiatique, contribuant à la reprise de ces régions.

Si la Chine est aujourd’hui un géant économique, elle deviendra une véritable locomotive en 2020. Selon une estimation du Département américain de l’énergie, son PIB va passer de 3300 milliards de dollars en 2010 à 7100 milliards en 2020, son économie dépassant alors toutes les autres, à l’exception des Etats-Unis. En fait, son PIB devrait alors excéder ceux de l’ensemble des nations africaines, sud-américaines et moyen-orientales cumulés. Au fil de cette décennie, la Chine devrait progresser régulièrement sur le plan technologique, fabriquant des produits plus sophistiqués, y compris dans les domaines de pointe de l’énergie verte et des systèmes de transport qui seront essentiels pour la future économie de l’après-carbone. Ces développements lui garantiront une emprise croissante sur les affaires internationales.

Elle mettra certainement à profit sa richesse croissante et ses prouesses technologiques pour augmenter sa puissance militaire. Selon l’Institut International de Recherche pour la Paix de Stockholm (SIPRI), elle est déjà le second pays en termes de dépenses militaires, même si les 85 milliards de dollars qu’elle a investis dans ce domaine en 2008 pâlissent au regard des 607 milliards dépensés par les Etats-Unis. De surcroît, son armée reste peu sophistiquée sur le plan technologique et son équipement ne rivalise pas avec celui, ultramoderne, des Américains, des Japonais et des Européens. Mais cet écart va se réduire de façon significative dans la seconde décennie du siècle (…)

Jusqu’à maintenant, les dirigeants chinois ont fait preuve de précaution dans l’usage de cette nouvelle force en évitant tout comportement de nature à attiser la peur ou la méfiance de ses voisins ou partenaires économiques. Au contraire, ils ont préféré recourir aux incitations économiques et au pouvoir soft – diplomatie vigoureuse, aide au développement et liens culturels – pour cultiver amitiés et alliances. Mais la Chine va-t-elle continuer à suivre une telle approche «harmonieuse», non menaçante, alors que les risques liés à une poursuite plus énergique de ses intérêts nationaux diminuent? Cela paraît peu probable.

C’est une Chine beaucoup plus affirmée – «arrogante» selon le Washington Post – qui s’est affichée de manière évidente dans les derniers mois de 2009, lors des rencontres au sommet des présidents Obama et Hu Jintao à Pékin et Copenhague. Dans ces deux cas, la partie chinoise n’a pas cherché une issue «harmonieuse»: à Pékin, elle a limité l’accès d’Obama aux médias et refusé de parler du Tibet ou de sanctions possibles contre l’Iran, son partenaire énergétique clé; au sommet de Copenhague, les Chinois ont envoyé des officiels de second rang pour négocier avec Obama, un signal assez clair, et poussé à un compromis qui dispense la Chine de toute restriction de ses émissions de carbone.

Les dirigeants chinois sont prêts à jouer un jeu plus dur, insistant pour faire avancer leurs revendications essentielles en ne reculant pratiquement sur aucun point, même d’importance secondaire. Ils se montreront d’autant plus enclins d’agir de la sorte, que le destin économique de nombreux pays est maintenant lié à la consommation et aux investissements chinois – rôle pivot que jouaient autrefois les Etats-Unis – et parce que sa taille et sa localisation lui confèrent une position de leader dans la région la plus dynamique de la planète. De plus, durant la première décennie du 21e siècle, les dirigeants chinois ont prouvé leur capacité à développer des liens étroits avec de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, petits et grands, qui vont jouer un rôle extrêmement important dans les domaines de l’énergie et au-delà.

A quoi la Chine va-t-elle consacrer sa puissance croissante ? Pour ses principaux leaders, trois objectifs paraissent essentiels: assurer la poursuite du monopole politique du Parti communiste chinois (PCC), maintenir la croissance économique rapide qui justifie cette domination et refonder la grandeur historique du pays. Ces trois buts sont en réalité intimement liés (…). Tout ce que fait Pékin, tant au plan intérieur qu’international, est fonction de ces objectifs. Tandis que le pays se renforce, il utilise ses nouveaux atouts pour modeler l’environnement mondial à son avantage, comme les Etats-Unis l’ont fait depuis longtemps. Dans le cas de la Chine, cela veut dire: ouvrir largement le marché mondial à ses produits et à ses investissements afin de permettre à ses entreprises de dévorer les ressources mondiales en réduisant le rôle du dollar comme monnaie de référence pour les échanges internationaux.

Une question reste sans réponse: la Chine va-t-elle commencer à jouer de ce muscle militaire de plus en plus puissant ? Sans doute, au moins de manière indirecte: en fournissant des armes et des conseillers à son réseau croissant d’alliés étrangers, elle va développer une présence militaire dans de nombreux endroits. Mon hypothèse est qu’elle va continuer à éviter tout usage de la force dans des situations pouvant conduire à une confrontation avec de grandes puissances occidentales, mais qu’elle n’hésitera pas à montrer les dents pour peser sur tout conflit d’intérêts impliquant des pays voisins. Une telle situation pourrait se produire, par exemple, dans le sud de la Mer de Chine, riche en énergies, ou en Asie Centrale, si l’un des pays de l’ancien Bloc soviétique devenait une terre d’asile pour les militants ouïgours qui mettent en cause le contrôle chinois de la province du Xinjiang.

L’aigle en phase d’atterrissage

L’ascension de la Chine est considérée comme acquise, de même que le déclin des Etats-Unis, qui souffrent des conséquences d’une mauvaise gestion économique et d’un empire trop étendu. Cette vision a été exposée dans Global Trends 2025, un document stratégique qui tente d’appréhender les prochaines décennies, préparé pour la nouvelle administration Obama par le National Intelligence Council (NIC), affilié à la CIA. «Bien que les Etats-Unis devraient probablement rester l’acteur le plus puissant [en 2025]», le NIC prévoit que leur «force relative (…), même dans le domaine militaire, déclinera, et que leur influence sera beaucoup plus restreinte».

Sauf catastrophe imprévue, les États-Unis ne devraient certainement pas se retrouver plus pauvres en 2020 ou subir un recul technologique. En réalité, selon les dernières projections du Département de l’énergie, le PIB des Etats-Unis devrait se monter approximativement à 17 500 milliards de dollars en 2020, soit un tiers de plus qu’aujourd’hui. De plus, certaines initiatives, prises d’ores et déjà par le président Obama pour stimuler le développement de systèmes énergétiques avancés, sont sur le point de porter leurs fruits, donnant peut-être aux Etats-Unis un avantage dans certaines technologies vertes. Il ne faut pas oublier non plus que les Etats-Unis vont demeurer la principale puissance militaire mondiale, laissant la Chine loin derrière eux, aucun adversaire n’étant en mesure de mobiliser des ressources suffisantes – même au niveau de la Chine – pour rivaliser avec eux.

Ce qui va changer dans la position des Etats-Unis envers la Chine et les autres pays, c’est sa capacité de dominer l’économie mondiale et de dicter l’agenda politique international. En 2005, toujours selon les projections du Département de l’énergie, le PIB US était de 12 400 milliards de dollars, dépassant ainsi celui cumulé des nations d’Asie (y compris la Chine, l’Inde et le Japon) et d’Amérique latine (Brésil compris). Mais en 2020, le PIB cumulé de ces pays sera de 40 % plus élevé que celui des Etats-Unis, et connaitra une croissance plus rapide. Washington sera alors profondément endetté envers des pays étrangers plus solvables, en particulier la Chine, compte tenu des fonds nécessaires au financement des déficits budgétaires chroniques qui résultent des guerres en Irak et en Afghanistan, du budget du Pentagone, des mesures de relance fédérales et de l’absorption des «actifs toxiques» des banques et des sociétés en danger.

Dans un monde où la compétition économique ne cesse de se durcir et où les avantages des entreprises américaines se réduisent, le sort des Etats-Uniens ordinaires ne peut que se péjorer. Certains secteurs de l’économie et certaines parties du pays vont sans doute continuer à prospérer, mais d’autres vont connaître sûrement le même destin que Détroit: éviction du circuit économique et appauvrissement général. En 2020, beaucoup, voire la plupart des Etats-Uniens, jouiront toujours d’un standard de vie largement supérieur à la majorité du reste du monde, mais les avantages et prérogatives que les classes moyennes dans leur majorité tenaient pour acquis, comme l’éducation supérieure, des soins médicaux relativement disponibles (et accessibles), des sorties au restaurant, des voyages à l’étranger, seront de plus en plus difficiles à obtenir.

Même la supériorité US en termes militaires s’érodera. Les coûts colossaux des désastreuses guerres en Irak et en Afghanistan limiteront la capacité du pays à lancer des missions importantes à l’étranger. Gardons à l’esprit que, dans la première décennie du 21e siècle, une part importante de l’équipement de combat essentiel de l’armée de terre et des Marines a été détruite ou endommagée dans ces guerres, tandis que les unités de combat ont été sérieusement ravagées par la répétition des périodes de service. Il faudra au moins une décennie de calme relatif pour réparer un tel dommage, ce qui est loin d’être en vue.

La sursollicitation de la puissance américaine a été récemment reconnue par le président Obama dans un cadre pour le moins inhabituel: son discours de West Point annonçant une augmentation de l’effectif des troupes en Afghanistan. Loin de constituer l’expression triomphante de la suprématie US, comme les discours du président Bush sur la guerre en Irak, il portait la marque implicite de son déclin. Faisant référence à la prétention démesurée de son prédécesseur, Obama affirmait: «Nous avons oublié de prendre en compte le lien entre notre sécurité nationale et notre économie. Dans le sillage de la crise économique, trop de nos voisins et amis sont sans travail et se battent pour payer leurs factures… Dans le même temps, la compétition au sein de l’économie mondiale est devenue plus féroce. Ainsi nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’ignorer le prix de ces guerres».

Beaucoup ont vu cette décision d’Obama comme typique de l’Amérique du 20e siècle, prête à intervenir dans le monde sans délai et n’importe où. Je la vois plutôt comme un effort de transition, afin d’éviter l’effondrement total d’une entreprise militaire mal conçue, à un moment où les Etats-Unis sont de plus en plus forcés de compter sur des moyens de persuasion extramilitaires et sur la coopération, même modeste, des pays alliés. Le président Obama précise: «Nous devrons être agiles et précis dans l’usage de la force militaire (…) Nous ne pouvons pas compter que sur la puissance militaire». Voilà le mantra de la planification stratégique qui va gouverner de plus en plus l’aigle américain en déclin.

La montée du Sud

La seconde décennie du siècle va marquer aussi l’importance croissante du Sud: les anciennes colonies et régions en voie de développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Il n’a joué jusqu’ici qu’un rôle marginal dans les affaires du monde, considéré comme un territoire ouvert, destiné à être envahi, pillé et dominé par les principales puissances d’Europe, d’Amérique du Nord et (pour un temps) du Japon. Dans une certaine mesure, le Sud, qu’on appelle aussi le tiersmonde, continue de jouer un rôle relativement marginal, mais ceci est en train de changer.

L’un de ses membres attitrés, la Chine, est devenue une superpuissance économique et l’Inde lui emboite le pas. Des Etats de seconde zone, comme le Brésil, l’Indonésie, l’Afrique du Sud et la Turquie, connaissent une croissance économique, et même les nations les plus petites et les moins développées commencent à attirer l’attention internationale comme fournisseuses de matières premières essentielles (…).

C’est partiellement une affaire de nombres – populations croissantes et richesses croissantes. En 2000, la population du Sud était estimée à 4,9 milliards; en 2020, elle devrait atteindre 6,4 milliards. Beaucoup de ses nouveaux habitants seront pauvres et sans droits, mais la plupart seront des travailleurs-euses (que ce soit dans l’économie formelle ou informelle), nombre d’entre eux participeront au processus politique d’une manière ou d’une autre. Que certains soient entrepreneurs, leaders syndicaux, enseignants, criminels ou militants, dans tous les cas, ils feront sentir leur présence.

Les nations du Sud vont aussi jouer un rôle économique de plus en plus important comme sources de matières premières, dans une période où la pénurie guette, mais aussi comme source de vitalité entrepreneuriale. Selon une estimation, le PIB combiné des différents pays du Sud (sans la Chine) va passer de 7,8 milliards de dollars en 2005 à 15,8 milliards en 2020, une augmentation de plus de 100 %. […] Prenez le pétrole : en 1990, 43 % de l’extraction quotidienne mondiale dépendait des membres de l’OPEP (principaux producteurs du Golfe Persique, Algérie, Angola, Equateur, Libye, Nigéria et Venezuela), d‘autres producteurs africains et sud-américains et des pays de la mer Caspienne; en 2020, leur part passera à 58 %. Un même déplacement de la production mondiale de minerais est à prévoir, qui verra des pays aussi inattendus que le Kazakhstan, la Mongolie, le Niger (l’un des principaux fournisseurs d’uranium) et la République Démocratique du Congo jouer des rôles cruciaux au niveau mondial.

Inévitablement, le Sud va aussi jouer un rôle décisif dans une série de développements potentiellement dévastateurs. Une pauvreté extrême persistante, des économies ravagées, des populations croissantes et un climat en dégradation constante, ne peuvent conduire qu’à l’instabilité politique, à des soulèvements, à l’extrémisme religieux, à une augmentation de la criminalité, à des migrations massives et à une augmentation de la morbidité. Le Nord cherchera à se protéger de ces troubles en érigeant des barrières de toutes sortes, mais par leur seul nombre, les habitant-e-s du Sud feront sentir leur présence d’une façon ou d’une autre.

La planète contre-attaque

Tout ceci pourrait conduire simplement à une relève de la garde impériale de la Planète, si celle-ci n’était pas plus profondément transformé que chacune des puissances ou groupes de puissances qui la partagent, quelle que soit leur force. Les effets de plus en plus tangibles du réchauffement climatique, de la rareté des ressources et de la pénurie des aliments ne pourront plus être négligés d’ici la fin de la deuxième décennie de ce siècle; et si ce n’est pas le cas d’ici 2020, ce le sera dans les décennies à venir. Ces évolutions relativiseront le rôle des puissances économiques et militaires, quelles qu’elles soient.

«Il y a peu de doute sur les tendances essentielles», a affirmé le professeur Ole Danbolt Mjøs, président du comité Nobel, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix à Al Gore et au GIEC (Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat). «Un nombre croissant de scientifiques s’accordent à penser que le réchauffement climatique va avoir des conséquences dramatiques». De même, un nombre croissant d’experts en énergie sont arrivés à la conclusion que la production globale de pétrole conventionnel va bientôt atteindre un pic (si ce n’est pas déjà le cas), puis décliner, provoquant une pénurie énergétique mondiale. Dans le même temps, la crainte de crises alimentaires futures, provoquées en partie par le réchauffement climatique et le prix élevé des énergies, se répand de plus en plus.

Tout ceci était évident lorsque les dirigeants du monde se sont retrouvés à Copenhague et ont échoué à mettre en place un système international efficace pour réduire la production de gaz à effet de serre. Bien qu’ils aient décidé de continuer à se concerter pour fixer des normes non contraignantes afin de réduire les émissions, les observateurs estiment que ces efforts ne déboucheront pas sur des progrès significatifs du contrôle du réchauffement climatique dans le futur proche. Il est donc très probable que le rythme de ces changements s’accélère dangereusement dans la seconde décennie de ce siècle, que le pétrole conventionnel (liquide) et d’autres ressources clés deviennent de plus en plus rares et difficiles à extraire, et que l’approvisionnement en nourriture diminue dans de nombreuses régions pauvres et écologiquement vulnérables.

Les scientifiques ne sont pas d’accord sur la nature exacte, le calendrier et l’impact géographique des effets du changement climatique, mais ils sont généralement d’avis que plus nous avancerons dans ce siècle, plus la densité de la couche de gaz à effet de serre croîtra de façon exponentielle dans l’atmosphère (…) Les données du Département de l’énergie indiquent, par exemple, qu’entre 1990 et 2005, les émissions mondiales de dioxyde de carbone ont augmenté de 32 %, passant de 21,5 à 31,0 milliards de tonnes. Or, il faut au moins 50 ans pour que les émissions de gaz à effet de serre produisent leur effet, ce qui signifie que leur incidence va augmenter même si, ce qui paraît fort peu probable, les nations commencent rapidement à réduire leurs émissions.

En d’autres termes, les manifestations initiales du réchauffement climatique de la première décennie de ce siècle (aggravation des ouragans et typhons, pluies torrentielles suivies, selon les zones, de graves inondations ou de sécheresses extrêmes, fonte des calottes glacières et montée du niveau des mers) vont s’intensifier. Comme le suggérait le rapport du GIEC (2007), la désertification risque de toucher de vastes zones d’Asie Centrale et du Nord-Est, du Mexique, du Sud-Ouest américain et du bassin méditerranéen. Des parties significatives de l’Afrique sont menacées de dévastation par la hausse des températures et la réduction des pluies. Un nombre croissant de villes risque de subir le type d’inondation et de destruction que la Nouvelle Orléans a connu en 2005, à la suite de l’ouragan Katrina. Et les étés caniculaires, ainsi que des précipitations rares, voire négligeables, vont limiter les rendements agricoles dans les principales régions productrices de denrées alimentaires.

Il y aura des progrès visibles dans le développement de systèmes d’énergie renouvelable, éoliens, solaires et fondés sur les biocarburants. Malgré les larges sommes qui y sont déjà consacrées, ils ne fourniront qu’une part relativement faible de l’énergie mondiale en 2020. Selon les projections du Département de l’énergie, les énergies renouvelables ne couvriront alors que 10,5 % des besoins mondiaux, alors que le pétrole et les fluides assimilés en fourniront encore 32,6 %, le charbon 27,1 % et le gaz naturel 23,8 %. Autrement dit, la production de gaz à effet de serre va croître – cela ne devrait pourtant pas être le cas en raison de la chute prévue des ressources pétrolières qui annonce une autre forme de catastrophe, puisqu’elle favorise la hausse des prix de toutes les sources d’énergie et met en danger la stabilité économique. La plupart des experts industriels, y compris ceux de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) à Paris, pensent qu’il sera pratiquement impossible de continuer à augmenter l’extraction de pétrole conventionnel et non conventionnel (même dans l’Arctique et les schistes bitumineux du Canada) sans de nouveaux et improbables financements de milliers de milliards de dollars, dont la plus grande part devrait être investie dans des zones déchirées par la guerre, des régions instables comme l’Irak ou des Etats corrompus et peu fiables comme la Russie.

Dans le dernier film culte, Avatar, la luxuriante lune Pandora, au riche sous-sol, subit l’assaut d’envahisseurs humains cherchant à extraire un minerai d’une valeur inestimable nommé unobtainium. Mais s’opposent à eux, non seulement cette espèce humanoïde appelée Na’vi, fortement inspirée des Amérindiens et des habitant·e·s de la jungle amazonienne, mais aussi la flore et la faune de Pandora. Même si notre planète ne possède pas de telles aptitudes, il est clair que les dommages environnementaux causés par les humains depuis le début de la révolution industrielle vont provoquer une contre-attaque de la nature de plus en plus forte dans les prochaines décennies.

Voici donc les quatre tendances qui devraient s’imposer au cours de la seconde décennie de ce siècle. Peut-être que d’autres éléments vont s’avérer en fin de compte plus significatifs, ou que certains événements catastrophiques vont modifier le paysage mondial, mais pour l’instant, attendez-vous à ce que l’envol du dragon, le déclin de l’aigle, la montée du Sud et la contre-attaque de la Planète l’emportent sur tous les autres.

Michael T. Klare*

* Michael T. Klare, politologue, spécialiste en relations internationales, professeur au Hampshire College, Amherst (Mass.). Il est l’auteur de Rising Powers, Shrinking Planet: The New Geopolitics of Energy, Owl Books. Un documentaire sur son livre précédent, Blood and Oil, est visible sur le site de Media Education Foundation (Bloodandoilmovie.com). Cet article a été publié sur www.tomdispatch.com. Traduction de Pierre Raboud. Intertitres de notre rédaction.