Sécurité sociale: recapitalisation des caisses publiques: une loi imbécile

Sécurité sociale: recapitalisation des caisses publiques: une loi imbécile

En 2003, le député au Conseil national libéral
Serge Beck dépose une initiative parlementaire pour supprimer un
article de la loi sur la prévoyance professionnelle. Cet article
permet aux caisses des corporations de droit public de déroger
à la capitalisation intégrale, donc d’avoir un
système mixte capitalisation-répartition, vu la
pérennité de ces corporations : un canton ne va en
effet pas tomber en faillite et « fermer » en
licenciant son personnel.

    Dans ses arguments, le député
libéral avance des thèses pour le moins
révélatrices :

  • Tout ce qui n’est pas financé par capitalisation
    dans la prévoyance vieillesse est financé
    « à crédit », ainsi l’AVS
    est financée « à
    crédit », et donc on ne connaît pas les
    coûts réels ! Le mot
    « répartition » est absent de son
    commentaire.
  • Les prestations des caisses publiques ne sont ainsi pas
    financées. On pourrait donc dire la même chose des
    prestations AVS.
  • Finalement le libéral ne se cache plus : la non
    capitalisation des caisses publiques est un obstacle à la
    privatisation, avec l’exemple des PTT, des CFF et d’autres.

 
  Indépendamment de ces arguments douteux, il y a une
vision très néolibérale de ce que doit être
une prévoyance vieillesse : uniquement garantie par un
capital, ce qui tend à éliminer la primauté des
prestations au profit de celle des cotisations. Chacun accumule son
« bas de laine », la solidarité est
renvoyée au vestiaire et les risques sont assumés par les
travail­leurs·euses. Dans cette vision, un système
mixte est un mauvais exemple, il doit être éliminé.

100 ou 43 milliards gaspillés ?

Cette recapitalisation a un coût, évalué de
l’ordre de 100 milliards. Le problème, à part
l’intérêt des banques à gérer ces
milliards, c’est qu’en 2003 la pratique et la
législation imposent aux employeurs d’assumer ce
coût. Même Serge Beck le reconnaît :
« La mise en vigueur de cette modification légale
nécessite des mesures transitoires de manière à ne
pas obérer davantage les finances des employeurs publics par
l’exigence du versement immédiat du montant du
découvert technique de chaque caisse.» indique-t-il dans
sa présentation. Il dit bien qu’on pourrait faire passer
les travailleurs·euses à la caisse, mais ce conditionnel
est révélateur.

    Initialement, en 2004, la Commission de la
sécurité sociale et de la santé publique du
Conseil national propose, par 13 contre 11, de ne pas entrer en
matière. Elle est désavouée en 2005 par le Conseil
national (91 contre 75). Le Conseil fédéral met en place
en 2007 une procédure de consultation sur une recapitalisation
totale des caisses publiques dans un délai de 30 ans, sans tenir
compte de la proposition d’une commission d’experts qui
vise à recapitaliser tout en maintenant une certaine
mixité. Finalement il présente en 2008 un projet de loi
portant à 40 ans cette recapitalisation complète. Le
Conseil des Etats, puis le National, modifient ce projet avec une
capitalisation minimale de 80 %. C’est ce projet, avec des
objectifs intermédiaires (60 % en 2020 et 75 % en
2030) qui va être voté par les chambres
fédérales en décembre.

    Il faut rajouter à ce 80 % une
« réserve de fluctuation de valeur »
de 15 %, on arrive ainsi à un minimum de
95 % ! Cette réserve a été
introduite par des normes comptables, donc excluant toute
possibilité de contrôle démocratique. Comme elle
augmente la capitalisation nécessaire, elle diminue ou
généralement supprime ce que l’on appelle les fonds
libres, et ces fonds libres sont la condition qui permet, pour de
nombreuses caisses du privé et du public, de payer une
indexation aux retraité·e·s.

    Le coût de cette recapitalisation à
80 % imposé par les Chambres fédérales est
évalué à 43 milliards, dépense totalement
inutile qui ne donne aucune garantie supplémentaire pour les
as­su­ré·e·s des caisses publiques, au
contraire. L’exemple du canton de Berne est parlant : deux
caisses publiques de ce canton ont été
recapitalisées en 1999, l’Etat versant 1,38 milliard pour
pouvoir supprimer sa garantie, et donc le système mixte. Suite
aux baisses boursières du début des années 2000,
le canton a dû redonner sa garantie à l’une de ces
caisses !

La croyance en la seule garantie du capital est une
absurdité : en système capitaliste, le maintien de
salarié·e·s actifs·ves, à la base du
financement par répartition, est nettement plus probable que la
stabilité des revenus boursiers.

Aux salarié·e·s de payer

Tant que le financement d’une recapitalisation devait être
assumé par l’Etat employeur, on pouvait penser que
c’était de l’argent stupidement
dépensé, aux dépens des contribuables, mais cela
ne menaçait en principe pas directement les prestations des
assuré·e·s. En pratique, cependant, cette
recapitalisation des caisses publiques a souvent permis un passage
à la primauté des cotisations, ce qui est bien une menace
sur les prestations, ou a été accompagnée par une
baisse de ces prestations.

    Mais depuis 2008 la situation est pire, suite
à un jugement du Tribunal fédéral. Celui-ci, en
réponse à un recours des fonctionnaires valaisans, a
statué que « les règlements d’institutions de
droit public peuvent être modifiés
unilatéralement » et que « Cette
conception, (l’employeur doit payer en cas de recapitalisation)
développée dans le cadre de l’assainissement des
caisses de pensions de la Confédération et de ses
entreprises, ne saurait être posée comme principe de droit
constitutionnel valant pour toute caisse se trouvant en situation de
découvert technique ». Ainsi, la garantie de
l’Etat ne donne aucune obligation légale à
l’employeur en cas de recapitalisation, et ce dernier n’a
depuis aucune vergogne à faire payer une part importante des
coûts aux salarié·e·s.

    La loi qui va être votée, en induisant
un coût de 43 milliards que l’employeur n’a aucune
obligation de payer, aura des conséquences néfastes pour
tous les salarié·e·s et
retraité·e·s de la fonction publique, surtout en
Suisse romande qui est restée attachée au système
mixte, au contraire de la Suisse allemande qui s’est hélas
ralliée en majorité, depuis quelques années,
à la capitalisation et à la primauté des
cotisations. A terme, les salarié·e·s et
retraité·e·s du privé seront aussi
touchés, dans la mesure où la tendance est depuis
plusieurs années à la baisse de la prévoyance
vieillesse. Et l’on sait que lorsqu’un secteur est
touché, cela favorise toujours le fait de s’en prendre aux
autres secteurs concernés.

L’exemple genevois

Un exemple significatif est celui de Genève. Le Conseil
d’Etat a décidé de fusionner les 2 caisses
publiques principales, la CIA (administration et enseignement) et la
CEH (santé). Une des raisons principales résidait dans la
future loi. Ainsi on pouvait mélanger dans la confusion le
vieillissement des populations, la recapitalisation et la fusion.
Résultat des propositions du Conseil d’Etat :
cotisations qui augmentent, prestations qui baissent (diminution des
retraites projetées, augmentation des années de
cotisation et de l’âge à partir duquel une retraite
complète est possible, suppression de la garantie de
l’indexation des rentes). En résumé, il faudra
payer plus pour recevoir moins! Et l’essentiel de cette
péjoration résulte de la recapitalisation, dont le
coût global est, dans la proposition du Conseil d’Etat,
pour plus des deux tiers à la charge des
salarié·e·s.

    Il faut placer cette loi dans le contexte plus
général de la prévoyance vieillesse : la
tendance est à l’individualisation au lieu de
solidarité, la priorité au capital et la baisse des
prestations depuis 2003 : diminution du taux de rendement
minimal, du taux de conversion, introduction de la réserve pour
fluctuation de valeur et son effet sur l’indexation des rentes,
on arrive ainsi à une diminution de plus de 20 % des
rentes promises.

    L’argument que c’est inévitable
parce que l’espérance de vie augmente est un mensonge
qu’il faut dénoncer. Deux chiffres à diffuser
autour de soi : l’espérance de vie à 65 ans
augmente en moyenne de 0,5 % par an, et l’augmentation
moyenne chaque année des richesses produites (PIB) depuis 1985
est de 3,4 %. En d’autres termes on produit chaque
année sept fois plus de richesses supplémentaires que ce
qui est nécessaire pour financer l’élévation
de l’espérance de vie. En conservant pour la
prévoyance vieillesse  la même part des richesses
produites, on peut améliorer les prestations.
 

Une autre solution

Notre réponse, c’est l’objectif d’une fusion
du deuxième pilier avec l’AVS, qui permettrait
d’avoir un système qui :

  • Donne la priorité à la répartition.
  • Donne une place importante  à la solidarité.
  • A pour objectif une retraite pour toutes et tous, égale
    à 80 % du dernier salaire, avec un minimum de
    3 500 frs et un maximum de 9 000 frs, indexés.
  • Garantit les droits acquis.

Un tel objectif n’est pas irréaliste du point de vue
financier, il s’agit de rassembler suffisamment de forces pour le
concrétiser dans une initiative.

Et le référendum ?

A court terme, par contre, se pose la question du
référendum contre la loi qui va être votée.
L’USS a voté à une très courte
majorité le soutien à un éventuel
référendum. Comme rien n’est encore
décidé, que le débat sur cette question vient de
commencer, je me contenterai d’évoquer les arguments qui
parlent pour le référendum, et des dangers qui peuvent
lui être liés.

Pour il est clair qu’il faut combattre cette loi, et que pour
cela le référendum est l’arme non seulement
naturelle mais encore unique. Dans la campagne, nous pourrions mettre
en avant l’idée de la fusion AVS-deuxième pilier,
même si ce contenu a été malheureusement absent
lors de la votation sur le taux de conversion.

Contre il est à craindre que le débat ne porte pas sur
les systèmes mixtes ou en capitalisation intégrale, mais
sur les « privilèges des
fonctionnaires », même si la droite aura de la peine
à présenter les systèmes mixtes comme un
privilège. Mais ne faisons pas confiance à la
cohérence de la droite, il lui suffira de faire
l’amalgame. D’autre part les forces de soutien pour un tel
référendum risquent d’être limitées
à la Suisse romande, et les chances de gagner assez faibles, ce
qui sera utilisé pour renforcer l’idée de la
nécessité de la capitalisation.

La position sur le référendum ne pourra donc être
décidée qu’en fonction des forces prêtes
à s’engager dans cette bataille.


Michel Ducommun


Le Syndicat SSP/Vpod Région de Genève
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INVITATION

à participer à une première réunion, au niveau romand :

SAMEDI 20 NOVEMBRE

14 h Maison du Peuple salle 14, Lausanne
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RÉFERENDUM

CONTRE LA FUTURE LOI FÉDÉRALE SUR LES CAISSES PUBLIQUES DU 2e PILIER