Chili: le mouvement étudiant défie l’ordre néo-libéral

Chili: le mouvement étudiant défie l’ordre néo-libéral

A trois reprises, les 4, 9 et 18
août derniers, des dizaines de milliers
d’étudiant·e·s et
d’enseignant·e·s ont manifesté contre la
nouvelle loi d’éducation néo-libérale du
gouvernement de Sebastián Piñera (droite
post-pinochetiste) : 100 000 personnes à Santiago,
50 000 dans les autres villes.

Après plusieurs mois de marches, de grèves de la faim et
de multiples manifestations (depuis avril 2011), le mouvement
étudiant a conquis l’appui majoritaire de la population
(80 % d’appui d’après de récents sondages).
Il réclame un changement fondamental du système
d’éducation mis en place sous la dictature du
général Pinochet et que les gouvernements de la
« Concertation »
(démocrates-chrétiens et sociaux-démocrates)
n’ont jamais remis fondamentalement en cause.

    L’indice de popularité du
président Piñera est de 26 % (contre 22 %
à la « Concertation »). Une situation
largement due à la répression policière lors de la
première grande manifestation nationale du 4
août (874 personnes arrêtées par la police
militarisée), un niveau de répression comparable à
celui des grandes journées de mobilisations sous le
régime Pinochet. El Pais dans son édition du 6
août, en décrit ainsi l’atmosphère :
« Dans la soirée, les télévisions
chiliennes commencèrent à retransmettre en direct les
événements. Les images montraient des jeunes
désarmés fuyant devant les carabiniers. (…) A
travers les réseaux sociaux, les
étudiant·e·s appelèrent la population
à effectuer un concert de casseroles contre la répression
dès 9 h. du soir. A 8 heures déjà,
débutait le bruit des casseroles dans de nombreux quartiers de
Santiago et dans les principales villes du Chili, notamment dans les
zones habitées par les classes moyennes, chose qui ne
s’était plus produite au Chili depuis les années
1980. »

    Le 9 août, une nouvelle manifestation (tout
aussi massive que la première), soutenue par les syndicats et
les organisations populaires, s’est terminée dans la
soirée par un nouveau concert de casseroles. Le mouvement
étudiant a stimulé un climat de mobilisation, que le
Chili n’avait pas connu depuis longtemps. Ainsi les travailleurs
des deux plus grandes entreprises minières du pays se sont mis
en grève pour réclamer des augmentations salariales.

    Pour Francisco Marin (correspondant de
l’hebdomadaire mexicain Proceso), « les
étudiant·e·s sont les grands défenseurs de
la patrie et de l’éducation. Ils-elles impulsent le
changement : ils ont dénoncé les
bénéfices des multinationales du cuivre : 35
milliards de dollars en 2010, soit 3,3 fois plus que le budget global
de l’éducation. Ils ont mis en débat la
nécessité d’un plébiscite pour une
Assemblée constituante, mettant ainsi à genoux le
système politique traditionnel ».

    « Rien n’est
gratuit », avait cru malin de pontifier Sebastián
Piñera pour ridiculiser les revendications étudiantes. Il
a eu droit à une réponse cinglante de Camila Vallejo,
présidente de la Fédération des
étudiant·e·s chiliens:
« Piñera doit savoir qu’il ne va pas
s’en sortir gratuitement ! ». Preuve en est
la prochaine échéance prévue par le mouvement
social : le 24 août, qui marquera le début
d’une grève générale de deux jours
convoquée par la Centrale unitaire des travailleurs·euses
et soutenu par les organisations étudiantes. 


La face cachée du système d’éducation chilien

En avril 1980, la revue Realidad  publiait un article
intitulé, « Orientations politiques du secteur de
l’éducation ». On pouvait y lire des
propositions telles que : « Les institutions
financières publiques ou privées octroieraient
directement les crédits aux élèves. Dans ce cas,
l’Etat pourrait se limiter à promouvoir un système
d’assurances qui rendrait possible l’accès de tous
les élèves au crédit dans des conditions
compétitives. (…) Dans ces conditions, l’Etat ne
devrait pas instaurer un système de subsides massifs et
indiscriminés en faveur des universitaires, mais devrait
s’orienter vers un système de prêts qui permette de
financer les coûts directs et indirects de la formation
universitaire ».

    Cette étude a inspiré la loi organique
sur l’enseignement (promulguée le 10 mars 1990, dernier
jour de la dictature Pinochet). Résultat des courses : 20
ans plus tard, l’étudiant·e chilien aborde le monde
du travail avec une dette moyenne de 30 000 dollars,
grevée d’un intérêt de 6 % au
minimum !

    Question subsidiaire : qui est l’auteur
de l’article paru dans Realidad ? Un certain
Sebastián Piñera, à l’époque
gérant de la Banque Talpa. La revue financière Forbes
l’a classé parmi les 500 hommes les plus riches de la
planète. Depuis le 11 mars 2010, Piñera est aussi
président de la République chilienne… 

Hans-Peter Renk


Menaces contre Camila Vallejo, présidente de la Fédération des étudiant·e·s

Elue en novembre 2010 présidente de la Fédération
des étudiant·e·s comme candidate de
« Estudiantes de izquierda » (Jeunesse
communiste, Nouvelle gauche universitaire), Camila Vallejo est
l’une des principales dirigeantes du mouvement. Le 5 août,
une fonctionnaire du ministère de la culture écrivait sur
twitter : « On tue la chienne et ç’en
est fini de la portée », les mêmes termes
employés par Pinochet, lorsqu’il apprit la mort de
Salvador Allende, le 11 septembre 1973.

    D’autres messages, relayés par un site
twitter du parti de Piñera, ont publié les
coordonnées personnelles de Camila Vallejo. Suite aux
protestations, le blog gouvernemental a dû s’excuser
platement et la fonctionnaire du ministère de la culture a
été licenciée par son ministre…

HPR

(source : www.rebelion.org, rubrique « Chile », « El Pais »)